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M. Sansal, écrivez? mais de grâce, taisez-vous !

par Farouk Zahi

«Une plume faible tache la littérature, une plume mercenaire la mine» (Hypolite de Livry- Pensées).

Si certes vous êtes bon écrivain, vous êtes par contre un impénitent polémiste. Vous dites dans votre entretien accordé à El Watan du mardi 26 juillet que « J'ai le droit de critiquer ce que je veux » ; partant de ce postulat, nous nous accordons le même droit pour contrevenir à vos propres propos. A la question : « Dans l'article que vous avez publié dans Le Monde, vous faites un parallèle inapproprié ? pour ne pas emprunter les qualifiants utilisés jusqu'ici par des centaines de lecteurs- entre le conducteur du camion de Nice et Zohra Drif, entre la Promenade des Anglais et le Milk Bar d'Alger? ».

Nullement démonté, vous dites : « C'est rigolo : le seul pays au monde où on me fait des polémiques, c'est?l'Algérie. ». Vous ne voulez quand même pas que l'on vous fasse des polémiques à partir de l'archipel de Bora Bora ou de l'île de Brunei quand votre fiel est déversé sur votre « propre pays », comme vous nous le rappelez si bien ? Vous continuez la diatribe en réaffirmant votre droit de critiquer : la politique du gouvernement, l'équipe nationale, le comportement des commerçants, les programmes de télé et le reste. Sur ce point, nous sommes tout à fait d'accord et nous applaudissons même, sauf que pour les constantes nationales, nous sommes intransigeants. Le tribut a été tellement lourd à la limite de l'insurmontable, que les réactions à votre « autodafé », car c'en est un, sont méritées quand vous le pratiquez sur ce que le pays a de plus sacré : sa Guerre de libération nationale. Osez le parallèle avec un certain Jean Moulin ! Et comble de l'ignominie, vous le faites à partir d'une tribune qui annonçait hier, le « dernier quart d'heure » de l'héroïque résistance d'un peuple qui n'aspirait qu'à la liberté. Ne doutons à aucun moment du génie créateur de l'écrivain, nous sommes sidérés de son ignorance des lois qui régissent la vie du pays. Sinon comment expliquer cette sortie inattendue où il dit clairement ceci : « S'il y a des choses qu'il est interdit de critiquer, qu'ils fassent des lois pour nous dire lesquelles et on cessera de les critiquer ». Alors là, ce n'est plus l'intellectuel qui disserte mais l'individu qui ignore tout de son extraction première ou plutôt qui feint d'ignorer qu'il fait partie d'une société dans laquelle il a longtemps baigné et tiré des dividendes matériels et moraux dont il jouit jusqu'à l'heure actuelle. Pour rappel, les lois dont il ignorerait l'existence sont contenues dans toutes les Constitutions élaborées de 1963 à 2016. La plus récente, dispose dans ses articles 50 et 52 du respect des fondements de l'identité nationale, quant à l'article 76, plus explicite, notamment dans son 3e alinéa, il arrête : L'Etat garantit le respect des symboles de la Révolution, la mémoire des Chouhada, la dignité de leurs ayants droits et des moudjahidine. A ce titre, tout contrevenant est passible de poursuites judiciaires. Comme nous sommes loin de cette probabilité, il ne sera jamais offert à M. Sansal l'opportunité d'une posture victimaire pour hurler avec les loups. Il sait pertinemment que ça ne se passerait pas ainsi s'il prenait de tels raccourcis négationnistes sur la Shoah ou autre génocide arménien. Il lui en coûtera, comme il en a coûté à Dieudonné. L'ignorance de notre éminent écrivain n'est pas, semble-t-il, que pour le législatif, elle l'est, apparemment, pour l'historique aussi. La comparaison entre le récent attentat de Nice et celui du Milk Bar dans les années cinquante est totalement incongrue. Si le premier est purement dogmatique, le second était d'ordre politique tout comme l'action des FFI lors de l'occupation allemande de la France. Ce raccourci est d'autant plus malhonnête qu'il élude, inconsciemment ou sciemment, l'inauguration du cycle d' attentats meurtriers par celui de la rue de Thèbes mené par le sinistre commissaire André Achiary qui s'était déjà illustré dans les massacres du Nord Constantinois en sa qualité de sous-préfet de Guelma. Nous ne terminerons pas le propos sans renvoyer notre illustre écrivain à cet édifiant article de LDH Toulon intitulé « Victimes du terrorisme : la mémoire sélective » qui, sans partialité aucune, en dit ceci : ?« Qui pourrait y trouver à redire ? Des victimes ou des proches des victimes, en provenance de 35 pays, qui témoignent de leur douleur, quoi de plus émouvant ? », écrit Alain Gresh qui poursuit cependant en qualifiant ce congrès d'«imposture» :

