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Dans la peau d'un citoyen ordinaire, la réalité est encore amère

par Nourredine B.

Il y a quelques jours j'ai vécu une expérience très révélatrice de ce qu'endure le citoyen ordinaire quand il a affaire à un service qui ne porte de «public» que le nom.

Du fait, de mon lieu de résidence, une ville moyenne par le nombre de ses habitants et dans laquelle j'ai toujours vécu, fait mes études et en fin où j'exerce mon métier, il m'est alors très rare que dans une administration je ne trouve quelqu'un qui ait été un voisin, un ami d'enfance, un camarade de classe ou un collègue qui me facilite mes démarches au point où je pensais naïvement que tout le monde était traité de la même façon. Je ne me rendais pas du tout compte des difficultés que pourrait rencontrer un citoyen qui ne bénéficie pas de ces atouts jusqu'au jour où j'étais contraint de me rendre dans la capitale de l'Ouest pour régulariser un dossier que je n'ai pas pu faire, mon emploi du temps ne le permettait pas; j'ai saisi l'occasion de mon congé pour être sur place. Après avoir traîné toute une matinée d'un bout à l'autre de la ville dans une circulation stressante, j'ai pu enfin localiser ladite administration et avoir l'information que les jours de réception sont le lundi et le mercredi de 08 heures à 11h30. Comme nous étions dimanche, j'ai attendu le lendemain pour être sur place à 8h30 en bas de l'immeuble. Rien n'indique que nous sommes devant une administration recevant le public. Il n'y avait aucune plaque à l'entrée. Il faut demander pour confirmer. J'ai dû monter un escalier mal éclairé assez abrupt jusqu'au 2ème étage. Arrivé dans un hall qui servait en même temps de salle d'attente, je me trouve face à une jeune dame sollicitée de toutes parts par de nombreux citoyens. Chacun voulait avoir réponse à ses interrogations mais, implacable, elle ne semblait pas avoir un quelconque attribut sauf celui de demander à tous de revenir mercredi: «Il n y'a personne! Tout le monde est en congé!» J'ai demandé «est-ce qu'il n'y a pas un service minimum assuré ? Est ce qu'il n'y a pas un responsable à qui s'adresser ? ».

La réponse était la même « revenez mercredi !» Un des citoyens s'adressa à la jeune employée « je viens de l'étranger voulez-vous que j'achète un autre billet pour revenir ?» Elle resta immuable ! Elle avait une seule consigne faire revenir les gens après. Tout en me résignant j'ai compris que c'était une journée perdue d'autant que j'ai vu que tous les bureaux étaient fermés.

Avant que je rebrousse chemin, je lui demandai une dernière fois de vérifier avec moi si le dossier était complet car j'ai remarqué qu'il y avait un imprimé exigé (sur une liste accrochée au mur) et que je n'avais pas en ma possession, elle me rétorqua que c'est un imprimé interne délivré sur place.

Je devais alors prendre mon mal en patience et attendre le mercredi pour revenir ! Cette fois-ci je pointais à 8heures et quelques minutes. En arrivant dans le hall, un silence de mort régnait. Toutes les chaises étaient prises. Les gens se regardaient dans une semi-obscurité. Les lumières éteintes, les portes fermées. Certains, comme moi, venaient pour déposer leur dossier, d'autres pour s'enquérir de l'avancement des leurs. Les gens se plaignaient de la lenteur. Il y a ceux qui attendaient depuis des mois, ceux qui viennent de loin, des personnes âgées, des malades. Ce n'est qu'à 8 heures 20 que le premier fonctionnaire pointa de nez ! C'était le caissier. Il nous expliqua d'emblée, comme pour justifier son retard, qu'habituellement ce n'est pas son poste et qu'il est là juste pour rendre service ! À en croire qu'il était là par simple bénévolat ! Nous lui rappelons que nous étions déjà venus lundi et qu'on nous a «chassés» car tout le monde était en congé, semble-t-il. Il s'étonna et nous fit savoir que c'était juste la caisse qui était fermée et qu'ils pouvaient bien recevoir les dossiers et différer le paiement (des droits et taxes) à ce jour !

