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Une année perdue pour l'économie algérienne

par Abed Charef

On ne réforme pas l'économie pendant les vacances. Il faut donc attendre la rentrée, c'est-à-dire la fin de l'année : 2016 est une année à blanc.

L'Algérie amorce un virage économique délicat en 2016. Face à une équation simple mais brutale, faite d'une chute des prix du pétrole, et donc des recettes extérieures du pays, le pays était supposé mûr pour engager des changements structurels de l'économie, en vue de tenter d'amortir le coup, à défaut de se lancer dans une nouvelle démarche économique. Personne, en fait, n'attendait un sursaut susceptible de combler le déficit prévisible de la balance des paiements, qui devrait se situer autour de 30 milliards de dollars, soit 15% du PIB. Personne non plus ne tablait sur le maintien d'un taux de croissance significatif ni sur une maitrise de l'inflation dans un seuil au-dessous de 4%. Mais nombre d'analystes pensaient qu'un minimum serait fait, d'autant plus que le gouvernement venait de confier les finances du pays à un homme qui développait un discours volontariste sur le thème de la réforme de l'économie.

Un semestre a été épuisé en cette année de 2016, et force est de constater que l'Algérie a strictement respecté ses traditions. Elle a procédé à un changement partiel de personnel, non des méthodes. Elle a cassé le thermomètre pour ne plus avoir à subir la fièvre.

M. Benkhalfa avait promis des recettes miracle avec sa loi sur l'amnistie fiscale et son projet d'emprunt obligataire. Non seulement le gouvernement a collecté peu de choses à travers ces mesures, mais il a mis genou à terre face aux forces de l'argent. En position de force, l'argent informel a refusé de payer une taxe de sept pour cent pour obtenir un blanchiment de fait ; il a attendu et obtenu un taux de cinq pour cent en sa faveur pour confier ses fonds à l'Etat.

Dinar et importations

L'Etat a ainsi abdiqué face à l'argent. Il a au passage sacrifié deux personnages clé, le ministre des Finances Abderrahmane Benkhalfa et le gouverneur de la banque d'Algérie Mohamed Laksaci. Le premier tenait un discours de réforme sans prise sur la réalité. Le second faisait semblant de faire respecter une certaine orthodoxie, mais malgré toute sa capacité à courber l'échine, il a été considéré comme un élément encombrant.

Dans le même temps, le gouvernement a tenté d'agir, en utilisant deux procédés. Il a d'abord laissé glisser le dinar -une mesure défendable, dans l'absolu, si elle fait partie d'un plan d'ensemble cohérent. Il faut désormais plus de 120 dinars pour obtenir un euro auprès des banques, et un peu plus de 180 dinars au marché informel. La dépréciation du dinar permet au gouvernement d'augmenter artificiellement la fiscalité pétrolière et les recettes douanières notamment, tout en rendant les importations plus chères, avec un effet important d'inflation importée.

Ensuite, le gouvernement a agi par une méthode qu'il affectionne particulièrement pour réduire les importations : l'interdit bureaucratique. L'exemple emblématique en est offert par les licences d'importation pour les véhicules. Le gouvernement a décidé, d'autorité, de diviser par deux ou par trois le nombre de véhicules importés, quitte à créer la pénurie et à déstabiliser le marché. C'est un choix qu'il a fait, et qu'il a assumé. Avec les licences d'importation et différentes formes de blocage, les importations de véhicules ont baissé de deux tiers durant le premier semestre 2016 par rapport à la même période de 2015.

Insouciance

Quel est l'impact de ces mesures, au moment où le pays s'engage dans le second semestre 2016 ? Le FMI et la Banque mondiale maintiennent, en gros, le même discours que celui des experts algériens indépendants. La corde s'étire, les tensions augmentent, il va être de plus en plus difficile de combler les trous, disent-ils. Ni une amélioration attendue de la production d'hydrocarbures ni un hypothétique rebond des prix du pétrole ne pourront redresser la barre. Ce qui ramène le pays au point où il était il y a cinq ans, ou deux ans, ou un an: le problème de l'Algérie n'est pas lié à la baisse du prix du pétrole, mais à l'organisation générale de l'économie. Ce problème ne peut donc être résolu en ayant un œil fixé sur le prix du brent, et l'autre sur les quantités de gaz exporté, mais en s'engageant résolument dans une révision déchirante des modes de gestion en vigueur. Or, ce virage ne peut pas être pris dans les conditions politiques actuelles. Ce n'est pas non plus le gouvernement Sellal qui va oser bouleverser la donne économique pendant la période des vacances, plutôt favorable au laisser-aller et au creusement des déficits.

Les Algériens peuvent donc partir tranquillement en vacances. A la rentrée, ils retrouveront le même pays, avec un dinar un peu plus bas, des déficits un peu plus amples, une marge de manœuvre un peu plus rétrécie, et des acteurs économiques toujours aussi insouciants. Visiblement, pour ces décideurs de l'économie, la charge est trop lourde. Ils n'ont ni la capacité de mesurer l'ampleur de la crise, ni la vigueur conceptuelle pour élaborer une démarche alternative, ni le courage politique et l'assise sociale nécessaires pour s'y engager, ni le savoir-faire managérial pour la gérer. On se contentera donc d'attendre comment les choses vont évoluer à la rentrée. Ensuite, il sera trop tard pour agir avant la fin de l'année. Concrètement, cela signifiera que l'année 2016 est perdue.