Et il revient sur l'attentat du Milk Bar à Alger le 30 septembre 1956 :

« Voici un attentat qui ne peut que susciter l'indignation. Une bombe dans un bar, qui fait 11 morts : qui pourrait approuver cette «lâche action» du Front de libération nationale (FLN) ? Pourtant, il suffit d'ouvrir un livre d'histoire [...] pour établir le contexte. La guerre a commencé le 1er novembre 1954, les combats se sont intensifiés, des négociations secrètes entre Paris et le FLN se déroulent durant l'été. C'est le moment, selon Wikipédia, que choisit André Achiary, ex-officier du SDECE qui fut sous-préfet dans le Constantinois au moment du massacre de Sétif (1945), pour monter l'attentat de la rue de Thèbes, dans la Casbah d'Alger, dans la nuit du 10 août 1956, qui fait 16 morts et 57 blessés. [3] »

Le contexte de l'époque

Dans son livre Escadrons de la mort, l'école française, Marie-Monique Robin rappelle la manifestation violente des « ultras », partisans de l'Algérie française, qui accueillit le chef du gouvernement français, Guy Mollet, de passage à Alger le 6 février 1956. C'est à la suite de cette « journée des tomates » que Robert Lacoste fut nommé ministre résident en Algérie, en remplacement du général Catroux :

[Encouragés par leur victoire du 6 février 1956, les militants de l'Algérie française les plus radicaux] « commencent à s'organiser en Algérie en groupuscules paramilitaires, sous la houlette notamment d'André Achiary, un ancien du SDECE qui fut sous-préfet dans le Constantinois au moment du massacre de Sétif.

C'est avec des membres de l'Union française nord-africaine, créée par Robert Martel, un viticulteur de la Mitidja, que l'ancien commissaire [Achiary] monte l'attentat de la rue de Thèbes, au coeur de la Casbah, le quartier arabe d'Alger. Commis dans la nuit du 10 août 1956, l'attentat fait soixante-treize victimes. [6] »Yacef Saâdi était alors adjoint de Larbi ben M'Hidi, chef militaire FLN de la Zone autonome d'Alger en 1956.

Il devait déclarer ultérieurement à Marie-Monique Robin : «Jusqu'au massacre de la rue de Thèbes, nous ne faisions des attentats à Alger qu'en réponse à des arrestations massives ou à des exécutions. Mais là, nous n'avions plus le choix : fous de rage, les habitants de la Casbah ont commencé à marcher sur la ville européenne pour venger leurs morts. J'ai eu beaucoup de mal à les arrêter, en les haranguant depuis les terrasses, pour éviter un bain de sang. Je leur ai promis que le FLN les vengerait [6]. Fin de citation.

Construire sa propre notoriété sur le compte de la mémoire collective qui, n'en déplaise à M. Sansal, n'appartient pas au régime politique en place mais à tout un peuple, est à notre sens de l'autoflagellation indécente qui fait fi des sacrifices suprêmes consentis par toutes les familles algériennes dont celle des Sansal de l'inexpugnable Ouarsenis qui mis fin au mythe du rouleau compresseur des Challe et consorts. Faute d'avions bombardiers, nos résistants et résistantes usèrent de prosaïques couffins piégés.