Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Pourquoi cette ruée de départ en retraite dans l'éducation

par Hakem Bachir *

Tout d'abord un départ en retraite n'est pas une fatalité mais un droit et devrait être une récompense pour les travailleurs qui pourront profiter à partir de là d'un repos mérité, ce qui n'est pas le cas en Algérie car c'est généralement le début de la fin.

Mais qu'en est-il en Algérie ?

Les statistiques ont montré qu'un retraité décède en moyenne dans les cinq ans suivant son départ en retraite ou bien suit un traitement médical jusqu'à la fin de ses jours. Donc un départ en retraite anticipée est beaucoup plus que nécessaire surtout dans l'éducation. Maintenant, on s'étonne du taux de départ des enseignants, les chiffres ne sont pas plus élevés que dans un autre secteur car la plupart des enseignants soit plus de 70% ont atteint l'âge de retraite pendant ces dernières années et ceux qui n'ont pas encore atteint 60 ans ont commencé à travailler en 1985 donc la majorité auront 32 ans de travail et le plus jeune de ces futurs retraités aura au moins 56 ans en 2016 (car s'il a commencé à enseigner à 24 ans on aura : 24 ans + 32 ans = 56 ans). Donc les responsables qui n'ont pas tenu compte de ça, montre leurs incompétences dans la planification car dans au plus 4 ans l'enseignement se videra d'office de tous les enseignants qui auront commencé en 1985 même sans bénéficier de leur droit à la retraite anticipée et c'est une nouvelle page dans l'éducation qui commencera. Maintenant ces enseignants ont fait leur devoir, et réclament un droit qu'on veut leur enlever pour des raisons infondées ou ingrates.

Maintenant l'Etat est-il perdant ou gagnant dans ce grand départ d'enseignant ?

Si on prend l'exemple d'un enseignant du secondaire, regardons la réalité de sa retraite: son salaire mensuel est environ de 71 000 DA, il est à l'échelle 16 en tant que formateur échelon 12, il sera remplacé logiquement par soit un vacataire qui touchera environ 25 000 DA classé à l'échelle 12 ou un stagiaire qui touchera environ 32 000 DA classé à l'échelle 13. Donc pour le budget d'Etat c'est un gain de plus de 50% en plus des cotisations annuelles. Donc pour le départ d'un retraité l'Etat pourra recruter deux stagiaires sans le moindre frais d'investissement. Pour la caisse de retraite, tout travailleur à cotiser pendant toute sa ville pour sa pension donc qu'on ne vienne pas nous chanter la phrase que la caisse se vide car sa pension est assurée pas sa cotisation et celle de ses collègues pendant la durée de son travail en plus du complément versé par l'Etat et des ressources des recettes des hydrocarbures. Les pensions de retraite complètes des travailleurs ne durent généralement pas plus de 10 ans car au-delà de 60 ans c'est la galère des maladies ou le décès. Donc la raison pour instaurer une nouvelle loi du travail est infondée et ce qui se passe dans les autres pays sur ce point diffère par rapport à la réalité algérienne, nous avons le meilleur régime des retraites dans le monde gardons-le et ne tombons pas dans le piège de la mondialisation des lois du travail là aussi encore dictées par le FMI, la Banque mondiale et les multinationales. C'est à cause de cette mondialisation et son application chez nous sans tenir compte de la réalité algérienne dans tous les secteurs que notre pays se trouve en crise budgétaire dans tous les domaines car le déclin de notre monnaie a été projeté à tel point que notre monnaie se retrouve classée parmi les plus faibles dans le monde.

Maintenant parlons du côté pédagogique, pourquoi les enseignants veulent quitter l'enseignement avant 60 ans. Ce fait est tout à fait normal pour plusieurs raisons.

