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Les enjeux des PME face au nouvel impôt forfaitaire (4ème partie)

par Mustapha Bensahli*

Au Maroc les PME représentent 95% du nombre des entreprises et elles bénéficient d'un régime fiscal de faveur dont le taux est étudié par mesure d'équité en étant gradué en fonction de l'importance du chiffre d'affaires dégagé à partir de monographies professionnelles, si bien que lorsque celui-ci s'avère faible, l'impôt à payer se réduit en concomitance.

Dans les autres pays aussi les petites et moyennes entreprises connaissent une irrésistible ascension pour prendre comme premier exemple celui de la France qui selon les sources le régime forfaitaire des auto-entrepreneurs semble connaître une nette progression, étant précisé que les TPE/PME qui représentent 96 à 97% du nombre global des entreprises sont exclues du champ d'application forfaitaire, étant précisé que les PME relèvent du droit commun.

D'ailleurs, en fin de 2015 un total de 1.012.000 auto-entrepreneurs étaient recensés, soit 40.000 de plus qu'un an plus tôt, selon les données publiées vendredi le 22 juillet 2016 par l'Acoss, l'agence centrale des organismes de Sécurité sociale et à noter leur rythme tend à croître de plus en plus.

La raison s'explique par le fait que la charge fiscale au titre du forfait des auto-entrepreneurs, à l'exclusion des producteurs qui restent soumis au réel pour leur permettre de déduire les charges comptabilisées, les taux applicables sont relativement dérisoires et les suivants :

- Ventes de marchandises : 1%

- Prestations de services : 1,7%

- Professions libérales : 2,2%.

De plus, les auto-entrepreneurs bénéficient outre de la franchise de la TVA d'un abattement systématique du chiffre d'affaires pour le calcul de l'impôt soit de 79% pour l'achat revente, 50% pour les prestations de services et 34% pour les professions libérales.

Certes, il existe en Algérie des abattements, mais ils ne sont pas généralisés comme en France ou comme dans d'autres pays, ils sont sélectifs avec un ciblage bien restreint dans l'application.

C'est ainsi qu'il est accordé deux sortes seulement d'abattement, à savoir :

1-un abattement au profit des activités de petits commerces nouvellement installés dans des sites aménagés par les collectivités locales, pendant les trois (03) premières années d'imposition et ce à l'issue de la période d'exonération de deux (02) ans qui leur est accordée.     Cet abattement se présente comme suit :                           

- 1ère année d'imposition:un abattement de 70%;

-2éme année d'imposition:

un abattement de 50% ;

- 3éme année d'imposition:

un abattement de 25%.

2- Un abattement au profit des activités de collecte de papier usagé et des déchets ménagers, ainsi que les autres déchets recyclables. Cet abattement se présente comme suit: - troisième année de l'assujettissement à l'impôt: réduction de 70%; - quatrième année de l'assujettissement à l'impôt: réduction de 50%;

- cinquième année de l'assujettissement à l'impôt : réduction de 25%.

En faisant une comparaison simplement basique entre la charge fiscale applicable en Algérie pour les contribuables relevant du régime forfaitaire et celle applicable dans autres pays pour le même type d'impôt, le rapport s'avère nettement disproportionné.

C'est le cas aussi en Egypte où 90% des entreprises sont des petites et moyennes entreprises ?PME- leur contribution à l'emploi industriel est de 60%, la valeur ajouté industrielle correspond à 40%.

Il en est de même à titre de démonstration sur les pratiques avantageuses dans les autres pays :

- au Japon 97% des entreprises sont des PME, le nombre de personnes qui y sont embauchées correspond à 35% de l'emploi industriel et la valeur ajoutée correspond à 31% de la valeur ajoutée totale de l'industrie nippone.

- à Singapour 90% des entreprises sont des PME, elles interviennent à concurrence de 40% dans l'emploi industriel.

- en Corée du Sud 95% des entreprises sont des PME, leur participation à l'emploi industriel est de 38% avec une valeur ajoutée industrielle à hauteur de 19%.

Ce n'est pas par hasard si de nombreux pays ne lésinent pas sur les moyens indispensables à mettre à la disposition des PME comme notamment l'octroi d'un régime fiscal bien équilibré avec l'évacuation volontaire des contraintes, c'est parce qu'elles impactent sensiblement le secteur économique correspondant et qui représente un pan entier de l'économie de plusieurs pays. C'est là un grand « plus», ce qui a permis pour certains pays de pouvoir surmonter la crise, en accusant un niveau de développement qui les met à l'abri des difficultés éventuelles, alors qu'à l'inverse l'Algérie se trouve à la remorque. Dans ces pays, le régime forfaitaire est conçu bien autrement, en étendant son champ d'application aux sociétés, ce malgré le fait que leur statut requiert dans leur gestion la tenue d'une comptabilité même sommaire,ce pour des raisons de transparence au sujet du résultat dégagé et aussi par mesure d'équité.

