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La Ligue arabe : combien de divisions ?

par Cherif Ali

Appelé sommet de l'espoir, il n'aura nourri, en définitive, que les sarcasmes des uns et des autres avec, en prime, la rage de voir les potentats arabes et les chefs d'Etat, mal élus, le bouder !

Il s'agit du 27ème sommet de la Ligue arabe qui s'est tenu le lundi 25 juillet 2016, à Nouakchott, en Mauritanie ; un mini sommet en fait, vite expédié en une journée, et qui a consacré les divisions politiques des Etats membres. Il faut dire que les divergences étaient tellement mises à nu lors du dernier sommet de Charm El Cheikh (2015), où l'Egypte et l'Arabie Saoudite avaient tenté d'imposer aux pays membres la participation à l'organisation d'une force arabe commune, que beaucoup d'observateurs avaient fini par croire que la cohésion entre les pays arabes, à l'aune des guerres civiles, en Syrie, en Lybie et en Irak, avait définitivement volé en éclats lorsque des avions « arabes » avaient bombardé le Yémen et ses populations civiles.

Les pays du Golfe, Arabie Saoudite et Qatar, qui dominent cette institution ne cachent plus, d'ailleurs, leur volonté de la transformer en instrument des pays occidentaux.

Les Palestiniens, eux, l'ont bien compris et ils n'ont compté que sur leur action propre et le soutien de nombreux amis, comme l'Algérie, pour faire des pas de géant dans leur lutte. Depuis le 29 novembre 2014, la Palestine est entrée à l'ONU ! Depuis, de nombreuses voix s'élèvent pour dire, haut et fort, qu'il faut quitter la Ligue arabe incapable d'intervenir en Libye où elle entretient le chaos, en Syrie où elle soutient, franchement, la rébellion ou encore au Yémen où sa voix ne porte plus.

Le ministre Ahmed-Taleb Ibrahimi, ancien chef de la diplomatie algérienne estimait à son époque, déjà, dans des propos repris par un journal en ligne, « que la Ligue arabe ne sert absolument à rien et qu'il était temps d'en tirer un trait ; les Arabes, a-t-il dit, sont tombés dans le piège du sectarisme ; on parle, maintenant de sunnite, chiite et autres ». L'ancien ministre avait souhaité, par ailleurs, que « les dirigeants égyptiens dont le pays abrite la Ligue, fassent preuve de hauteur et dépassent leurs crispations politiques et idéologiques et ouvrent les points de passage pour les Ghazaouis ».

L'Egypte, faut-il le dire a complètement « phagocyté » moralement, administrativement et financièrement la Ligue arabe car, si l'on excepte l'intermède du Tunisien Chadli Klibi qui avait assuré le secrétariat général de la Ligue arabe pendant la durée où le siège avait été transféré à Tunis, suite à ce qui a été considéré comme « trahison» de l'Egypte (Accords de Camp David), cette organisation a toujours été entre ses mains.

Il faut, aussi, rappeler la levée de boucliers de la part des Egyptiens et des autres membres influents, lors du sommet de la Ligue arabe d'Alger, lorsqu'il a été question de réformer cette instance, en mars 2005. Et surtout, de présenter au perchoir un candidat algérien !

Après Taleb Ibrahimi, c'est la secrétaire générale du Parti des Travailleurs, Louisa Hanoune, qui avait, courageusement, donné de la voix, lors d'un meeting tenu à Oran, pour dire que « l'Algérie ne tirerait aucun honneur à rester dans la Ligue arabe qui a autorisé la livraison d'armes à l'opposition armée syrienne ! ».

Les charges contre la ligue arabe, n'ont pas cessé, pour autant! Le quotidien gouvernemental libyen ?Al-Chams', par exemple, a rigoureusement dénoncé, à la veille de l'ouverture du sommet de la Ligue arabe, au Qatar, « la division entre l'Orient et le Maghreb arabe ». L'article avait tenu à faire observer que « les pays de l'Orient arabe sont des membres essentiels, alors que les pays du Maghreb arabe sont des membres invités, uniquement, pour atteindre le quorum et remplir les formalités de la réunion et de la charte de l'Organisation ».