À 8 heures 30 un deuxième employé arrive avec un verre de café à la main ! (déjà) C?était le préposé au service des archives. Quant à moi, je bouillonnais de l'intérieur. J'avais un pressentiment que ça allait mal se passer. Je n'ai pas l'habitude de me laisser faire avec des fonctionnaires irrespectueux envers leur boulot et envers les citoyens. À 8heures 45 arrive enfin celle à qui je devais remettre mon dossier. Remarquant l'impatience justifiée des gens qui l'attendaient, elle lâche laconiquement en refermant la porte de son bureau : « attendez le temps que je souffle un peu et que j'arrange mon bureau ». A 9 heures seulement elle reçoit le premier citoyen. Je devais passer en troisième position. A la manière dont elle parlai avec lui, -la porte était ouverte ; on pouvait entendre tout ce qui se passe- j'ai tout de suite compris qu'elle tentera de «liquider» carrément le maximum de dossiers sans les enregistrer. Elle lança : « l'adresse est incomplète il faut préciser le quartier, retournez au service concerné pour qu'ils puissent corriger ça !». Arrivé mon tour, elle me fit la même remarque tout en me délivrant en plus un imprimé que je devais remplir et certifier auprès des services de la mairie ! Furieux, je lui répliquai que « je suis venu le lundi et que j'ai bien demandé si le dossier était complet et qu'il était alors possible ce jour-là de me remettre cet imprimé que j'aurais pu certifier et être prêt pour ce jour au lieu de perdre encore mon temps pour y aller le faire maintenant et revenir pour refaire la queue sachant que le service ferme à 11 heures 30 ». Elle répondit sèchement que « lundi on ne travaillait pas, on n'a pas à vous remettre quoi que ce soit ! ». J'ai demandé « est ce qu'il y a un responsable pour se plaindre de ce mépris envers les gens ? Alors, d'un air insolent, elle me répondit « allez-y vous plaindre là où vous voulez ! ». Je n'ai pu me retenir de lui faire remarquer « qu'elle était en retard d'une heure et que cela équivaudrait à un vol du temps imparti aux citoyens » ; ce à quoi elle répondit «tout d'abord je travaille dans le cadre de l'ANEM » (l'agence pour l'emploi) une façon de dire que je suis mal payée et surtout je n'ai de compte à rendre à personne. « Tu n'as pas le droit de me pointer et d'ailleurs je ne travaille pas chez toi », « en plus tu peux bien maintenant espérer pour déposer ton dossier ! »

A ce moment-là j'avais compris que cette administration semblait être livrée à une bande sans foi ni loi et que les responsables se foutaient éperdument de l'ambiance qui régnait. Les administrations, heureusement, ne se valent pas, elles sont à l'image de leurs responsables. La preuve et qu'il ne m'a fallu que quelques minutes pour certifier le fameux imprimé à la mairie dont je félicite le personnel et qui mérite d'être citée, celle d'El Othmania. Dès l'entrée, il y a avait un bureau d'accueil et d'orientation, chose qui faisait défaut dans le premier service où beaucoup de personnes perdaient leur temps et leurs nerfs dans la chaîne uniquement pour demander un renseignement !