Au moment où en Algérie la création des PME bien qu'elle n'ait pas connu un certain essor qu'elle a connu dans le passé, le mouvement ne tarie pour autant, il continue à se poursuivre et c'est au moment d'assumer l'exercice effectif de l'activité pour prospérer qu'elles peuvent opérer une meilleure évaluation de leur régime d'imposition.

S'il n'y avait pas tant de complexité et tant de lourdeur en fiscalité, il serait possible à l'instar des autres pays une ascension exponentielle en termes de création d'activités pour aboutir à un taux du PIB d'un niveau assez appréciable et en tant que moteur de création d'emplois.

En attendant, certaines activités résistent malgré tout tant bien que mal en produisant un grand effort pour surmonter les difficultés rencontrées, alors que d'autres préfèrent à mi-chemin y renoncer, parce qu'elles n'ont pas la force de faire face à tant d'obstacles et c'est regrettable.

LES EFFETS CONTRASTES ET CONTREPRODUCTIFS DE L'IFU

Certes, si chacune des incohérences relevées dans l'application de l'IFU, en étant prise individuellement à part, les effets paraissent relativement moindres sur les PME, mais en revanche lorsque toutes les incohérences deviennent fréquentes et sont agrégées les unes aux autres pour former une sorte de bloc compact, cela risque d'aboutir irrémédiablement à un sérieux dysfonctionnement.

Pour insister davantage sur ce point crucial, lorsque les incohérences se multiplient à une cadence telle que celle-ci devient difficilement maîtrisable, comme c'est le cas pour l'IFU, alors leur acuité tant redoutée ne peut être évitée, d'où l'intérêt en l'occurrence d'identifier à charge les effets contrastés (1) et contreproductifs (2).

1-Les effets contrastés :

Les effets contrastés se situent généralement au niveau de deux axes principaux, à savoir :

- d'une part, la technique spécifique à laquelle il est fait recours et qui est restée, ce malgré quelques timides souplesses opérées, tellement rigides dans son agencement, ce qui rime difficilement avec la simplification annoncée avec pourtant tant d'insistance,- et d'autre part, le taux prohibitif appliqué comportant une incidence sensible au niveau de la structure des prix, pour tenir compte du principe selon lequel l'impôt constitue une charge et non une source de dommage.

Dans les deux cas, il y a un frein au développement des PME, ce qui débouche parfois à leur perte tout simplement, comme expliqué comme suit :

a) S'agissant d'abord de l'axe consacré à la technique :

Il ne fait aucun doute que telle qu'elle est actuellement conçue et instrumentalisée, la technique ne parvient pas à se départir des méthodes surannées qui ont toujours continué à être mises en œuvre comme à l'accoutumée dans le passé, comme pour se complaire à évoluer continuellement dans les sentiers battus.

Malgré quelques timides améliorations enregistrées ici ou là, la technique fait toujours l'objet d'un atavisme, ce qui pose pour le s entreprises un véritable problème de compréhension et de maîtrise, dans la mesure où l'élaboration des textes reste toujours attachée à un schéma qui n'a pas tellement évolué avec comme ancrage l'usage d'un style ésotérique qui ne se prête pas facilement à une accessibilité.

A telle enseigne dans le jargon de la fiscalité, il est utilisé parfois à la place de l'expression « contribuable » qui bien que désignant dans sa réalité le cas des entreprises et des particuliers n'exprimant pas pourtant les mêmes besoins, la notion d'« assujetti », qui renvoie à une hiérarchisation au niveau des relations entre l'administration fiscale et les contribuables.

A noter que dans les autres pays, il est donné plutôt préférence à la notion d'« usager » voire même de « clients », sauf que cette dernière notion relève de la terminologie de la gestion privée. Singulièrement même la communication pourtant destinée aux contribuables pour leur permettre de saisir la portée pratique des conditions d'application de toute mesure en vigueur, n'est pas épargnée par ce genre de vocabulaire parfois désuet.

Le comble, les contribuables sont obligés de s'y plier au risque de se faire pénaliser injustement, alors que l'adaptation de la technique aurait été vivement souhaitable et même elle est devenue incontournable dans les temps qui courent.

Pour peu que l'on cherche à se questionner sur l'existence des effets contrastés qui caractérisent l'IFU, il est facile de découvrir qu'en grande partie, c'est la lourdeur et la complexité qui en sont directement la cause essentielle.

Certes, les formules probablement séduisantes en apparence sont utilisées pour justifier l'IFU, mais combien elles se heurtent dans les faits et d'ailleurs la nouvelle expérience de cet impôt en témoigne, s'il en était besoin.

