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Richesses culturelles (méconnues)

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Dictionnaire des écrivains algériens de langue française, 1990-2010. Ouvrage sous la direction de Amina Azza Bekkat (Préface de Charles Bonn), Chihab Editions, Alger 2014, 329 pages, 1. 260 dinars.

Vingt-cinq (25) contributeurs d'universités algériennes et étrangères (France, Usa, G-B, Afrique du Sud ) et soixante-deux (62) écrivains algériens (d'ici et d'ailleurs) présentés à travers leur(s) œuvre(s). Tous, (les contributeurs) ayant une grande pratique des textes littéraires qu'ils enseignent. Résumés incitant à la découverte, biblographies aussi complètes que possible... le tout devenant un «dictionnaire encyclopédique» se limitant à l'essentiel (ce qui est estimé essentiel) se voulant aussi instrument de travail pour les enseignants et les étudiants.

Des «parcours de lectures» sous forme de notices, l'accent étant mis sur le style et l'écriture des auteurs.

Car, beaucoup ne s'en aperçoivent pas assez, la littérature algérienne de langue française a connu une évolution notable et importante en quelque décennies à peine. Elle n'a rien à voir avec le problème de langue(s), mais bien plutôt avec les dynamiques sociopolitiques connues par le pays.

Charles Bonn l'a très bien présenté : on a eu la période de l'émergence, «scénographie» d'une affirmation identitaire du groupe face à l'Autre (Dib, Mammeri, Feraoun, Kateb... et, aussi, Boudjedra et Farès). Une écriture singulière à l'évidente modernité. On a eu, ensuite, une littérature du témoignage, déjà amorcée avant les «années noires» et leur contexte tragique et qui va s'accélérer, avec un «réel» si lourd qu'il a rendu difficile l'écriture auto-réflexive de la modernité... Nouveaux écrivains, dont beaucoup de femmes et omniprésence d'une mort centrale... Délocalisation des intrigues (que Mohammed Dib avait commencée)... Diversification des éditeurs, en Algérie et/ou ailleurs, avec l'apparition de jeunes auteurs ... Production, au niveau de l'auteur, d'œuvres autonomes les unes par rapport aux autres, avec des textes relativement différents les uns des autres, rendant difficile les présentations didactiques de ces nouvelles écritures, et impossibilité de dégager des écoles ou des «courants littéraires». La «dissémination postmoderne», écrit Charles Bonn. Du pain sur la planche pour les futurs «critiques littéraires» !

L'auteur : professeur de littératures francophones à l'université de Blida (Sâad-Dahleb). A pris une grande part dans les recherches sur les littératures d'Afrique. A participé et dirigé plusieurs ouvrages collectifs, des revues...

Extraits : «Fallait-il introduire les auteurs qui vivent et écrivent ailleurs lorsqu'ils sont d'origine algérienne ? Le débat est ancien et les façons de le résoudre multiples. Là encore, c'est la renommée qui a fait la différence et nous avons décidé de garder les plus connus... » (Amina Azza Bekkat, avant-propos, p 9).

Avis : Outil de travail indispensable, bien qu'incomplet, nous laissant sur notre faim... surtout après être passé par la caisse !

Citations : «Les écrivains algériens se caractérisent par des façons de narrer et de composer qui constituent leur singularité» (Amina Azza Bekkat, avant-propos, p 8), «Le réel est trop lourd pour permettre l'écriture auto-réflexive de la modernité des années précédentes» (Charles Bonn, introduction, p 15), «Dans la plupart des textes des nouveaux écrivains que ces années voient surgir, et parmi lesquels les œuvres de femmes sont de plus en plus nombreuses, la mort est centrale et omniprésente» ( Charles Bonn, introduction, p 12)

Psychisme et Anthropos. Revue du Laboratoire d'Anthropologie psychanalytique et de Psychopathologie de l'Université Alger2. Alger-Bouzaréah, n° 1, 2015. 117 pages en français et 80 pages en arabe. Diffusion gratuite

Neuf (9) études en français et quatre (4) en arabe...d' enseignants chercheurs algériens et aussi étrangers. C'est ce que l'on découvre dans le premier numéro de cette nouvelle revue de laboratoire. Une première ? non, car il en existe bien d'autres tout aussi intéressantes. En fait, ce qui nous intéresse ici, c'est que le démarrage (de la revue alors que des rencontres, des journées d'études ou/et des séminaires ont eu lieu, créant de la matière), en raison des lourdeurs habituels bureaucratiques et organisationnels, a eu lieu avec un certain retard (le laboratoire ayant vu le jour en 2005) et qu'une revue de laboratoire, bien plus que la revue d'université ou de grande école, est le signe extérieur d'une richesse intellectuelle et scientifique certaine, plus-value palpable (si palpable qu'elle apparaît, bien souvent au néophyte, assez rébarbative) grâce aux gros efforts d'une recherche scientifique menée soit par des enseignants déjà confirmés (en général professeurs), soit par des doctorants «coachés» par leurs encadreurs. Elle sort des sentiers battus des «Actes» illisibles ou invisibles et des ouvrages (il y en eut) à diffusion restreinte.

