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Trahison ou fidélité du corps diplomatique à l'étranger ? La question de la résilience de l'Etat et la leçon syrienne

par S. Bensmail

2éme partie

Destruction des services publics et résilience de l'Etat syrien

Dès 2011, plus les fonctionnaires faisaient preuve d'attachement au service public qu'ils devaient au peuple syrien, plus les exactions les visaient en deuxième ligne, juste après les militaires assassinés ou capturés27. Dès les premiers mois, de nombreuses vidéos d'atrocités ont circulé sur le net, montrant l'égorgement ou la décapitation de ces agents de l'Etat qui ont tenu leur poste à l'arrivée des «rebelles modérés» dixit le Quai, soit modérément décapiteurs.        

D'autres nous montrent, depuis des centres des impôts, des postes, des usines, des centrales électriques, leur défenestration ou au mieux leur cruel asservissement pour les basses besognes28. Le but pour ces groupes armés islamistes et leurs sponsors était et reste toujours d'éliminer toute présence de l'Etat. L'escalade actuellement en cours à Alep, et les pilonnages incessants (des hôpitaux d'abord, puis des lieux d'enseignement, enfin des autres équipements publics, en parallèle avec les quartiers résidentiels), démontrent cette volonté systématique et planifiée de briser le moral de la population et de l'Armée. Il ne s'agit plus de tirs aléatoires aux moyens artisanaux, mais bien de feux d'artillerie constant, coordonnés et précis, selon de nombreux témoignages entendus.

Est-ce vraiment une coïncidence si Alep devait devenir, dans les cinq années à venir et avec ses 65.000 entreprises prévues à terme, le premier moteur économique du monde arabe, le lieu de convergence d'un haut degré technologique, industriel, scientifique et financier 29?

Ces dernières semaines, après tant d'avanies et d'engagements non respectées par l'Empire depuis la chute du Mur de Berlin, la Russie a feint d'être étonnée et de (re)découvrir la duplicité des USA lors des accords de cessez-le-feu de Genève. La trêve a, comme prévu, servi non seulement à stopper l'avancée remarquable de l'Armée syrienne et de ses alliés (après la prise de Palmyre ouvrant la voie à Raqqa), mais aussi à acheminer plus de 2000 tonnes d'armement sophistiqué et 7000 terroristes par la Turquie (sans compter les autres passages), tout cela sous l'égide de la CIA. Petite pause donc, avant escalade majeure ? Tout porte à le croire.

Alep, «la mère de toutes les batailles»30.

A l'heure actuelle, les USA menacent de détruire l'aviation syrienne et même russe au nord de la Syrie, afin de protéger ses propres unités spéciales (conseillant les milices kurdes extrémistes) qui agissent illégalement sur le sol d'un Etat souverain. Du jamais vu. Les Mig 29 syriens sont désormais escortés par les fameux SU-35 russes; c'est dire la tension.

Briser l'Etat en détruisant ses services publics et en terrorisant ses fonctionnaires me rappelle l'Algérie dans sa période la plus noire du GIA et de l'AIS (1992 ? 2002), leurs menaces et exactions à l'encontre notamment des inspecteurs des Impôts, des journalistes, chercheurs, enseignants, professeurs, médecins, sans parler des ouvriers et techniciens, etc. C'est ainsi que l'un de mes chers amis, de l'Université de Batna, circulait régulièrement avec quelques collègues (comme des milliers d'autres à travers tout le pays) en autobus ou en voiture, sans aucun porte-document ni ouvrage. Kamel avait ses cours notés sur quelques feuilles pliées en quatre dans ses poches, en prévision des « faux barrages » de terroristes décrits notamment par l'imMonde1 comme des « révolutionnaires », de simples « militants » pro-démocratie.

Propagande, propagande?

Les oiseaux de mauvais augure ont dû manger leurs chapeaux, frustrés par ce pays plusieurs fois meurtri mais toujours récalcitrant, debout.

