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LA DEPRIME DES GENS QUI PENSENT !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Un incendie au Paradis. Femmes, religions et cultures. Recueil de chroniques de Amin Zaoui. Tafat Editions, Alger 2016, 215 pages, 500 dinars

L'Islam politique d'aujourd'hui, tel qu'il est vécu, pratiqué et défendu n'est pas, n'est plus compatible avec la société moderne. L'Islam politique va mal car il n'y a pas, il n'y a plus de front d'intellectuels éclairés pouvant ou osant faire le nettoyage dans les textes fondamentaux. L'Islam politique va mal, enseigne la fitna par le biais, bien souvent, d'un enseignement inadapté et séditieux. L'Islam politique va mal parce que nous passons notre temps à jouer à la victime éternelle d'on ne sait quels complots extérieurs. L'Islam politique va mal en raison des deux maladies chroniques que sont la sacralisation et la diabolisation... deux faces de la même médaille.

C'est, schématiquement, tout ce qu'a voulu re-dire, ou re-crier (puisque toutes ces chroniques ont déjà été publiées dans la presse quotidienne (en 2014-2015 et 2016) par l'auteur qui n'a pas sa plume dans son plumier. Sans détours, il va droit au but, choquant parfois mais bien clair, comme il nous en avait habitués dans ses romans, entre autres.

Un livre de protestations et de dénonciations ! Des chroniques ! Des réflexions et des idées sur des faits de société! Il s'est «attaqué» à tout ce qui ne tourne pas rond, parfois avec rage: L'hypocrisie religieuse, politique et intellectuelle, la léthargie de la langue arabe classique.... «non cultivée», les nouvelles «villes» sans espaces culturels, Ibn Khaldoun qui, bien que grand sociologue, était un «opportuniste» en matière de religion, la défense de la culture «libre» pour combattre la philosophie (sic !) aveugle du «Un», la dénonciation des faiseurs de «fitna» qui «rongent» les espaces et la vie quotideinne, le sort malheureux d'un conquérant, Tarik Ibn Ziyad, qui finit sa vie en mendiant sur le seuil de la mosquée des Omeyyades à Damas, les spectacles culturels sans spectateurs, la femme, les écrivains et les artistes objets de haine, le mal causé par les télés religieuses satellitaires, le vide culturel et le sort malheureux du livre dans un pays ayant un million et demi d'étudiants universitaires et cent mille encadreurs pédagogiques... mais où un livre n'est tiré qu'à trois mille exemplaires... et se vendant bien moins, la citoyenneté (avant la religion), le respect du travail et du temps, l'esclavagisme des temps modernes, les dictatures, la religion et la musique... Un trésor de «vérités» qui dérangent beaucoup mais qui «mettent le doigt dans la plaie»... sans détours. Quel courage !

L'Auteur : Né en novembre 1956 à Bab El Assa, enseignant à l'université d'Oran, (département des langues étrangères), Docteur d'État en littératures maghrébines comparées, directeur du Palais des Arts et de la Culture d'Oran, directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie (qui avait connu alors une intense activité culturelle et intellectuelle) avant qu'il ne soit brutalement «vidé» (Khalida Toumi était alors ministre de la Culture), membre du Conseil de direction du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC), conférencier auprès de plusieurs universités étrangères, de nombreuses activités culturelles internationales (juré, rencontres, colloques )... et animateur d'émissions culturelles télévisées. Romancier bilingue (arabe et français), auteur prolifique ; et, plusieurs de ses œuvres sont traduites dans plusieurs autres langues.

Extraits : «Toutes les guerres sont sales, mais les plus sales parmi elles, sont celles dénommées «les guerres saintes» ( p 36), «Les plus durs des durs des fanatiques, les plus durs des salafistes, les plus durs des chefs islamistes appellent à l'application de la charia islamique dans leurs pays et rêvent de vivre, eux et leurs enfants, dans un pays laïc» (p 46), «Les trois langues qui cohabitent en Algérie d'aujourd'hui, avec complicité intellectuelle et politique, se partagent les pouvoirs... l'arabe pour Allah, le tamazight pour la résistance et le français pour la gouvernance» (p 67), «Un pays est grand, non par son immensité géographique ou par le nombre de têtes de sa population, mais par le génie de ses habitants» (p 103), «Il n'y a pas d'Algérie en bonne santé sans une école en très bonne santé» (p179), «La société arabo-musulmane n'a aucune estime, aucune considération pour le temps, parce que le temps est lié au travail, parce que le travail est lié au capital, parce que le capital est l'image du Juif et de l'Occident athé» (p 211)

Avis : De la philo, de la littérature, de la politique, de la poésie, de la défense des libertés, du droit au rêve, du droit à la citoyenneté... mais beaucoup d'amertume et de colère. Déconseillé aux «faibles» d'esprit. Déprimant... en raison de la force des «vérités» assénées sans ménagement.

