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Rapts d'enfants: Les lignes rouges, les faux interdits

par Mahdi Boukhalfa

Après la triste affaire de la petite Nihal, disparue puis retrouvée morte, dans un bois, en Kabylie, en juillet dernier, une autre enfant de six ans a failli être kidnappée, ces deux derniers jours, à Batna, n'était-ce la vigilance des citoyens.

Ce «fait divers» interpelle la société algérienne sur ce phénomène de rapts d'enfants qui a tendance, malheureusement, à perdurer. Pour autant, ce « fait divers », aussi dramatique soit-il, est du pain béni pour la presse, tous supports confondus. C'est d'ailleurs sous la pression médiatique, qui a repris en choeur les « peurs » de la rue après la mort de la petite Nihal, que le gouvernement a mis en place un plan national de prévention de kidnappings d'enfants, «Alerte rapt/disparition d'enfants» . Le texte du gouvernement stipule, notamment, que « sous la direction du procureur de la République de céans, tous les organismes publics concernés (médias publics dans leur ensemble, supports publicitaires, opérateurs de téléphonie mobile, ports, aéroports, gares, etc.) seront, ainsi, sollicités pour relayer l'alerte dans une synergie préétablie, à l'effet de concourir à retrouver l'enfant en danger, en vie, dans les meilleurs délais possibles. » Cette instruction a été, cependant écornée par un communiqué de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel (ARAV), qui interdit pratiquement la diffusion de toute information, image ou bande sonore relative à une affaire de kidnapping. Dans un communiqué rendu public, hier mardi, l'ARAV rappelle ainsi les médias, en particulier les chaînes TV, à « une observance des valeurs et des règles professionnelles, en plaçant les événements dans leur juste contexte et en se fiant exclusivement, comme l'exige la loi, au communiqué du procureur de la République compétent, qui lui-même travaille en coordination avec les services de sécurité, avant toute diffusion d'image ou d'information de façon à éviter tout ce qui est de nature à perturber le cours de l'enquête et de la recherche ». En clair, l'ARAV interdit pratiquement aux TV la diffusion de toute information ou image relative à une affaire de rapt en cours, avant l'intervention du procureur en charge du dossier. L'ARAV semble, cependant oublier que bien souvent, dans notre pays, rares sont les interventions des procureurs sur des affaires de kidnapping, ou de meurtres d'enfants. C'est bien de rappeler aux chaînes TV et autres médias, y compris la presse écrite, qu'il ne faut se « fier qu'aux communiqués » du procureur en charge de l'affaire, encore faut-il que ces derniers se manifestent. Dans l'affaire Nihal, il n'y a eu, en tout et pour tout, qu'une seule conférence de presse, presque à l'épilogue, alors que la disparition de l'enfant entrait dans sa deuxième semaine. L'ARAV, qui veut en réalité rappeler à l'ordre certaines chaînes TV versant, un peu trop, dans le sensationnel, sans apporter d'autres informations, se piège elle-même, en allant jusqu'à intimer, avec forts rappels de lois, aux TV de ne rien diffuser sur une affaire de kidnapping s'il n'y a pas au préalable un communiqué de l'autorité judiciaire, qui est celle du procureur. Question: et s'il y a un silence trop long de cette autorité, que doit faire la presse ? Attendre, ne rien dire, se taire, tenir l'opinion publique en otage d'informations qu'elle détient et qui se recoupent avec celles de l'autorité judiciaire ? Or, il est de tradition que nos institutions communiquent peu ou pas sur certains dossiers sensibles, sur certaines affaires délicates, au point qu'un climat de suspicion règne entre la presse et ces institutions. Et puis, plus loin dans son communiqué, l'ARAV, invite tous les professionnels à éviter le style sensationnel, les interviews et autres entretiens incitateurs pouvant porter atteinte aux libertés individuelles. Ce qu'omet de dire l'Autorité, c'est que la profession, même avec des entités cherchant le sensationnel, a plus besoin que n'importe quelle autre partie dans ce genre d'affaires d'informations crédibles, sûres et non biaisées, à n'importe quel moment du déroulement de l'affaire. Cela, hélas, ne s'est pas encore vu jusqu'ici. Ailleurs, en France comme en Allemagne ou aux Etats-Unis, et même en Belgique, tout le monde attend, se fie et reprend les déclarations du « Procureur », car celui-ci est le premier à intervenir sur le plan médiatique, pour qu'il n'y ait pas de dissonances dans les comptes rendus de presse, et fait le point de situation, dans le cas d'un rapt ou de violences contre des enfants, ou de terrorisme, au moins une fois par jour, au fur et à mesure du déroulement de l'enquête des services de sécurité, et quelques heures seulement après l'événement. Question: cela est-il possible en Algérie?