L'Etat a alors pu résister durablement face au terrorisme islamiste avec la synergie de son armée et de son administration, synergie appuyée par le soutien de la grande majorité de sa population soucieuse de paix et de stabilité. Selon un haut fonctionnaire à Alger, dévoué à son pays depuis sa jeunesse passée au sein du FLN, le rôle peu mentionné de l'administration publique a en effet été primordial lors de la « décennie noire ».

En Syrie, dans cette guerre sans pitié contre une nébuleuse internationale de groupes essentiellement takfiristes d'obédience wahhabite (prônée par nos amis les Séoud, qui se font décorer à Paris de la légion d'honneur), le président Bashar Assad a réussi à imposer un principe essentiel face aux « faucons » : celui de maintenir, coûte que coûte, le paiement des salaires et des retraites de tous les fonctionnaires travaillant ou non dans les zones sous contrôle terroriste. Ceci a réaffirmé l'autorité de l'Etat, complété intelligemment la reconquête des zones perdues ainsi que la politique de réconciliation nationale. Autre principe tout aussi important, cette fois-ci militaire : la reprise des quartiers, villages et villes s'est toujours faite avec le souci de préserver les civils, contrairement aux innombrables dépêches occidentales et à leurs fameux « barils d'explosifs ». Ce principe tactique continue de coûter cher à l'Armée Arabe Syrienne mais permet, dans la durée, de conserver cet appui populaire si vital2. Plusieurs faits me viennent à l'esprit, à propos de la résistance des fonctionnaires (ou futurs fonctionnaires) syriens, résistance inimaginable depuis les salons feutrés des ministères parisiens.

Ce directeur des Antiquités à Tadmor, ou Palmyre, sauvagement exécuté puis pendu ? son corps ayant été jeté aux chiens avec interdiction à quiconque de l'enterrer.

Ce vieil homme de grande culture a fait preuve d'un courage inouï en refusant de fuir à l'arrivée des hordes sauvages, préférant se consacrer avec ses proches au sauvetage des plus belles pièces historiques (jusqu'aux derniers moments précédant l'entrée en ville des assaillants). Il a refusé de s'agenouiller dans ce simulacre de justice cher aux terroristes dopés au Captagon, pour être finalement égorgé3 ? Paix à son âme.

A ce jour, je n'ai encore rien lu comme réel hommage à cet amoureux de l'Antiquité dans les médias français, pourtant adeptes de ce type d'exercice, le ministère de la Culture4 ou par les intellectuels qui dominent la scène parisienne. Terrible aveu de cynisme et de mépris de l'homme, aux antipodes des valeurs françaises qui rendaient la voix de la France si respectée.

«Ce sont vos morts?»

Je me rappelle aussi la décision, inique, du gouvernement prétendument socialiste d'interdire la tenue des dernières élections présidentielles dans les consultas syriens en France, entrainant un grand mouvement de solidarité et de mobilisation étatique, ce qui a permis aux Syriens en France de voter à Damas lors d'un voyage court.

Enfin, lors d'un entretien à bâton rompu, une médecin libanaise, formée en Arabie Saoudite mais loin d'avoir été « haririsée », m'a appris avoir reçu plusieurs étudiants syriens aux prises avec leurs banques respectives ? qui les empêchaient de recevoir leur bourse de Damas. Je savais que des bureaux de poste jouaient servilement les auxiliaires de Police pour des titres de séjour dépassés ou simplement inexistants de certains de leurs clients5, pas des banquiers se mêlant de géopolitique !?

Ceci éclaire à la fois sur le climat de zèle malsain qui règne dans un pays sans repères et sur l'étroite connivence entre le milieu de la finance et les ennemis de « Bashar, le bourreau de son peuple »6.

Le philosophe Michel Onfray le dit à sa manière : La « république bananière » qu'est devenue la France est dirigée entre « copains coquins (?) formatés à l'ENA ? Sciences Po ». Elle « n'a plus de vision ni d'intelligence politique. » Seule demeure « une soif absolue de pouvoir, sans pensée géopolitique (?) ni politique arabe ». Sa diplomatie désastreuse est désormais assurée par des « techniciens mondains »7.

A suivre