Citations : «Toutes les langues sont bâtardes. Et les langues les plus fortes sont celles qui forniquent le plus. Celles qui vivent dans la trahison continue. La pureté dans les langues est une illusion.» (p 51), « La vie a besoin d'utopie pour souffler le sens du rêve dans les jours et dans les mots» (p 54), «Depuis le cinquième siècle de l'Hégire (....) un membre corporel n'a pas travaillé, n'a pas bougé, dans le corps du musulman : le cerveau. En contrepartie, ce qui a bougé, pendant cette période (....), c'est le membre génital. Ce membre est omniprésent dans le conscient et l'inconscient !» (p 109), «La société qui n'arrive pas à conjuguer le rêve à la raison est une société égarée» (p 172),

L'Aigle et la Plume. Textes choisis 1975-1999. Recueil d'écrits de Kheireddine Ameyar (présenté par Taous Ameyar, l'épouse, les enfants Nadim et Maya ainsi que par Nordine Azzouz et préfacé par ce dernier), Anep Editions, Alger 2016, 565 pages, 1 200 dinars

Lire les écrits de Kheireddine (ou bien plutôt les re-visiter pour ceux qui avait suivi son parcours professionnel qui dura plus de trente années ), c'est effectuer un voyage dans un espace-temps incontrôlé et, de toutes façons, devenu incontrôlable. Il y a, aussi et surtout, la vie d'un pays, avec des va-et-vient, dans un désordre au départ déroutant mais en définitive éclairant. Une Algérie se fissurant, produisant (ou ressuscitant) mille et une failles sociétales, récentes ou lointaines. Et, au milieu, un homme écartelé dans un monde (médiatique et politique) de plus en plus incompréhensible? qui, après un «long séjour parmi les hommes, refusa de demeurer avec l'infamie». Durant sa carrière (trop courte à mon sens, mais si riche puisqu'il a connu un grand nombre de titres et, cerise sur le gâteau (sic !), l'«Ordre du mérite» de notre époque et de la corporation, des «mises au placard», un «retrait de passeport» et un «licenciement» dans la presse écrite... En tant que journaliste, mais aussi en tant que reponsable éditorial, il s'est toujours singularisé par la «folle envie d'écrire et de dire». C'est ce qui fait qu'il s'est intéressé à tout et à tous. C'est ce qui fait l'extrême richesse du recueil : de la politique (intérieure et extérieure), de la «vie» des partis, nouveaux et anciens, de la culture, de l'histoire, du sport (il a été le premier à «lancer» un magazine des sports de qualité et à très grand succès, bien qu'il ait été produit alors par Revaf', le journal du Fln... qui, c'est vrai, commençait à s' «ouvrir» aux réformes)... Aucun genre journalistique ne lui était étranger : le commentaire, l'analyse, le reportage, l'interview (dont celui de A. Ben Bella en août 1990, avant son retour en Algérie), le portrait (des portraits fins : Khadda, Assia Djebbar, Djamel Allem, Mohamed Zinet, Djamel Amrani, R. Boudjedra, S-A Agoumi, R. Mimouni, B. Karèche, Hachemi Chérif, M. Toumi, A. Mehri, Abdelaziz Morsli... ).Aucune actualité nationale ou internationale liée au pays n'avait «échappé» à son œil. Déjà de l'aigle dans sa démarche, mais se servant de sa seule plume.