Une fois revenu à ce service sinistré par ces indus occupants, je me trouvais en face d'une cohue.         Un employé se disputait avec un jeune citoyen. L'ambiance était celle d'un véritable souk et non une institution étatique. Il exigeait de lui, pour recevoir son dossier, d'aller remplir un imprimé à la machine à écrire ! (quelle aberration ! je me demandais si ça existe encore !) Alors qu'il avait déjà rempli ce document au stylo, chose qu'il n'a pas pu assimiler et c'était parfaitement compréhensible mais c'était sans compter sur le dictat de ce fonctionnaire sorti de son bureau pour proférer des menaces à l'encontre du jeune ! J'ai appréhendé ce moment et je voulais à tout prix éviter une nouvelle confrontation avec cette indélicate employée. Auparavant, j'avais remarqué la présence d'un jeune homme portant un cartable et qui semblait être un habitué des lieux et bien introduit car il n'a pas fait la chaîne avec nous et, au moment où j'étais au bureau, il est entré et, sans même qu'elle lui laisse le temps de s'asseoir, elle lui demanda s'il a ramené de nouveaux dossiers. Tout porte à croire qu'ils se connaissaient bien. Quant à moi, tout en gardant ma place dans la chaîne, une deuxième fois encore. Debout face à la porte, je l'aperçus dans un deuxième bureau. Je décide alors de l'aborder. Il était un peu surpris. Je lui demandai s'il pouvait faire les démarches à ma place, car je n'avais pas le temps et que je n'habitais pas la ville en contrepartie j'étais prêt à le rétribuer pour le dérangement. Tout d'un coup son visage s'illumina il m'a d'abord demandé si mon dossier était complet. J'ai répondu par l'affirmative. Et pour quand j'en avais besoin, ce à quoi j'ai dit que ce n'était pas urgent mais il fallait que je règle ce problème. Il me parla alors d'une voix chuchotée qu'il avait l'habitude de traiter directement avec le premier responsable actuellement en congé et que ce sera réglé en 2 ou 3 jours ! J'ai tout de suite compris où est-ce qu'il veut en venir.

Alors je lui ai bien expliqué que ce n'est pas une corruption que je vous propose mais que c'est une rétribution pour le temps que vous aurez passé à ma place pour obtenir mon document ! C'à quoi il me répondait que dans un pareil cas ses frais s'élevaient à 15000 DA !! Somme que je préfère débourser à la limite chez un avocat qui a pignon sur rue. J'ai refusé évidemment son offre. Entre-temps arriva mon tour et en rentrant au bureau j'étais loin d'imaginer que j'allais être pris dans véritable traquenard. En effet, au bureau il y avait maintenant pas moins de trois autres employées, toutes des jeunes femmes auxquelles s'est jointe une autre dame plus âgée. Cette dernière, qui semblait être leur supérieure, sans se présenter, m'expliqua que par manque de personnel c'est des recrues de l'ANEM qui «rendaient service» quand soudain toutes ces filles qui d'ailleurs n'étaient pas présentes au moment des faits ont pris corps et âme avec leur compère qui les avait remontées contre moi. Elles commencèrent à profaner à mon égard des insultes que je ne peux relater tellement c'était immonde, sans aucun égard ne serait-ce qu'à mon âge (d'ailleurs je ne me suis même pas présenté) et des menaces qui m'ont fait perdre mes nerfs et auxquelles j'ai dû répondre à l'adresse de cette recrue de l'ANEM par une seule phrase «menteuse et pourrie» c'était le moins que je puisse qualifier cette énergumène d'une arrogance et d'une bassesse indigne d'une employée d'un service public.

La dame qui semblait être une responsable, au lieu de prendre l'ascendance pour calmer les esprits et remettre à leur place ses subordonnées, elle prit au contraire part à l'agression et demande à ce qu'il faudrait faire appel aux agents de l'ordre. D'agressé je me retrouve soudain agresseur. J'ai vite pris conscience qu'elles m'avaient tendu un vrai guet-apens et qu'elles étaient prêtes à aller plus loin en témoignant faussement contre moi pour me retrouver face aux tribunaux. Une tactique bien rodée pour dissuader tout récalcitrant. C'était évidemment leur parole contre la mienne tout ça pour avoir osé rouspété contre les abus d'une administration et réclamer mon droit. En fin de comte, le bilan n'était pas assez reluisant : trois jours de congé perdus, des insultes et un dossier renvoyé aux calendes grecques.

