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Logique de contrat

par Akram Belkaïd, Paris

Comme chaque année à pareille époque, on commencera cette chronique par rappeler que le « Prix Nobel d’économie » n’existe pas, que c’est une appellation impropre et cela contrairement à ce que l’on peut lire ou entendre ces derniers jours. De fait, la récompense qui vient d’être attribuée s’appelle le Prix de la Banque (centrale) de Suède de la science économique en mémoire d’Alfred Nobel. Autrement dit, un moyen comme un autre d’apposer un label prestigieux à un vulgaire prix et cela afin de donner quelques lettres de noblesse – ou de Nobel-esse – à une discipline très controversée. Même si ce prix est parrainé par l’Académie Nobel, on ne saurait le mettre sur le même plan d’égalité que les autres « Nobel » (Paix, Littérature, Chimie-Physique et Médecine).

Réduire l’incertitude

Une fois cette remarque rappelée, il n’est pas inintéressant de se pencher sur les travaux des lauréats de cette année qui sont le Finlandais Bengt Holmström et l’Américano-Britannique Olivier Hart. Ces deux noms parleront à celles et ceux qui ont suivi des cursus en économie et plus particulièrement en micro-économie. Leurs travaux remontent aux années 1970 et 1980 et ont constitué le socle fondamental de ce que l’on appelle, aujourd’hui encore, la théorie des contrats.

Une manière de définir l’économie est d’affirmer qu’elle est la science qui tente d’analyser les rapports entre les agents économiques, qu’il s’agisse des individus, des ménages, des entreprises ou des investisseurs. Dans ce genre d’analyse, les limites sont nombreuses. On sait, par exemple, que l’individu ne possède pas toujours toute l’information requise pour bien décider. On sait aussi que, même s’il dispose de la bonne information, son comportement ne sera pas toujours rationnel et que ses décisions ne seront pas toujours les meilleures ou celles qui le servent au mieux. De même, dans leur interrelation, les acteurs économiques ne fonctionnent jamais de manière uniforme et prévisible.

Holmström et Hart ont mis en avant le fait que la meilleure manière dont nous cherchons à limiter ces incertitudes est de s’appuyer sur des logiques de contrats. Quand un employé est recruté par une entreprise, c’est un contrat qui fonde les relations et les attentes de chacun. De même, quand un cadre établit les objectifs d’une équipe, par exemple commerciale, il l’étaye par un contrat explicite (bonus promis, délais fixés,…) ou implicite. On peut aisément reconnaître que la logique de contrat est nécessaire pour le bon fonctionnement d’une entreprise. D’ailleurs, le grand flou qui règne aujourd’hui dans le monde entrepreneurial avec l’émergence de nouveaux modes d’organisations (entrepreneurs individuels, sous-traitance multiformes, économie collaborative, etc…) se traduit par une baisse de l’efficacité des contrats, ces derniers étant incapables de répondre aux mutations de l’économie. Et cette baisse aggrave les difficultés au sein des organisations.

Des limites du contrat hors entreprise

Par ailleurs, les travaux autour de la théorie des contrats ont eu pour conséquence de déborder du monde de l’entreprise pour concerner d’autres types d’organisations dont les administrations. Au cours de ces vingt dernières années, cela s’est traduit par l’émergence de modèles destinés à introduire les notions d’efficacité et même de rentabilité au sein de services non marchands et non concurrentiels. On pense, par exemple, aux objectifs fixés aux fonctionnaires tels qu’un nombre précis de dossiers à traiter par mois ou d’affaires à classer. Dans de nombreuses administrations, on voit fleurir des statistiques et des reporting destinés à jauger de l’efficacité de ces organisations. Souvent, pour le pire, ce qui pousse à repenser la logique de contrat dans un tel contexte.