Quelques thèmes abordés : «Crises hystériques et mutations culturelles», «Malaise culturel, malaise psychique et souffrarnce mentale», «Culture et territorialité.. », «Filiation, éducation et emprise de la famille», «Souffrance psychique en Algérie...», «Travail auprès des autistes en centres spécialisés...», «L'impact des systèmes familiaux, de l'ajustement familial et du profil d'attachement sur le stress...» , «L'empreinte culturtelle au test Rorschach»...

L'auteur : Lapp/ Université Alger 2 (Lepastier, Nacir Benhalla, Yasmine Latrèche, Fatima Moussa, Houria Ahcene-Djaballah, Selma Bouzidi, Nassima Boumazouza, Sadjia Bentounès, Fatiha Benmoffok, Fanny Dagent, Alef Chahira, H. Nouani, Samira Nourine, Brahim Brahimi, Boudjalal Souhila, Bouzar Youcef) Email : lappualger@yahoo.fr .

Extraits : «Le vécu de la personne en dehors de son milieu familial inclut les différentes institutions fréquentées par le sujet du primaire jusqu'à l'université et au-delà. Ce sont ces espaces transitionnels qui aident le sujet à se propulser vers l'équilibre et la réussite» (p. 37), «En Algérie, des pratiques rituelles ancestrales sont encore des remèdes favoris dans le quotidien, faisant l'objet d'une grande popularité et convoitise. A titre d'exemple, l'épilepsie, cette maladie neurologique a été considérée pendant longtemps comme d'origine démoniaque avec la croyance que l'épileptique est terrassé par un démon, le malade privilégiant en quelque sorte d'être posédé pour accéder ainsi au traitement traditionnel» (p. 51)

Avis : Très prometteur ! Destiné aux chercheurs, aux spécialistes et... aux curieux... plus nombreux qu'on ne le croit. A lire... et à imiter. A «mettre en ligne» pour une visibilité accrue sur le marché international de la recherche scientifique... et améliorer, ainsi, le classement du secteur. Critique : les résumés devraient être faits dans les deux langues.

Citations : «Les progrès des communications ont entraîné un bouleversement dans les relations humaines dont seuls les premiers effets ont été perçus jusqu'à présent. L'information, en direct et en images, atteint, en même temps, l'esprit de centaines de millions de personnes. Ainsi, l'émotion l'emporte sur la réflexion et la petite phrase supprime la pensée» (Samuel Lepastier, Psychanalyste, Université Paris-Ouest p. 25), «Les relations interpersonnelles sont intimement liées à la souffrance intrapsychique, et il est difficile de prendre en charge les patients sans prendre en compte la problématique familiale» (Houria Ahcene-Djaballah, Selma Bouzidi ; Nassima Boumazouza, Psychologues cliniciennes, Université d'Alger 2, p 65)

Une geste en fragments. Essai de Youssef Nacib. Editions Alpha, Alger 2010 (Editions Publisud, Paris 1994). 372 pages en français et 117 pages en arabe. 1 000 dinars.

Comment une societé donnée, projetée dans le monde moderne et sur la fin du XXè siècle, et transplantée (au VIIè siècle) à des milliers de kilomètres de son terroir originel, tente désespérément de conserver ses schèmes sociaux et culturels issus eux-mêmes du haut Moyen-Age ? C'est ce que tente de montrer l'auteur à travers l'étude des descendants des Hilaliens, à travers leur geste, tout du moins ce qui en reste (chansons, poèmes, légendes, contes...)

Bien sûr, la société bédouine (d'Algérie), car il s'agit globalement d'elle, d'ascendance hilalienne, ne se présente plus comme une communauté homogène dont tous les éléments seraient soudés par l'enseignement de la geste. De plus, il y a le nouveau clivage de la jeunesse et de l'adolescence. Elles tournent pratiquement le dos au passé de leurs ancêtres. Pour elles, à leurs yeux, la geste ne peut prendre d'autres fonctions que la ludique...au contraire des personnes d'âge mûr et vieilles, pour lesquelles elle s'offre comme la clé qui explique le monde. On reste beaucoup attaché aux légendes qui restituent au groupe ses racines. Et, plus on remonte dans le temps, plus la geste hilalienne est vécue comme un «phénomène social total».