Il s'agit là d'une vraie histoire qui peut arriver à n'importe qui mais qui reflète la déliquescence et le laxisme qui prévalent dans certaines de nos administrations quand elles ont affaire à un simple citoyen qui se retrouve désarmé et désabusé face à une machine infernale qui jouit de la protection de responsables insoucieux et sous couvert d'une impunité sans faille.

Je n'ai pas voulu sciemment citer l'administration en cause (dont je pourrais saisir plus tard à titre personnel son responsable dans l'espoir qu'il ignore comment sont traités les gens par des fonctionnaires sous sa responsabilité et qu'il croira bien à ma version des faits et ne persistera pas comme d'autres à vouloir dédouaner coûte que coûte ses administrés). L'objectif n'est pas d'en faire une affaire personnelle mais de dénoncer les abus qui sont monnaie courante encore aujourd'hui malgré tous les efforts consentis pour redorer le blason du service public, c'est une occasion pour s'exprimer au nom des nombreuses victimes qui ne peuvent le faire pour des raisons multiples. Des solutions urgentes doivent être trouvées à ces dépassements qui empoisonnent le quotidien des simples citoyens face à des fonctionnaires véreux, sans conscience professionnelle et de surcroît sans de vrais responsables à qui ils doivent rendre compte.

Parmi tant de propositions, nous pouvons en proposer certaines qui vont dans le sens de l'amélioration du service public encore pris chez nous dans les jougs de la bureaucratie et du sous-développement :

- Le citoyen doit avoir la possibilité de faire recours de la façon la plus simple face aux décisions arbitraires de l'administration sans le décourager avec des procédures complexes et coûteuses qui découragent les plus déterminés.

En mettant en place par exemple un numéro vert, une adresse mail, un médiateur.

- Obliger les responsables à répondre aux doléances et plaintes des citoyens et à les informer des suites de leurs requêtes.

- La nécessité de faire respecter scrupuleusement les horaires de travail surtout pour les services recevant le public en établissant et en généralisant un système de pointage qui sanctionnera automatiquement les retards et les absences non justifiées dont les conséquences sont subies par les simples citoyens.

- La désignation de personnel qualifié et expérimenté et sa formation à l'accueil des citoyens.

- La mise à disponibilité de distributeurs de tickets numérotés dans toutes les administrations pour éviter les incidents entre les citoyens et barrer la route aux passe-droits.

- La mise à disposition de distributeurs automatiques de boissons chaudes et froides pour venir à bout de cette fameuse manie qui consiste à quitter son travail pour prendre un café au coin de la rue et abandonner son poste pour de longues minutes et parfois à plusieurs reprises laissant les citoyens dans leur désarroi.

- La création à chaque service d'un bureau d'orientation et d'information qui désengorgera à coup sûr les services où les gens se trouvent souvent perdus, sans interlocuteur, en encombrant inutilement les espaces.

- La nécessité de centraliser les démarches quand il s'agit de services interdépendants et éviter aux citoyens les va-et-vient entre des administrations qui dépendent parfois d'un même ministère.

- La généralisation de l'informatique pour le suivi des dossiers administratifs, le téléchargement des imprimés, la prise de rendez-vous au lieu de se déplacer parfois de très loin pour avoir une information ou se retrouver devant un service «fermé».

-La création de sites internet pour tous les services publics à l'échelle locale et nationale, consultables et réactifs aux doléances des administrés.

- La mise en place d'un système de vidéosurveillance qui donnera un sentiment de sécurité aux employés victimes d'agressions verbales ou physiques et évitera aux citoyens les tentatives de chantage, d'intimidations ou d'abus et qui, en cas de litige, aidera à rétablir la vérité.

- Assurer la continuité du service public quelles que soient les contraintes.

Le citoyen, déjà accablé par la dureté de la vie, devra être soulagé au maximum de cette pression bureaucratique inutile. Il faut redonner espoir et rendre au service public sa véritable vocation d'assistance et éviter que le fossé ne se creuse encore plus entre administrés et administrations.