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Le discours

par El Yazid Dib

«Chercher à plaire aux hommes par des discours étudiés et un extérieur composé est rarement signe de plénitude humaine». Confucius

Le sage doit toujours ménager l'idée et la parole. L'idiot vole l'idée et fait l'emprunt à la parole. Les mandats tirent à leur fin. Les élus aussi tirent à leurs fins. Comme la nature ne tient plus à produire des génies inventifs et comme les pigeons ne peuvent plus picoter les grains d'antan, la mode reste à l'imagination tendancieuse de se faire remarquer telle une divinité artificielle de siècle ultime ou d'époque plate et insipide. L'on se montre dans les fêtes, dans les toiles. L'on se recrée de nouveau avec cette envie de refaire encore le tour parlementaire, voire électoral tout court. Ça sent si bien que c'est irrésistible de se laisser partir. Le goût pris suscite l'attraction à le rester le plus longtemps possible.

Tout se dit. Tout s'infirme et c'est rarement que la vérité nationale se confirme. La parole ou l'écrit, déversé ou esquissé sans sens de responsabilité ne voulait, dans la confusion, que semer davantage le doute et la suspicion. Cette néo-maladie qui touche, à travers les bouches, tout le corps social sans aucune distinction. L'héroïsme électoral, l'appel à la rébellion ne sont-ils pas pour les profanateurs de la mémoire des tombes ou les ennemis de l'économie (nationale) qu'une simple production salivaire, tout près d'une revanche sur l'histoire et juste à coté d'une démonstration de force ? En l'état, le pays n'a, sans illusion, rien à gratter de cet investissement verbal. Il fallait discuter programme, organigramme et non pogrom des idées ou syndrome de la ruée et de l'émeute. Nos futurs candidats redécouvrent maintenant la voix et le franc parlé citoyen. Ils veulent tchatcher.

Partant du privilège que la parole, la bonne parole pieuse et généreuse est aussi un attribut divin, celle ci est chez l'homme un outil contondant ne servant à la guerre que comme à la guerre. Même son usage, dans des moments où seule la bonté chauffante des mots pourrait éclipser un tant soit peu l'angoisse et le meurtre ; n'est plus empreint en termes de condoléances, de sympathie et de compassion. Tout est sec. Vite et rapide. Qui peut se souvenir d'un quelconque adage prophétique ou d'une maxime philosophique prononcés pour la prospérité nationale, par l'un de nos leaders politiques, gouvernementaux au sein du pouvoir ou dans l'opposition ? Ils ont beaucoup parlé mais n'ont rien dit. Ils produisent à l'appel et à la pelle d'innombrables élocutions, ils mâchent, ils rabâchent tous les mots dans tous leur sens au point de les rendre insignifiants et poliomyélitiques. Ce seront les suceurs du verbe qui auront à récolter toute les fautes de leur grammaire mal-appliquée. Les adeptes inscrits éternellement dans les listes qui se préparent n'inspireront jamais les poètes de demain ni n'alimenteront les étagères culturelles qui auraient un jour à nourrir les futures procréations. Ils ont la voix ces candidats, députés, élus locaux, ils ont aussi la parole, mais toujours aussi qu'ils ne pourront, hélas avoir l'éternité d ?une sentence ou l'immortalité d'une phrase. ils ne sont conservés que par l'expression produite à l'aide de signes oraux remplissant par la simplicité de dire les choses en choses les êtres en êtres. La parole. La bonne parole sensée, expressive et lourde.

Que les parleurs, les porte-paroles, les porte-voix, charmeurs ou aux charmes envoûtants, ne puissent se prévaloir un jour d'avoir déversé dans le vocabulaire algérien, des notions thématiques dignes d'un rang académique. L'emploi du mot « ghachi » « chouracratie » « terrorisme résiduel » « parler avec l'avion » « l'urne ou la rue » « deputé spicifik » ?et autres balourdises ne fera pas ouvrir aux potentiels auteurs les portes de l'académie des belles-lettres de la nation ou leur octroyer la chaire de l'histoire de la linguistique humaine. Ils pourront à la limite faire corps au personnel compressé de la production salivaire. De l'air en l'air. Aucune conviction. « Il existait, naguère, un exercice auquel devait se livrer tout candidat à l'élection : la rédaction de sa profession de foi. Nous avons gardé la profession, mais nous avons perdu la foi» disait un jour Charles Pasqua.