L'Auteur : Né le 13 avril 1946 à Alger, diplômé des premières promotions (la seconde francophone, je crois, en compagnie de Abdou B et de Talmat Amor-Ali et d'autres grands noms de la presse nationale : Hamdi, Sobhi, Ayache, Saïdani?) de la première Ecole nationale supérieure de journalisme, alors sise rue Jacques Cartier (Alger-centre) à la fin des années 60, svp ! En pleine effervescence intellectuelle. Il travaille dans plusieurs journaux et revues nationales : Après un bref passage à la Cinémathèque nationale, Radio Chaîne 3, El Moudjahid-quotidien, Algérie Actualités (dont il fut le directeur de rédaction, du temps de M. Hamrouche? avant de subir le «licenciement ghozalien» ), Révolution africaine où il créa Afric 1 sports, El Moudjahid de nouveau, La Nation (journal de statut privé) ? puis, la loi d'avril 90 aidant, il fonde, le 5 octobre1994, avec Bachir Chérif et Baya Gacemi, entre autres, en pleine «effervescence » islamo-terroriste, le quotidien de langue française La Tribune. Connu alors (et depuis toujours, en tout cas je l'ai connu ainsi à l'Ensj et chaque fois que nos chemins se croisaient) pour sa verve et son style à nul autre pareil.

Auteur d'un roman (publié à titre posthume, Anep éditions), «inachevé... mais complet» disais-je, que j'ai présenté fin 2015 et que j'avais alors classé en très bonne position dans la liste des dix meilleurs ouvrages de langue française de l'année... tout particulièrement parce qu'il avait une charge philosophique encore introuvée chez bien nos intellectuels, même les plus grands.

Extraits : «Son parcours fut riche, il revitalisa son intérieur et atteint l'érudition dans de nombreux domaines, se privant de tout pour l'acquisition d'un livre comme d'autres se damnent pour une augmentation de salaire» (Nadim Ameyar, p 18), «Il avait la plume curieuse et pérégrine, le trait d'un aristocrate de la presse, assez décontracté pour aborder sans complexe et avec virtuosité des sujets finalement pas si lointains de relation (...). Chez lui, quelles que soient les rubriques, il ne parlait en vérité que de l'Algérie, de ses splendeurs et de ses misères» (p 29), «... La dilection (ndlr : amour pur et pénétré de tendresse spirituelle) qu'il avait (pour Mouloud Hamrouche) n'était ni béate et encore moins personnalisée. Elle était pétrie de la conviction qu'Octobre (...) n'était pas une «évolution des rancœurs vers la rupture», mais l'aboutissement d'un processus de luttes populaires pour le changement» (Nordine Azzouz, préface, p 31), «Quand il n'écrivait pas, il passait à l'oral... Le goût des bons mots et des belles formules lui venait alors à la bouche. Son art (très auto-centré) de la conversation était de véritables cours de journalisme, la rhétorique en prime et un appétit inimitable pour le débat qu'il ne concevait, quand il était sérieux, qu'en duelliste et qu'à voix haute» (Nordine Azzouz, préface, p 31)

Avis : A lire absolument, mais lentement et, surtout, en contextualisant à chaque fois. Bien saisir la date de parution, le titre de presse et se souvenir. Car si le personnage Ameyarien n'avait pas changé, ce sont les autres qui changeaient constamment... trop vite ou trop mal à son goût. Quant au style, chacun appréciera selon sa formation et ses penchants littéraires. En tout cas, il a fait école. J'ai noté, par ailleurs, que Mme Ameyar, dans sa présentation (p 12... écrit de décembre 2011) , a été assez (trop ?) sévère à l'endroit de la presse et des journalistes... estimant globalement qu'il n'y a plus de «cercle vertueux»... pour emprunter à «qui vous savez».

Citations : «Un journaliste, cela sert aussi à créer des journaux !» (p 483), «Informer d'abord, autant que la paranoïa du secret, véritable culture de l'Etat, le permettra. Informer en passant l'épreuve de la double lecture après celle du double éclairage. Expliquer ensuite ou, plus probablement, essayer d'expliquer, si l'on a compris soi-même ce qui n'est pas toujours l'évidence « (p 484)

Bonheur à petit prix. Mémoires de Abdelkader Khelil, Editions (Illisible), (Lieu d'édition non précisé) 2015, 169 pages

Grand nostalgique des années de son enfance que cet auteur. Successivement, il évoque, durant la période coloniale, dans les années 50, les «enfants caméléons», obligés d'aller, très tôt le matin, à l'école coranique avec tout ce que cela comporte comme difficultés et souffrances (tout particulièrement en hiver et ajoutez-y l'incontournable falaqua du taleb, toujours le mech'hat à la main et toujours insatisfait par le manque de zèle des gamins pour l'apprentissage du texte coranique )... et, juste après, courir très vite à l'école publique française, une «école du savoir», mais aussi celle de l' «humiliation» et de la «culture de la félonie», avec, souvent, un maître toujours avec une règle en acier à la main servant à punir les élèves... surtout les petits arabes.