L'éditorialiste du quotidien ?Al-Chams' a ainsi appelé « les Arabes de l'Afrique du Nord à couper ce lien imaginaire et cette illusion avec l'Orient arabe et à s'attacher au groupe 5+5 (regroupant les cinq pays riverains de la Méditerranée d'Europe et d'Afrique) ; les intérêts au sein de ce groupe, écrit le journal de Tripoli, sont plus clairs, plus concrets, plus transparents et plus solides que les promesses falsifiées de l'Orient arabe et ses engagements qui ne se réalisent pas ». Le débat, comme on le constate, est toujours d'actualité, aujourd'hui plus que jamais, avec le flop de Nouakchott et le peu d'intérêt qui lui a été témoigné, par certains potentats arabes et autres présidents mal élus :

1. Faut-il quitter la Ligue arabe qui a vu ses murs se lézarder, sérieusement, qui n'en finit pas de compter ses divergences et qui roule pour les Occidentaux ?

2. La question mérite d'être posée, selon certains observateurs de la vie politique qui estiment qu'il est temps pour notre diplomatie de changer de braquet, pour travailler davantage à l'émergence d'un Maghreb « uni ».

3. Peut-on, aussi et surtout, parler de «divisions» entre pays du Machrek et pays du Maghreb ?

4. Oui, à croire ces extraits d'un discours politique prononcé par un dirigeant arabe qui a dit, sans ambages : « Il est vrai que ce qui unit les Etats arabes est bien plus important que ce qui les divise. Ces pays sont, en effet, unis par la force de l'histoire et de la civilisation, géographiquement, ils se compléteraient, naturellement, grâce aux ressources humaines et naturelles considérables qu'ils recèlent. Quant aux peuples arabes, leur unité est scellée par la communauté de foi, de langage et de culture, et aussi par les liens de sang, de fraternité et de destin partagé. La complémentarité est, certes là, mais peut-on parler d'union, tant il est vrai que chaque pays arabe est bien plus dépendant et tributaire de sa sous-région géographique que son appartenance à une communauté religieuse et culturelle ? ».

5. Et puis, culturellement, et en dehors de la langue arabe classique, quel lien pourrait-il exister entre des arabo-amazighs maghrébins et des arabes-bédouins de la péninsule ?

6. Peut-on dire, réellement, que l'arabe est un ciment, sachant que pas un seul arabe ne parle l'arabe classique, dans la vie quotidienne, chacun ayant développé son dialecte, différent d'un pays à l'autre et d'une région d'un même pays à une autre ?

La Ligue arabe, sans soute la plus ancienne des organisations afro-asiatiques a été la première à avoir fait de la décolonisation son objectif suprême. Elle peine, aujourd'hui, à retrouver ses marques, dans un monde qui a beaucoup muté. Les divisions qui minent ses membres l'accablent d'impuissance face aux défis énormes qu'elle doit relever de manière solidaire.

Elle a, encore, raté le coche à Nouakchott où un sacré coup lui a été porté par l'Arabie Saoudite car, au moment même où s'ouvrait le 27ème sommet, une délégation de personnalités conduite par un général à la retraite proche du cercle dirigeant de Ryadh, s'est rendu en Israël !

Ce qui autorise à penser déjà que :

1. L'unité arabe, depuis le temps qu'on en parle, ne soit qu'une chimère !

2. Elle est, très certainement, une nécessité stratégique, mais toutes les nécessités stratégiques ne sont pas, nécessairement, réalisables.

3. La Ligue arabe, en l'état, n'est qu'une coquille vide !

Faut-il, alors, envisager un « ligue-arabe-dz-exit » et le soumettre à référendum, même s'il est permis de rêver ?

Ou plus sérieusement, envisager, désormais, une participation et une représentation « a minima » de l'Algérie dans la mesure où les sommets arabes se suivent et se ressemblent dans leur indigence et leur incapacité à trouver des solutions aux problèmes qu'eux-mêmes, en tant qu'Etats, ils ont créés ?