C'est dire qu'il y a absence de véritables canaux de dialogue entre les contribuables et l'administration fiscale qui exerce le pouvoir régalien en accomplissant une mission de service public dans un périmètre d'intervention très étendu, veut avoir la compétence exclusive de concocter les textes en vase clos ne tolérant souvent aucune immixtion ou interférence extérieure, ce qui risque ainsi de paver encore plus la voie vers le progrès.

C'est dire que l'administration fiscale jusqu'à ces derniers temps a toujours fait montre de résistance en s'arcboutant sur des pratiques devenues désuètes, puisqu'elle continue encore à gérer la fiscalité dans son pré-carré, sous l'empire de l'économie administrée, laissant peu de place à l'exercice de la concertation avec les partenaires avisés qui auraient pu y introduire une dynamique salutaire.

C'est à croire que les décideurs s'en sont appropriés indéfiniment sans parvenir à se défaire de certains conservatismes, ce malgré le réalisme et le pragmatisme qui priment avec clarté dans le contexte actuel. Certes, le concours de cadres généralement dotés en termes de compétence d'une grande valeur professionnelle il faut le reconnaître, sauf que l'élaboration de la fiscalité continue à s'appuyer sur des normes qui ont besoin fortement de s'adapter au contexte actuel en pleine mutation pour permettre à la politique fiscale de retrouver sa vocation, celle d'être moderne et opérationnelle à l'effet d'être nécessairement au service du développement.

Il est vrai les PME ne sont pas suffisamment outillées pour être en mesure d'appréhender toutes les subtilités des arcanes usitées à dessein actuellement provenant du traitement sémantique spécifique et étriqué de la fiscalité.

Or, sur ce plan en Algérie, cette méthode d'approche accuse encore un certain retard et pourtant il existe plusieurs services ou organes chargés de soutenir et d'assurer la promotion des PME pour ne citer entre autres que la structure habilitée au sein du ministère de l'Industrie et aussi l'ANSEJ, l'ANDI, l'APSI.

De même, en prévision du renforcement de ces structures d'appui, le nouveau projet de loi érige l'Agence nationale de développement et de modernisation des PME (Andpme) en un instrument efficace de l'Etat chargé de la mise en œuvre de la politique de développement de la petite et moyenne entreprise dans la perspective de la renforcer et lui permettre d'accomplir dans de parfaites conditions ses nombreuses missions.

Ainsi, au titre des structures d'appui au niveau local et les démembrements de l'Andpme, le projet de loi propose que les centres de facilitation et les pépinières d'entreprises soient rattachés à cette agence pour être érigés «Centres d'Appui et de Conseil aux PME « et constitueront, de ce fait, les démembrements de l'agence au niveau local.

De surcroît, l'Andpme sera renforcée par deux nouveaux départements: le premier est celui de «Système de veille et d'information sur les PME» (fonctionnant comme un observatoire de la PME), tandis que le second sera dédié directement à la «Promotion de la sous-traitance».

A la faveur de cette seconde structure, il s'agira de confier également à l'Andpme une autre mission de mise en œuvre de la politique de l'Etat en matière de promotion de la sous-traitance, lui facilitant d'agir en coordination avec les bourses de sous-traitance qui continueront, en tant que structures associatives, à promouvoir l'implication et l'engagement des entreprises dans ce domaine.

L'autre nouveauté du texte réside dans la mise en place de Fonds d'amorçage pour encourager la création de start-up innovantes.

Il faut espérer qu'à la faveur de cette construction nouvellement consolidée, les conditions paraissent réunies pour escompter des avancées tangibles en ce qui concerne le fonctionnement des PME, d'autant que le pays a grandement besoin de leur apport pour compenser les moins-values causées par la chute drastique du prix du pétrole et ce avec toutes les retombées bénéfiques sur le plan économique et social.

b) S'agissant ensuite de l'axe se rapportant au taux prohibitif de l'IFU :

En s'appliquant sur le chiffre d'affaires et pour qu'un système fiscal soit crédible et légitime, il importe que le taux retenu soit juste et équilibré, afin que les entreprises l'acceptent et soient amenées à remplir sans rechigner leurs obligations.

Or, tel qu'il est déterminé au stade actuel, leur adhésion ne semble pas être acquise, car il risque forcément de mettre abusivement en péril leur activité. Le régime de l'IFU réservé initialement aux personnes physiques est redimensionné pour être étendu aux sociétés représentées généralement par les PME, ce qui paraît inédit dans la mesure où le mode de structure et de fonctionnement qui s'y attachent ne procède pas de la même logique, tant il existe un net démarquage.

A suivre

(*) Ex-Expert international en fiscalité auprès des Organisations internationales et auteur d'ouvrages traitant des problématiques en fiscalité