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Une rentrée scolaire instable et dangereuse, en l'absence de toute planification et à un entêtement des responsables

par Hakem Bachir*

La rentrée scolaire pour l'édition 2016-2017 a eu lieu dimanche 4 septembre à travers le territoire national. Programmée tôt cette année dans l'espoir d'atteindre les 36 semaines d'enseignement, les responsables se sont encore une fois plantés; vouloir assurer une bonne rentrée commence d'abord par préparer toutes les conditions favorables et avoir les moyens de sa politique afin de pouvoir scolariser près de 9 millions d'enfants et non pas tenir des déclarations de satisfaction sans regarder la réalité du terrain.

Les responsables n'ont pas tenu compte ni des conditions météorologiques car la température dans la plupart des régions a dépassé les 30 degrés, ni de la fête de l'Aïd qui aura lieu une semaine après la rentrée, ni de la non réception des infrastructures à temps, ni de la disponibilité des livres, ni des départs en retraite des enseignants, ni du fort taux d'échec aux examens où plus 400 000 élèves ont échoué au baccalauréat, ni du problème du recrutement des enseignants car ils ne pourront couvrir les vrais besoins de l'éducation qui dépassent les 50 000 après les départs en retraite des plus expérimentés, ajouté à cela le grand manque d'adjoints d'éducation, de proviseurs, de censeurs.

Aujourd'hui une marée de problèmes secoue l'école algérienne. Et donc pour parer à ce manque l'éducation a dû faire appel aux listes d'attente des résultats du concours de recrutement et comme celles-ci ne pourront pas couvrir les besoins, le désordre est général à tous les niveaux. Pour couvrir certains postes et comme les listes d'attente sont insuffisantes dans certaines wilayas, les responsables ont décidé de faire appel à des enseignants inscrits dans les listes d'attente des wilayas limitrophes, là aussi sans pouvoir assurer l'hébergement de ces derniers. L'improvisation continue dans le secteur de l'éducation et les conséquences de celle-ci se répercuteront sur le niveau de l'école algérienne. Ce climat de désorganisation générale dure depuis 2003, les ministres se succèdent et sont toujours en panne de planification algérienne et continue à céder aux tentations extrémistes et idéologiques.

La fuite en avant et la langue de bois des responsables continuent alors que le secteur va à la dérive. Nos responsables continuent de faire des déclarations dans les médias en se louant d'éloges alors la réalité est autre.

Le secteur peine toujours à retrouver sa cohésion et sa sérénité qui a déserté les rangs de l'école algérienne depuis des années car on recourt toujours à la facilité pour la recherche des solutions à nos problèmes. L'école algérienne et nos enfants ont déjà payé un lourd tribut à la crise qui secoue le secteur de l'éducation depuis plusieurs années et continuent à être des cobayes. Le laboratoire éducation est toujours ouvert malgré les échecs observés. Et de nouveau, les programmes de deuxième génération sont là pour le prouver malgré les échecs observés au niveau international et le manque de moyens pour les appliquer chez nous. L'échec de la réforme des collèges en France, appliquée dans certaines académies où des grèves sont observées pour l'arrêter n'ont pas dissuadé les responsables qui s'obstinent à l'appliquer.

Les parents, en dépit de la crise, se sont ralliés au programme prévu dans le calendrier scolaire. Le défi de réunir les effectifs attendus en est une autre chose. Car plus d'une fois, les écoles dans un contexte de crise ont déploré les écarts entre les effectifs inscrits (attendus) et les effectifs réels (disponibles).

Le problème des contractuels revient encore cette année car la plupart de ces enseignants ont échoué au concours malgré toutes les promesses tenues par les responsables qui étaient beaucoup plus préoccupés à assurer la fin d'année scolaire 2015-2016 que de garantir la stabilité du secteur pour l'année 2016-2017. Et aujourd'hui seul le recrutement de ces enseignants avec une assurance de tenir un nouveau concours pourra stabiliser ce secteur et voir l'avenir des générations à venir. Aujourd'hui, beaucoup d'enseignants n'ont pas voulu leur poste pour diverses raisons soit parce qu'ils ont passé le concours que pour la forme puisqu'ils étaient déjà sur d'autres postes hors éducation lors du concours ou par la phobie des élèves car ils n'ont jamais enseigné ou parce qu'ils poursuivent leurs études et les emplois de temps chargés ne leur permettent pas d'enseigner et étudier. Les syndicats qui avaient demandé l'intégration ou le concours interne avaient raison car on ne serait pas arrivé à cette crise où des centaines de classes sont sans professeurs. On ne peut pas gérer un secteur aussi lourd qu'est l'éducation en s'entêtant.