Le « candidat » devra mastiquer la morphologie de son débit oral. Il doit avoir, pense-t-on un problème dans les cordes vocales. Un semblant de bruit anonyme brouille la clarté voulue dans l'intonation de ses prêches. Les autres aussi. Car l'imitation stupide d'un bon orateur par un prétendant à la bonne oraison ; finira par devenir ; pour défaut de communication ; qu'une imbécillité. Parler comme le faisait le candidat de 1999, n'est plus un jeu rentable. Les baffles et tout le matériel sonore de l'époque connaît un autre emplacement ; les oreilles sont toutes autres. Les auditeurs les mêmes. Pour arriver à convaincre la foule, il suffit, d'abord de pouvoir savoir se débarrasser de cette épingle qui cloue votre luette. L'expression est une symphonie. Ensuite, pour vouloir rabattre vers soi l'électorat, il faudrait jouir d'une compétence avérée en matière de création d'enthousiasme et d'effervescence. Le délire verbal n'aura en aucun cas le mérite d'être une verve. Savoir prononcer un mot d'ordre, un slogan ou un générique de campagne, c'est quelque part une assurance préalable d'obtention de voix indécises.

La différence qui existe entre une idée bien bâtie et le mode oral de son expression reste cloîtrée, à peine d'être perdue justement dans ce timbre qui caractérise la force ou la faiblesse de l'idée. La parole d'honneur de tous les hommes d'honneur est la même. Cette campagne qui vient de s'annoncer avec tous ses avertisseurs sonores nous aurait encore une fois démontré l'incapacité de notre effectif politique à provoquer par les miracles de la parole des revirements spectaculaires et engendrer par voie de conséquence un engouement sans scrupule. Or tous les candidats déchus ou à venir, qu'ils parlotent, discourent ou se taisent ont et auront toujours leur parterre, leur auditoire ; qui d'avance demeure acquis avec ou sans « paroles ». La « hazbia » et la « assabia » et l'evidence de la « chkara » l'emportent sur l'art oratoire. Pourrait-on dire qu'à l'expérience vécue, les précampagnes électorales ne servent en finalité à rien du tout. Tous sont par anticipation parqués là où ni la parole ni le programme ni l'homme-candidat ne paraissent avoir un quelconque attribut de faire changer le « parking des voix ».

Outre certaines insanités, contre-vérités assenées ça et là, nos candidats n'avaient eu, en unique œillère ; qu'un goût d'assouvir des besoins ressentis par leurs urnes ouvertes. L'on aurait rien retenu comme adage, sentence ou axiome prônant l'authenticité du génie littéraire algérien et puissent faire date. Nul n'avait eu à citer en référence un poète ou un chantre algérien pour étayer ses dires enfin ses fantaisies fantasmagoriques. Le terme « peuple » avait pu peupler la totalité des discours. Il aurait fait le plein si des statistiques auraient à traiter la terminologie usitée durant ces campagnes.

A quelques encablures temporelles de ce marathon où par philosophie, c'est à la parole de faire des grâces et des merveilles. De susciter des recrutements ou d'exciter des défections. Que « les paroliers » prennent du recul à l'égard de l'outrage et du mensonge. La fin n'est pas dans le moyen. Celui-ci ne justifie pas l'affront et la vexation. L'affinage du discours, par l'extraction des immondices, ne manquera certainement pas de procurer la gloire à ceux qui prêchent sainement même s'ils s'avouent vaincus ou que l'ont aurait par crainte ou « émeute » fait vaincre. A votre écoute messieurs les candidats. Il n'y aura rien de neuf dans le discours. Toujours les mêmes tons, les identiques emphases et l'on recommence?.