Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Algérie année 1 ou les rêveries d'un acteur solitaire de Hamid Benamar

par Fadela Hebbadj

L'engagement politique de Godard, la posture autobiographique de Truffaut ou la critique sociale de la bourgeoisie de Chabrol, Rivette? étonnèrent et emportèrent le public sur une vague qui dura dix années.

Ces lectures, engagées ou pas, sont le fruit de leur temps, malgré la censure. Mais les films de réalisateurs algériens et les images d'archives de " la Ferme Ameziane ", les camps de concentration et de la mort, en Algérie, sont absents des écrans de cinéma. Bien sûr, il y a des histoires d'appelés qui partent ou qui rentrent de la guerre d'Algérie, qui tombent amoureux ou qui s'ennuient, dans un monde où l'on tue. Comme si la guerre se résumait aux atermoiements de soldats français en permission. Seuls quelques-uns, dont Godard, qui filme la jeunesse ou Le petit soldat, s'engagent dans le risque et l'incertitude. René Vautier et d'autres font partie de ses archives. Mais le privilège des armes de l'Art cinématographique n'étaient pas aux mains des artistes algériens pour témoigner de leur jeunesse et de leur combat. Alger n'est pas une ville ouverte, et le païsa ne livre pas ses larges horreurs. Ces collections cinématographiques ne pénètrent pas le cœur de la grande douleur et de la grande tragédie algérienne. Car il aurait fallu l'engagement d'Algériens cinéastes pour décrire la réalité cachée des caméras françaises. Ailleurs, Pasolini éclaire l'Italie, Rossellini filme l'après-guerre, etc. Si le cinéma de Hamid Benamar m'interpelle, c'est qu'il est l'enfant de cette nouvelle vague et de cette guerre sans nom ; il est l'enfant qui eut comme seul jouet, en sa possession, une caméra. Bien tardivement, car c'est à l'âge de 14 ans que sa mère décide de la lui acheter, avec ses petites économies. Paul Valéry devine bien que certains regards sont le fruit d'une maturité d'esprit sur la vie. Le défi est accompli pour le cinéma. Les fins clins d'yeux de Hamid Benamra à Godard, Kubrick, et autres icônes subtilement convoquées, ont un goût d'un passé révérencieux. Il aura, donc, fallu beaucoup attendre avant de voir émerger une véritable œuvre cinématographique franco-algérienne. Nous nous sommes tant absentés de nos histoires. Quand l'amour dissoudra toutes ses couleurs sur la mémoire de l'Humanité, nous rendrons les portraits à leurs corps, nous exposerons nos pellicules périmées? nous rentrerons alors dans votre histoire. Et c'est, encore, la femme du réalisateur Hamid Benamra, Stéphanie, française, portant fièrement le haïk d'une moudjahida, durant la guerre d'Algérie, qui livre ces mots à l'histoire. Il se trouve que son haïk est celui de sa belle-mère. Et elle nous le révèle, dignement, dans le film. Le long métrage de Hamid Benamar intitulé : Les rêveries, possède une construction d'actions, une unité de sens s'en libère, sans début, sans milieu et sans fin, vierge du temps comme un long poème cinématographique. On y entend les échos de la guerre d'Algérie, les voix des artistes révolutionnaires de 1948, les martyrs des guerres coloniales, le prélèvement des symphonies de cinéastes, le souvenir mêlé de rencontres littéraires, politiques et cinématographiques, et l'acteur Mohamed Adar, couché sur la plage de Basse-Normandie où Hamid Benamra vit avec sa famille. Et pourtant, il n'y a, dans son magnifique film, aucune ruine matérielle des tragédies algériennes. C'est un genre nouveau, étranger aux Peintures parlantes habituelles, hors champ intérieur et extérieur, hors dualisme intelligible et sensible, car il y a, en effet dans son film, des touches maghrébines qui travaillent le temps à penser notre époque autrement, comme une sorte d'Algérie année 1, gorgée d'archives authentiques, de justice et de vérité. Un cavalier sous une capuche, comme sorti du cadre des images, trotte sur le sable. Est-ce l'Emir Abdelkader ou une simple hallucination générée par la caméra? L'effet est troublant.

Les martyrs reviendront cette semaine !

Ils sont bien revenus dans une fiction, qui n'apparaît ni tragique ni comique, incarnée par le protagoniste Mohamed Adar, célèbre comédien algérien. La rencontre des deux histoires (française et algérienne) a lieu. Les martyrs sont revenus. A travers la figure du clown Mohamed Adar, jouant son propre rôle, les martyrs sont revenus sous l'éclairage du monde. La voix de Stéphanie est claire, elle qui a fait le tour du monde à douze ans, se retrouve dans le cadrage du peintre cinéaste, conquise et actrice de la fable magique, ancrée dans ce réel, porteuse de charges affectives historiques. Sa présence est surprenante de profondeur et de générosité. Et la voix des cinéastes et des critiques questionnent, avec leurs images et leurs mots, les êtres et les choses : Farouk Beloufa, Borhane Alaoui, Ghali Choukri? Et une interrogation surgit : «Quelle est la société arabe qui est en guerre ? Et quelle est la société arabe qui est en paix ?». Un bref hommage est rendu aux journalistes de 'Charlie Hebdo' que Hamid Benamara connaissait bien. Remettons les pendules à l'heure : eux aussi dessinaient pour le peuple.

«On peut tuer les journalistes mais pas l'information.»

Les enchaînements d'images rêveusement organisées sont sans rupture. Le téléphone sonne en pleine nuit. Mohamed Adar est dans son lit. Rêvons-nous ? Car aussitôt, Il creuse sa tombe sur la plage de Basse-Normandie. Des hélicoptères militaires passent sur le littoral. S'agit-il du débarquement ou l'annonce du Napalm, dans l'Est algérien ? Les événements historiques se confondent. Mohamed Adar est dans un train. Le réalisateur n'est qu'un enfant lorsqu'il rencontre ce comédien sur scène. Il incarnait au théâtre, le candidat du parti politique des petits clous, aux élections présidentielles. Sur sa liste électorale, il n'y avait que des petits artisans qui réparent les sandales les plus éculées, aux bottines les plus distinguées. Ici, nulle contrainte de stars imposés par de vulgaires productions, aucune servitude industrielle cinématographique, mais un réalisateur de génie, qui durant sept années, s'est consacré à sa merveilleuse création, avec comme unique loi, sa liberté. Aucun critique français n'en a, d'ailleurs, parlé, pourtant présents aux nombreux festivals. " Au départ, il voulait filmer un conte avec une empreinte orientale." Déclare, Stéphanie, dans les Rêveries. Cette fable d' «empreinte orientale» n'est ni genèse ni dénouement. Il s'agit bien d'une puissance transformé en fiction.