Sommaire : le milieu naturel/La continuité culturelle/Les hilaliens des Hauts-Plateaux. Histoire et légende/ La religiosité nomade/ Le statut féminin dans l'épopée hilalienne (qui ne connaît Djazia, «belle, intelligente et courageuse»... qui devint l'épouse de son cousin germain, le fameux Dhiab ben Ghanem / La ruse dans la geste/ Le développement d'une rumeur rurale/ La geste entre tradition et modernité/Une (riche) bibliographie/ Un corpus de textes (la collecte de vingt témoignages dans les deux langues, arabe et français).../Et, un index des noms propres pour trouver et vous retrouver.

L'auteur : professeur à l'Université d'Alger, professeur associé à l'Université de Tizi Ouzou, professeur invité aux Universités de Milan et de Paris I, il a été le premier directeur général de l'Office des publications universitaires (OPU), de 1975 à 1990. Auteur de plusieurs ouvrages centrés sur le patrimone culturel oral d'expression arabe, dialectale et amazigh.

Extraits : «Il n'y eut jamais une geste (ndlr : «ensemble d'exploits racontés dans un cycle de poèmes épiques») hilalienne, version unique et inviolable, mais des variantes plus ou moins denses, plus ou moins vraisemblables, tantôt en vers, tantôt en prose, tantôt brèves, tantôt démesurées. Récit profane s'il en fut, et en société islamique, l'épopée ne pouvait que s'altérer sporadiquement ou s'enrichir en d'autre temps, n'étant pas supportée par un ressort spirituel» (20), «Les Hilaliens se sont tellement sentis dans leur élement naturel au Maghreb qu'ils ont affecté aux lieux-dits et reliefs leurs propres toponymes» (p 44), «Les descendants de Hilal, aujourd'hui, surtout quand ils sont illetrés, ont une tendance réductrice à faire de tous leurs aieux primitifs des contemporains, voire des parents du Prophète. Ce qui n'est pas tout à fait innocent. Cette localisation chronologique induit une double survalorisation de l'agnat ( ndlr : «parenté par les hommes uniquement») et de sa culture » (p 71).

Avis : Etre patient et passionné par la chose...mais extrêmement enrichissant... pour savoir combien est complexe (donc diverse et belle) l'histoire sociale d'un pays, le nôtre encore plus.

Citations : «Les premières (les structures économiques de production et de distribution) peuvent s'améliorer, disparaître et être remplacées sans trop de stigmates, la rupture de seconds (les symboles) engendre des traumatismes autrement plus douloureux» (p 10), «C'est dans les situations sans issue et périlleuses en un mot qu'émergent les héros» (p 16), «Tandis que le Japon est demeuré «le bout du monde»- pauvre en richeses naturelles et donc peu convoité par surcroît-, l'Algérie est inscrite au carrefour des migrations, des continents et des cultures (p 31)»

PS : Rachid Arhab, journaliste français d'origine algérienne, travaille, nous dit-on, sur l'idée de création d'une chaîne de télévison franco-algérienne, sur le modèle franco-allemand d'Arte...qui pourrait naître d'un accord inter-étatique entre la France et l'Algérie.

Bien sûr, Arte, après un démarrage très difficile, est devenue une réussite audiovisuelle, en abordant les questions difficiles par le biais de la culture et non par le biais de l'histoire revendicative hostile.

Il est pourtant évident que l'idée, acceptée, a très peu de chances d'aller plus loin. Avant de lancer Arte, les dirigeants des deux pays avaient tout fait (et réussi) pour «réconcilier» les deux peuples français et allemand afin que leurs histoires communes, très heurtées et par plusieurs fois assez sanglantes, soient, sinon «liquidées», du moins archivées. Ce qui n'est nullement le cas pour la France et l'Algérie. Une histoire commune de 132 ans dont les traces sont encore visibles chez les uns comme chez les autres ...une histoire qui s'est lestée d'autres histoires au cours de ce demi-siècle d'indépendance...l'esprit «colonial» persistant outre-Méditerranée, chez des dirigeants comme chez bien des revanchards, on l'a bien vu lors de la «décennie rouge»...et, ici, chez beaucoup, une éducation anti-colonialiste «cultivant» une ambiance de haine du «français» (lire le bel article de Maâmar Farah, in Le Soir d'Algérie du jeudi 14 juillet : «Anti-français, mais prêts à tout pour un visa»). Un beau projet, certes, mais pour l'instant et pour un bon bout de temps irréalisable. Cependant, il ne faut pas se décourager !