Nous avons assisté ce début d'année à une atteinte grave aux libertés d'expression des futurs contractuels où on a vu des contrats de recrutement avec l'option d'interdiction de demander l'intégration ce qui est contraire à la loi du travail et au statut général de la fonction publique. Heureusement que les responsables ont rectifié le tir en changeant cette semaine ces contrats pour les enseignants ayant été recrutés sur des postes vacants en tant que suppléants et se trouvant sur la liste d'attente. Mais il est inconcevable de recruter un travailleur sous contrat CDD et de lui refuser le droit à demander l'intégration. Aujourd'hui seuls les contractuels peuvent sauver l'éducation, garantir la scolarisation des enfants et seule leur intégration ou un concours pour eux spécialement peut assurer la stabilité et la qualité de l'école car ils ont une expérience sur le terrain. Et la stabilité du secteur commence par leur stabilité. La contractualisation de l'enseignant doit être abolie dans l'éducation car ce n'est pas un métier d'une année et a besoin d'une stabilité. L'entêtement des responsables sur ce point montre leur non connaissance de la réalité du terrain.

Nous assistons aujourd'hui dans certaines régions chez des parents conscients, des protestations pour demander à ce que les contractuels qui ont enseignés leurs enfants pendant deux années, ayant prouvé leurs compétences et leur dévouement au métier d'être intégrés.

Certains parents sont allés encore plus loin, vu les conditions climatiques, vu le manque d'enseignants, vu le manque de directeurs d'établissement, l'insécurité qui règne dans certains établissements, ont préféré reporter la rentrée de leurs enfants après l'Aïd.

Ajouté à tout cela, et profitant de l'instabilité du secteur, certains proviseurs croient que l'établissement public est leur propriété, ils ont créé des professeurs de première zone et ceux de seconde zone. Ils sont aidés dans cette tâche par certains parents, certaines directions d'éducation et certains syndicats qui ont créé des classes pour leurs enfants en choisissant les professeurs, les emplois du temps et vont jusqu'à affecter certains enseignants sans tenir compte des lois ni de l'intérêt pédagogique dans certains cas car même l'intérêt syndical est aujourd'hui monnaie courante dans certaines académies. Nous assistons aujourd'hui dans l'éducation à deux instabilités l'une prévue et une autre créée par les chefs d'établissements.

Aujourd'hui, les responsables sont beaucoup plus préoccupés par les programmes de deuxième génération dans le primaire et le moyen alors qu'en France la réforme du collège appliquée cette année dans certains établissements dans ce pays observe des grèves par les enseignants à cause de son échec. Mais chez nous, un échec d'une réforme observée sur certains établissements pilotes dans le monde est généralisé à l'aveuglette sur tout le pays car il faut satisfaire la Banque mondiale et les multinationales. La charge administrative qui repose sur les enseignants est de plus en plus importante, ces derniers sont aussi soumis à une forte pression et «l'épuisement» des professeurs est causé notamment par «les tâches administratives qui enflent de manière démesurée».

Un enseignant sur quatre quitte la profession après une année de travail, et presque la moitié d'entre eux est tentée par une reconversion professionnelle après cinq ans. La pression exercée par les parents serait aussi l'un des facteurs qui poussent les enseignants à changer de métier. Alors que là aussi les responsables ne font aucune étude sur cet état de fait. L'éducation est dans l'impasse et personne parmi les responsables n'en est conscient. L'école algérienne se vide de plus en plus de ses meilleurs cadres et les responsables sont beaucoup plus préoccupés à assurer la scolarisation sans tenir compte de la qualité d'enseignement. Après moins d'une semaine de la rentrée, la violence a déjà fait son apparition, nous assistons quotidiennement dans les établissements à des insultes, des disputes et même des agressions à l'arme blanche entre élèves comme c'est le cas à Chlef. Ce point aussi est ignoré en ce début d'année scolaire car tout le monde est préoccupé à calmer les esprits des enseignants et à assurer la présence d'un enseignant dans chaque matière pour les élèves. Il faut bien une garderie à ces enfants. Nous commençons à désespérer pour qu'un jour on pourra sauver l'éducation puisque la politique idéologique a pris le dessus sur l'éducation, puisque tout le monde est devenu spécialiste du secteur même ceux qui n'ont aucun diplôme.

* Professeur de mathématiques au lycée Colonel Lotfi d'Oran