Par la suite, c'est la tournée des «beaux» métiers du moment dont celui du père, maître bottier ; un métier d'art qui s'est totalement perdu, engloutissant avec lui l'atmosphère récréative et la convivialité riveraine. Et, enfin, c'est la vie sereine du quartier Essbais (à Mascara) : Les voisins pieds noirs, les femmes courage, les figures marquantes (surtout celles du football), les jeux et les loisirs... avec la guerre qui s'annonce, à travers certains faits militants. Avec, au bout, l'Indépendance du pays... et des jeunes hommes très tôt appelés aux responsabilités. Une histoire se termine avec l'enfance et une autre commence avec l'âge adulte, avec ses espoirs et ses déceptions... dans un grand bain de nostalgie et de regrets.

L'Auteur : Né à Mascara (Douar Essbais, lieu historique de la deuxième Moubayaa à l'Emir Abdelkader), études secondaires aux lycées de Mascara et Ibn Badis d'Oran, études supérieures à Bordeaux I, Docteur en sciences biologiques (1975).

Extraits : «Dans les temps difficiles d'autrefois, on commençait toujours par corriger son «rejeton» avant toute explication dans ce royaume des grands où les petits, ces bouches nombreuses à nourrir trainés comme un boulet, ont toujours tort» (p 48), «Nous sommes passés de cette culture du strict minimum, «el quanâa» à celle de l'étalement des richesses facilement acquises et forcément accompagnées par un gaspillage démesuré» (p 119)

Avis : Aucun... Trop de nostalgie (d'un passé d'enfant) et de «leçons» de morale de vie (l'authenticité couvrant les traditions). Et, pour lui, la guerre d'Algérie n'est pas encore finie tant qu'il n'y pas la reconnaisance des crimes coloniaux et la repentance.

Citation : «L'école d'antan était celle de la tête bien faite, du respect des usages, de la mixité des valeurs républicaines et des valeurs d'authenticité. C'était, aussi, celle du courage et de l'abnégation de petits bonhommes en avance sur leur âge, parce qu'élevés dans la difficulté, dans l'austérité et nullement gâtés. Elle aura permis à l'Algérie indépendante de disposer de cadres...» (p 74)

PS : Abderrahmane Zakad, un homme qui a toujours «rué dans les bracards», un «agitateur culturel» comme on n'en connaît plus, est décédé le 5 juillet 2016, à l'âge de 77 ans. Né à Sétif en 1938, ancien officier de l'Aln puis de l'Anp, ayant quitté l'uniforme en 1964, urbaniste, Abderrahmane Zakad a écrit une dizaine de romans (parfois à compte d'auteur ) qui traitent de la société algérienne en transformation (tradition, mœurs, coutumes), et des recueils de poésie. En plus de ses œuvres littéraires, l'auteur s'est intéressé au patrimoine. Il a réalisé trois films documentaires à caractère socio-urbanistique.

Son dernier-né (présenté dans «Mediatic» du 25 mai 2016) «L'Innocent» est un roman-fiction orwello-sansalien nous plongeant dans une Algérie (ruinée !) en 2020. Histoire très rythmée, tenant en haleine. Un roman trop vrai ! C'est, en fait, le roman «Les Amours d'un Journaliste», publié à compte d'auteur en 2012 ( donc bien avant «2084, la fin du monde» de Sansal ) avec un autre style d'écriture, certes «travaillée», recherchée, mais plus accessible, roman revu et augmenté.

Quelques citations zakadiennes : «Quand une chose est spécifique n'ayant ni auteur, ni origine, ni expérimentation et ni histoire, il ne faut s'attendre qu'à une catastrophe spécifique», «En mathématiques, la constante de Planck permet de résoudre des équations insolubles, en politique, les constantes, c'est la planque», «Le sida, la maladie du siècle, trente millions dans le monde, mais l'Algérie n'était pas trop atteinte? parce que le virus refuse d'occuper des corps improductifs. Y a rien à bouffer», «La raison d'Etat s'est employée à nous distraire de notre histoire et nous avons abdiqué. Nos historiens jouent au foot sur un terrain de volley», «Les fonctionnaires ont toujours une peur bleue des journalistes, le silence est leur sac de couchage», « Devant la hogra, un homme seul se morfond, deux hommes raisonnent, dix hommes protestent, cent se révoltent et une foule saccage»