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Les antagonismes d'un tourisme balnéaire galvaudé

par Farouk Zahi

Celui qui n'aura pas revisité Douaouda-Marine dans la wilaya de Tipasa, depuis quelques années, sera agréablement surpris par l'opulence de ses restaurants et crèmeries faits de chrome rutilant et de verre miroitant. Les terrasses ne désemplissent pas de familles, venues de loin le plus souvent, ou pour se restaurer ou prendre des crèmes glacées et autres sorbets rafraichissants. Aux noms évocateurs, ils donnent momentanément l'illusion aux visiteurs d'être quelque part au-delà de la Méditerranée. En nocturne, les lumières profuses et les volutes de fumée sentant la grillade mettent le client en condition avant même qu'il ne s'attable. Pris en charge, dès l'abord, par le gardien du parking qui lui indique son emplacement de garage, il n'est plus maitre de sa destinée jusqu'à son départ qui se fera, non sans s'être acquitté de l'obole pour service rendu. Tout ce faste gastronomique se passe dans un silence ou plutôt dans un morne brouhaha. L'animation culturelle est la grande absente : Point de vendeur de roses, point de musicien jouant la sérénade ; on vient ici pour se repaitre ou de viandes grillées ou de poissons de deuxième main dont le séjour au congélateur est bien visible. Le photographe au polaroid en bandoulière a, inexorablement, quitté les lieux laissant place au flash des téléphones portables qui remplissent cet office. Le secteur chargé de la Culture, administré à souhait, devrait sortir de ses bases traditionnelles et investir ces espaces conviviaux qui ne nécessitent aucune infrastructure complémentaire. L'acte culturel ne s'accommode pas du confinement administratif car il est lui-même produit de l'imagination.

Au sortir de la bourgade sur la route de Fouka, le choc est assuré par la vue de huttes en roseau qui dispensent le même service avec une ou deux spécialités seulement : Caille et lapin grillés. La fiente des volatiles densément parqués dans de grandes cages se saisit des narines dès que le pied est posé à terre. Certains de ces restaurants précaires poussent l'outrecuidance jusqu'à annoncer leur commerce par une large banderole sérigraphiée avec menu en sus. Le tronc d'arbre fumant entretien le foyer incandescent qui produit de la braise. Dans l'arrière boutique qui sert d'abattoir, le sol dégouline d'eaux noirâtres. Une fois l'animal dépecé ou déplumé, sa chair est lavée dans des récipients douteux ; l'eau courante n'étant, évidemment, pas disponible dans ces excroissances en marge d'anciennes exploitations agricoles. Tout le monde semble se complaire dans une situation ambivalente où le gargotier n'a aucun droit sur la place, mais auquel on ne dénie pas l'occupation. Si la fonction existe, bel est bien, créons lui l'organe. Sources de revenus, ces petits commerces peuvent à eux seuls couvrir par le loyer et l'impôt, les frais de nettoiement et d'entretien des lieux. Il nous suffit de nous inspirer de ce qui se passe chez nos voisins immédiats. Des places publiques assurent dans leur entièreté soit de la restauration soit des loisirs. Bien régentées, ces petites activités commerciales ou artisanales peuvent générer des profits économiques à grande valeur ajoutée. Interdire et proscrire, ne sera en définitive que l'ajournement d'une problématique en latence. Il faut reconnaitre à ces commerçants informels le droit à une existence digne par le biais d'une activité lucrative qui leur permette de couvrir les besoins incompressibles de leurs charges familiales. Nos édiles locaux auraient été bien inspirés s'ils avaient réservé à ce genre d'activités, ce qui est communément appelé : Locaux du président. Après avoir eu les faveurs du scrutin, ces mêmes élus se murent dans une posture victimaire disant à qui veut les entendre qu'ils sont dépossédés de toutes prérogatives régaliennes notamment en matière d'emploi et de logement. Soit ! Mais au cours de discussions informelles, on apprend que tel élu a fait recruter et loger plusieurs de ses proches ou de son entourage immédiat.

Ceci, ne dédouane aucunement les services en charge de la planification au niveau de la wilaya pour avoir failli en matière de clairvoyance prospective. Attentiste à souhait, le planificateur se contentera de recueillir les propositions en matière d'inscription d'objectifs planifiés, les analyser pour ensuite arbitrer et les doter d'enveloppes budgétaires souvent en deçà des besoins réels exprimés ou dont l'objet est dénué de pertinence. Le terrain est le meilleur indicateur en matière de développement local, sinon l'investissement, souvent onéreux, n'aura pas répondu à l'objectif escompté. Ceci est visible à travers de nombreuses infrastructures réalisées, mais dont les portes demeurent et pour longtemps closes. Le meilleur exemple en est donné par cette nouvelle cité flambant neuve jouxtant le pôle universitaire de Tipasa et achevée il y a plus de deux ans. Ayant fait l'objet d'une visite du Premier ministre, elle est restée énigmatiquement inoccupée jusqu'à mois de septembre de cette année où de gros travaux de voierie et réseaux divers (VRD) étaient lancés. Est-ce à dire que la charrue a été placée avant les bœufs ?

