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Les ruines romaines: un trésor enseveli

par Nourredine Bouchikhi

Pour les dernières vacances, nous avons décidé cette fois-ci d'un commun accord d'aller explorer une région riche d'histoire loin de la cohue des plages du Nord et malgré la hantise des pics de chaleur qui risquaient de faire tomber à l'eau notre plan, cela ne nous a nullement découragés ; notre destination était l'Est algérien avec comme objectif la découverte des plus importants vestiges de la présence romaine en Algérie que sont Timgad et Djemila sachant qu'il existe d'autres sites tout aussi intéressants à visiter, nous pouvons citer sans être exhaustif : Lambaesis ,Thevest, Madauros à l'Est, Tipaza, Cherchell au Centre, Mina,Tingartia à l'Ouest.

Nous avons parcouru à partir d'Oran plus de sept cents kilomètres d'une seule traite avant de faire pause et passer la nuit à El Eulma chez un ami qui nous a offert son hospitalité, le choix de cette ville n'était pas fortuit car elle occupe une situation stratégique à mi-chemin entre les différents sites, Djemila 30 km,Timgad 100 km, pour ainsi continuer le lendemain très tôt en direction de Batna, chef-lieu de la wilaya dont dépend la commune de Timgad ; premier site à visiter, il a fallu deux heures de route pour arriver à bon port. Car une fois la double voie quittée à hauteur de Batna, la route devient sinueuse avec des côtes qui ralentissaient notre cadence jusqu'à arriver à la ville de Timgad où soudain apparut le site dont l'entrée ne présage pas que nous sommes dans ce qui fut jadis une ville importante construite sous le règne de l'empereur Trajan (98-117) au deuxième siècle (en l'an 100 après Jésus-Christ) sous le nom officiel de Colonnia Marciana Trajana Thamugadi pour être un lieu de villégiature destiné à l'armée romaine dont les soldats venaient gouter au repos du guerrier.

À l'arrivée l'ambiance générale semblait morose, un parking en tuf gardé par des jeunes où sont stationnées quelques voitures immatriculées pour la plupart de la région ; une fois les droits d'entrée acquittés qui sont sincèrement modérés pour un citoyen algérien et dérisoires pour un étranger quand on connaît les sommes exorbitantes exigées pour accéder ne serait-ce qu'à un petit musée ailleurs comparé à ce musée à ciel ouvert classé patrimoine de l'humanité par l'Unesco. Dès l'entrée on est d'emblée interpellé par la vétusté des blocs administratifs : des murs fissurés, une peinture ternie par le temps, des panneaux indicatifs écrits à la main dont un indique la direction des sanitaires qui malheureusement sont hors service, renseignement pris, un problème d'alimentation en eau les rend inutilisables ! J'imaginais un peu quelle aurait été la réaction d'un touriste venu seul ou en groupe de si loin à la découverte de Thamugadi ou le pire celle d'un étranger ! Qui aurait traversé une mer ou l'océan.

Les abords de l'entrée principale sont boisés de pin qui semble bien adapté au microclimat de la région sinon le reste du site d'une superficie d'environ cinquante hectares est délimité par une simple clôture métallique loin de l'agrément esthétique qu'aurait amené la plantation d'arbres qui transformera ce paysage aride en scène verdoyante.

Un autre détail et pas des moindres attire l'attention du visiteur dès les premiers pas franchis, c'est le musée dont la façade invite à la visite mais qui est fermé depuis plus de deux décennies en raison de tentatives de vol durant la fameuse période noire qu'a connue le pays, mais même si depuis les choses se sont nettement améliorées, le visiteur d'ailleurs n'éprouve aucun sentiment d'insécurité, la présence de vigiles bien visible rassure les plus inquiets ; le musée fort dommage reste inaccessible!

Nous avons quand même été gâtés car la chance a voulu que ce jour-là nous fîmes une rencontre fortuite avec un responsable qui a bien accepté d'endosser le rôle qui n'est pas le sien, celui de guide. Tellement il semblait passionné, Khaled, personnalité d'une extrême gentillesse, a eu la patience de nous faire découvrir pendant plus de cinq heures le site, nous qui avons prévu de passer quelques instants seulement, avec des explications et des descriptions allant dans le détail. Il a bien réussi à nous faire plonger des siècles en arrière dans les dédales de la vie des Romains au point que même mes enfants dont l'une est étudiante et l'autre lycéen pas très au fait des choses de l'histoire s'y sont accrochés, comme quoi l'intérêt à l'histoire de notre pays peut être suscité chez n'importe quel jeune pour peu qu'on domine notre sujet et qu'on sache le bien présenter. Le premier sentiment éprouvé en serpentant ce qui fut les avenues et ruelles, les temples, le théâtre, le forum, l'arc de triomphe dit arc de Trajan, les bains, le marché, est que nous étions devant un joyau de l'humanité dont la valeur est malheureusement très sous-estimée malgré la bonne volonté du personnel sur terrain.