1) Le métier est devenu très pénible vu la pression que subissent les enseignants ces dernières années de la part des élèves, leurs parents, la tutelle et les inspecteurs. Il suffit de passer une journée dans un lycée et voir les allées et venues des parents aux heures dites de repos des éducateurs. Ces pauvres enseignants à 10 h après deux heures de cours intenses sont interpelés de toutes parts et lorsque ce n'est pas les parents c'est leurs enfants ou l'administration ou les inspecteurs. Ils sont des fois réquisitionnés pour des corrections ou surveillances de concours ou d'examens malgré leur mauvais état de santé. Ils n'ont plus droit aux 10 mn de repos pour souffler et personne ne tient compte de leur effort à satisfaire tout le monde. Imaginer que cela dure pendant plus de 25 ans.

2) Après 25 ans l'enseignant consciencieux a compris que son rendement ne cesse de diminuer et que le conflit de générations qu'il vit ne peut plus lui permettre de continuer. La réalité est amère mais elle est là donc la solution pour éviter la dépression ou plus de dégâts c'est de quitter.

3) L'incompétence de certains administrateurs ont aussi obligé certains à partir avant 60 ans malgré le fait qu'ils peuvent encore donner un plus à l'éducation.

4) Le statut particulier de l'éducation qui ne tient pas compte du côté pédagogique de l'enseignant ni de son âge ni de son expérience dans le volume horaire hebdomadaire pour un meilleur rendement car il est inconcevable qu'un enseignant après plus de 25 ans de travail ait le même volume horaire que celui qui débute et qui est frais. La logique, vu les conditions que vit l'enseignant en Algérie, dirait que pour éviter l'usure du corps enseignant, le statut doit prévoir une diminution du volume horaire en fonction de l'ancienneté.

5) Le côté financier et de santé le poussent aussi vers la porte de sortie car après plus de 25 ans de travail le salaire de l'enseignant stagne et son pouvoir d'achat ne cesse de diminuer, donc il préfère quitter l'éducation, gagner moins et se soigner car plus de 90% des enseignants sont soit tendus, soit diabétiques ou atteint d'une autre maladie chronique. Aujourd'hui on ne part pas en retraite en bonne santé.

6) La surcharge des classes et les emplois de temps mal confectionnés chaque année sont deux autres points qui obligent les enseignants à exiger leur départ en retraite anticipée.

 Donc le départ en retraite anticipée dans l'enseignement est une nécessité car c'est aussi pour le bien de l'enseignant que de l'élève que de l'Etat. Il faut penser à trouver une solution à ceux qui sont restés après 25 ans et leur permettre à quitter la classe pour s'occuper de formation des jeunes enseignants et les encadrer car leur rendement sera meilleur, ainsi on pourra les retenir jusqu'à 60 ans en garantissant leur état de santé. Le départ en retraite d'un enseignant après 25 ans vu la nouvelle grille de salaire et du statut de l'enseignant est une opportunité pour l'Etat jusqu'en 2019 car après cette date on reviendra à l'état où était l'éducation en 1985 avec un encadrement jeune ou le plus ancien en moyenne aura 10 ans d'expérience. Et ce n'est qu'à partir de 2019 qu'il faut penser si la caisse de retraite ne peut pas assurer les pensions et de penser à de nouvelles méthodes d'encaissement. L'objectif du nouveau code de travail et de la loi de retraite ne peut que nuire à l'éducation car après 60 ans il sera impossible à enseigner dans des classes de plus de 40 élèves et même pédagogique, tous les inspecteurs vous diront qu'après 25 ans le rendement de l'enseignant n'est qu'expérimental. L'Etat devra faire un effort financier pour l'éducation lequel est un domaine stratégique où il faut investir même si le budget doit dépasser celui de la défense. L'éducation n'a pas de prix. La nouvelle loi du travail doit permettre à des enseignants à quitter celle-ci, pour certains bien avant la date limite même s'il le faut après 10 ans de travail au lieu de sacrifier des générations en obligeant certains à rester jusqu'à 25 ans de travail effectif même s'ils ne sont pas faits pour ce métier avant de faire leur choix.

* Professeur de mathematiques au lycée Colonel Lotfi d'Oran