Douaouda-les-Bains, cet ancien groupement d'habitats était, jadis, un lieu de villégiature pour les colons venus de Franche-Comté qui se sont fixés à Douaouda (chef lieu communal) et pour quelques gros propriétaires terriens de la Mitidja. C'était à ce titre que le village portait à sa naissance le nom de : Boufarik-les- Bains. La résidence en ces lieux n'était pas pérenne mais plutôt estivale ; c'est ainsi que les toitures des bâtisses n'étaient recouvertes que de plaques ondulées en éternit. Les maisons ne disposaient pas du tout-à-l'égout, on pensait déjà à la préservation du littoral marin de la pollution urbaine. L'on remarquera aussi que le tissu urbain est relativement loin de la plage, plutôt en amont sur l'escarpement de la côte. A ce propos, cette plage indument baptisée du nom du défunt Colonel Abbès, ex. directeur de l'Académie interarmes de Cherchell, mort dans un accident de la circulation routière sur les lieux-mêmes, devrait changer de dénomination. Il est à notre avis, inconvenant de donner à ce site qui n'est pas un modèle dans les bonnes mœurs, le nom d'un illustre combattant de la Guerre de libération nationale.

S'étendant de l'embouchure de Oued Mazafran à l'est, jusqu'au centre de vacances de Sonatrach à l'ouest sur plus de 3kms, la plage de Douaouda-Marine est sans doute l'une des plus longues et des plus belles d'Afrique du Nord. D'un seul tenant, sa large bande de sable fin lui confère une caractéristique nulle part ailleurs rencontrée. Malheureusement, ce trésor balnéaire est dans un état de décrépitude qu'aucun justificatif ne peut absoudre. Livrée à une faune carnassière, elle est dépecée de ses atours naturels singulièrement attrayants. Elle se détachait des autres plages par une virginité presque sauvage ; rien ne venait barbouiller cette palette naturelle. Présentement, deux ou trois bâtisses prétendument hôtelières se sont implantées comme pour distraire l'harmonie qui existait entre la plage et les dunes couvertes d'arbrisseaux rustiques décoiffés par les vents marins. Ce nouveau bâti qui jure par sa laideur, enserre l'unique voie de circulation déjà étroite et à double sens. Au cas où l'option d'élargissement est envisagée, elle ne pourra se faire qu'au désavantage de la plage. Cette voie n'est plus ce qu'elle était, son goudronnage qui est parti en lambeaux lui donne l'aspect d'une immense fondrière de campagne.

Les vestiges d'une épique saison estivale sont toujours là : Branchages de parasols exotiques, squelettes métalliques de camping, poubelles béantes et détritus de toutes sortes. On devine à leur austérité et leurs deux portes métalliques closes, des latrines ou douches publiques. Le seul aspect extérieur renseigne du peu de cas fait à l'hygiène publique par le concepteur d'une telle outrance. D'anciens supports de candélabres étêtés rappellent par leurs fils électriques pendants que c'étaient des points lumineux. Au fait où en sommes-nous du méga projet de « Emaar », le groupe émirati ? Sans çà, ne peut-on pas donner en concession cette manne touristique à des investisseurs nationaux au lieu de la livrer à la friche de l'abandon?

En ce qui concerne l'entretien et la préservation du patrimoine commun, tout le monde sait que la Collectivité communale a atteint ses limites. Ceci nous renvoie à cette déclaration d'un ancien ministre de l'Intérieur au lendemain des municipales de 2012 qui disait en substance : « Les résultats de ce scrutin sont en faveur des élus de formation supérieure et dont le taux dépasse les 65% ». On oublie conséquemment de rappeler que la salubrité publique de base n'a nulle besoin de formation supérieure ; il s'agit principalement d'un prosaïque savoir faire cantonnier.

Sous le sceau de la sacralité du bien public, on continue dans un reflexe suicidaire à croire à un patriotisme économique exclusivement étatique. Des capitaines d'industrie probes et foncièrement nationalistes ont fait plus et en un laps de temps relativement court, ce que les tribuns occasionnels n'ont pu réaliser leur vie durant. En diversifiant leurs activités à d'autres segments de la vie économique, ces chefs d'entreprises ont, au-delà de toute espérance, non seulement satisfait à une grande partie du marché intérieur mais ont investi hardiment le marché extérieur. La galère de la dégradation n'est pas propre à la seule collectivité territoriale, elle touche les grands complexes touristiques du secteur public qu'ils soient balnéaires ou sahariens. Les anciens fleurons du tourisme national tels que le village touristique du CET et le complexe de Matarès n'arrêtent pas de manger leur pain noir en dépit de leur statut d'entreprise publique à caractère économique. Notre pays détient, probablement, le premier rang africain en matière d'investissement public, mais certainement le dernier rang en matière d'entretien et de maintenance. Le gestionnaire mis en difficulté par une administration hyper centralisée, n'a pour unique latitude que l'expectative dans un lent processus de maturation d'une opération planifiée jusqu'à son aboutissement. L'enveloppe budgétaire ainsi allouée, ne couvrira peut être plus, le plan de charge réel car la dégradation et la déprédation se seront d'avantage accentuées.