Ce magnifique site, «et ce mot magnifique prend ici toute sa signification», ne bénéficie pas de tous les égards auxquels il a droit. Faute d'information, les gens n'y connaissent de ce lieu, et pas tous, que le festival qui porte son nom: Timgad. Le site dont une grande partie reste à déterrer semble livré à une végétation sauvage qui nécessite un traitement spécifique pour sauvegarder les ruines et faire valoriser toute sa beauté, les quelques agents affectés à cette tâche semblent dépassés par l'ampleur de la mission, d'ailleurs même la surveillance contre le vandalisme et les vols, priorités absolues, doit impliquer des moyens modernes telle l'utilisation de drones par exemple qui sont devenus un outil banal parmi d'autres, rien n'est trop cher pour sauvegarder et transmettre ce legs d'abord aux générations futures et ensuite à toute l'humanité. Il n'est pas concevable que des sommes colossales sont allouées chaque année depuis des décennies à l'organisation du festival dont les retombées sur le tourisme local et international sont hélas dérisoires faute d'une stratégie étudiée alors que l'essence même à l'origine de cet événement n'en bénéficie que de miettes. D'ailleurs même les faibles recettes provenant des droits d'entrée sont gérées à partir d'Alger, l'administration et la gestion du site sont totalement dépendantes de décisions centralisées bien loin des préoccupations locales.

Il aurait été plus judicieux de consacrer ne serait-ce qu'une partie de ces moyens au développement de la fréquentation encore faible en commençant d'abord par la mise en place de toute la logistique indispensable en amont telle la modernisation des voies de communication qui relient les villes proches que sont Batna, Khenchela, Sétif, Constantine et même la frontière tunisienne, la mise à niveau des aéroports de proximité, le développement des infrastructures hôtelières, des activités de services que sont la restauration, l'artisanat local qu'il faut aider à faire émerger en ciblant les jeunes pour les inciter et les assister à investir ce créneau porteur et créateur d'emplois, les quelques pionniers dont on a pu rencontrer quelques-uns aux abords du site ont pris des initiatives louables en confectionnant des statuettes et des bibelots à l'effigie entre autres de l'arc de triomphe ; la propriété artistique devrait être protégée et garantie par la loi car ils ne sont pas à l'abri d'une utilisation frauduleuse de leurs créations par des commerçants sans scrupule comme nous pouvons le constater à Sétif où des répliques de «Ain El Faouara» fabriquées en Chine sont déjà mises en vente.

Le site lui-même doit tout d'abord être connu au travers l'organisation de campagnes publicitaires soutenues à la hauteur de sa grandeur, non seulement à l'échelle nationale mais aussi à destination du reste du monde en général et de l'Europe en particulier du fait de sa proximité et de la valeur historique qu'il représente pour la culture occidentale héritière de la civilisation romaine, c'est une occasion inouïe pour engranger des recettes en devises en ces temps de vaches maigres.

Quant à notre circuit, après avoir passé une journée d'émerveillement à Timgad nous avons pris le lendemain la direction de Djemila pour visiter son site qui est à distance égale (30 km) en empruntant la route à partir d'El Eulma ou de Sétif.

Là encore la route pour y accéder est sinueuse et étroite, heureusement qu'elle n'est pas trop fréquentée. En arrivant sur place et dès l'entrée, nous avons été agréablement surpris par le fait que le musée est ici ouvert, nous déplorons quand même l'absence de guide pour nous présenter les différents trésors qu'il contient, nous nous sommes contentés des quelques annotations collées sur les présentoirs. Le site à la différence de celui de Timgad se trouve dans un cadre assez verdoyant malgré la saison chaude, là encore en l'absence d'un guide attitré c'est un gardien qui a pris l'initiative de nous faire découvrir le site qui s'étend sur une superficie d'environ 30 hectares ; comme nous avions déjà visité celui de Timgad la ville militaire, Djemila l'antique Cuicul construite juste quelques années après (Timgad) et dont la partie découverte est plus petite nous a paru un peu familière, elle a été érigée par et pour les vétérans romains (population civile et militaires en retraite). Les deux villes étaient construites pratiquement à la même période. Djemila qui a donné aussi son nom au festival annuel qui venait juste de se terminer a aussi plus d'un atout, elle englobe des vestiges chrétiens, la chapelle, le baptistère, la basilique en plus des vestiges romains : les grands thermes, le théâtre, la fontaine, l'arc de Caracalla construit en l'honneur de l'empereur Caracalla et de ses parents Julia Domna et Septime Sévère en 216, le Cardo maximus, et surtout le temple Sévérien monument le mieux conservé, ce sont là quelques édifices parmi tant d'autres qui méritent d'être visités.

Les sites de Timgad et de Djemila souffrent des mêmes contraintes et insuffisances ; manque de moyens, personnel insuffisant, salaires peu motivant, information embryonnaire.

Ces sites que beaucoup nous envient, sous d'autres latitudes auraient généré des recettes directes et indirectes faramineuses tant ils sont une valeur sûre. Des actions urgentes pourraient les rendre plus attrayants telle la rénovation sans délais des bâtisses administratives dont l'état de délabrement est témoin de l'attention insuffisante accordée par les ministères du Tourisme et de la Culture à ces trésors inestimables.

La mise en place de commodités élémentaires telle la réfection des sanitaires, mise à disposition de sac à ordures pour éviter des scènes désolantes dont les stigmates étaient encore visibles quelques semaines après la clôture du festival. La présence de guides doit être continue à défaut des audio ou vidéo-guides devront être mis à la disposition des visiteurs comme c'est le cas dans la majorité des musées aujourd'hui. Encourager la reprise des fouilles arrêtées depuis l'ère coloniale ce qui constituera une aubaine pour les archéologues nationaux et même étrangers, car il s'agit là d'un énorme chantier qui nécessite des moyens colossaux mais c'est un investissement sans risques. Encourager les visites pour les élèves et étudiants pour susciter l'intérêt des générations futures à notre patrimoine et leur inculquer l'amour de l'histoire qui sans elle on ne peut construire l'avenir.