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France : onirique épopée des Bleus et cauchemar niçois

par Farouk Zahi

«Didier Deschamps le tacticien est surtout un formidable transmetteur de l'esprit de conquête. Les Portugais sont prévenus. Ils avaient Vasco de Gama comme conquérant de nouveaux continents. Les Bleus, eux, ont un petit Basque de génie, un manager qui surveille ses troupes avec la bienveillance d'une nounou. Aimez-vous les uns les autres, a-t-il transmis à ses joueurs, et vous gagnerez la lune ». Tel est le sentiment de Serge Raffy, le journaliste français. Déjà des envolées lyriques avant l'heure ; décidément, le coq gaulois qui sommeille en chacun des Français n'arrête pas de s'ébrouer et de pousser de vaniteux cocoricos. Qu'a-t-elle à voir une joute footballistique avec Vasco de Gama, à moins que le raccourci ne soit vite pris pour suggérer à travers le petit Basque, un certain petit Corse, jadis, conquérant ? A ce propos, les petites banderilles sectaires n'ont pas manqué à travers la presse ; on apprend, au lendemain de la débâcle, que Antoine Griezman, la coqueluche d'hier « qu'il est, pour l'anecdote, d'origine portugaise ». Que doit-on penser à travers cette assertion pour le moins tendancieuse, car ce virevoltant attaquant a brillé par son inefficacité au cours de ce match mémorable mené contre les Lusitaniens privés de Ronaldo. Ces derniers, pourtant, prévenus de leur supposée défaite portent l'estocade à la 110e minute ; un « crève-cœur », que les Bleus et leurs fans ne sont pas près d'oublier de sitôt. Le bourreau Ederzito, comble du désespoir, est quelqu'un qui joue à Lille pays des Ch'tis.

En dépit de la frustration générale, la France officielle tire un sentiment de légitime fierté en assurant que le pays a organisé la dernière édition de l'Euro dans des conditions idéales, notamment sécuritaires. Une fois, encore, on vend la peau de l'ours avant de l'avoir abattu. La bête immonde dans un leurre démentiel, ne frappe, ni au Stade de France, ni au Trocadéro où il y avait les plus grandes concentrations humaines le jour de la finale, mais sur la Riviéra aux « antipodes » des lieux drastiquement gardés un 14 juillet. Tout un symbole ! Tous les services de sécurité, y compris les forces spéciales, étaient en alerte rouge. Les forces en présence étaient disproportionnées, puisque « l'ennemi intime » est rendu invisible par sa confusion avec la foule et l'insignifiance de ses éléments opérationnels. Et là, il ne s'agit jamais de nombre, mais de capacité de nuisance. L'appel des réservistes opérationnels du ministre de l'Intérieur Caseneuve ne sera, une fois encore, qu'un coup d'épée dans l'eau. L'enquête révélera, cependant, que le « forcené » a prémédité son coup en louant un vingt tonnes frigorifique, retiré 100.000 euros de son compte bancaire pour les envoyer à ses parents en Tunisie et faire le repérage des lieux avant son sinistre forfait. Qu'aurait-il été s'il avait bourré l'engin d'explosifs ? N'imaginons surtout pas la suite. Tous ces éléments, échappant au lourd dispositif de « Vigipirate », auraient dû faire l'objet d'analyse en amont. L'Algérie qui en connaît un bout sur la guerre subversive, une première fois pour l'avoir menée sur le territoire français lors de sa guerre d'indépendance et récemment pour avoir subi dans sa chair les affres du terrorisme, a toujours privilégié le renseignement, seule arme efficace pour neutraliser les assassins de la mouvance islamiste radicale. Et ce n'est certainement pas avec des déclarations d'intention qu'on viendra à bout de cette déferlante fascisante et meurtrière.

Interrogé par des journalistes sur la levée de l'état d'urgence, le chef de l'Etat français l'annonce pour le 26 juillet prochain en rappelant cependant ceci : «C'est toute la France qui est sous la menace du terrorisme islamiste» et «nous devons tout faire pour (...) lutter contre le fléau du terrorisme», a insisté François Hollande, qui a assuré que la France allait «renforcer» son «action en Irak et en Syrie». «Rien ne nous fera céder dans notre volonté de lutter contre le terrorisme et nous allons encore renforcer nos actions en Syrie comme en Irak. Nous continuerons à frapper ceux qui justement nous attaquent sur notre propre sol, dans leurs repaires. Je l'ai annoncé hier matin», a indiqué le président français depuis l'Élysée.

Ce genre de bravade est puérile et de nul effet sur ceux qui se font exploser au milieu de la foule. L'Etat islamique qui dispose de 65.000 éléments dont 15.000 de souche européenne a débuté son travail d'embrigadement il y plus de deux ou trois décennies quand cette même France s'offrait comme gîte au GIA et Londres comme podium au salafisme mondial. Cette mouvance sema ses germes tueurs dans tous les terreaux sociaux de cette vieille Europe repue de bombance et de luxure selon les prédicateurs. Elle demande, présentement, à ses ouailles de purifier l'humanité de ces damnés voués aux gémonies de l'Enfer. L'ambiguïté entretenue par cette même Europe est dans ses relations chaleureuses avec certains pays du Golfe dont le chef de file, l'Arabie Saoudite, est le premier pourvoyeur en salafisme wahhabite. Marc Trévidic, ex-juge antiterroriste, résume cette duplicité en peu de mots : « Proclamer qu'on lutte contre l'islamisme radical en serrant la main au roi d'Arabie Saoudite revient à dire que nous luttons contre le nazisme tout en invitant Hitler à notre table ». La messe est ainsi dite. Ces hommes politiques ont-ils réellement en tête le sens de la raison ? Est-ce que cet innocent enfant ou cette dame âgée, morts sous les roues d'un camion fou pouvaient-ils s'imaginer qu'en allant jouir d'un spectacle de pyrotechnique qu'ils paieront le prix fort pour l'engagement militaire de leur pays dans une guerre qui ne les concerne nullement. Ballotés entre un Fabius qui affirmait que les gars d'Al Nosra faisaient du bon boulot et un Hollande en fin de règne qui tente de convaincre une opinion publique désabusée par ses politiques publiques, les Français ne savent plus séparer le bon grain de l'ivraie. Appeler au patriotisme par « La Marseillaise » qui a fortement résonné au Stade de France pour un match de football, n'est en rien comparable avec la résistance à un ennemi mortel tapi dans la masse. Quand il s'agit de mort d'hommes et au cœur même de la cité, la donne est tout autre. M. Hollande, tout comme Sarkozy avant lui, aura sur la conscience les morts et handicapés à vie de Charlie Hebdo, du Bataclan, de l'hypermarché Casher et enfin de la Promenade des Anglais. Quand on mène la guerre aux autres, il faut s'attendre au retour de manivelle. Le vis-à-vis n'est assurément pas décérébré comme on semble le croire.

La peur panique qui s'est emparée de la population niçoise après le forfait de Mohamed Lahouaiej-Bouhlel , le tueur fou au camion blanc, même si elle n'est souhaitée pour personne, doit être le levain d'un sursaut salvateur de la société civile pour dire à ses dirigeants politiques et dont la gestion s'est avérée inconsistante depuis ce vendredi noir du 13 novembre 2015 : Basta ! Il y eu trop de pertes humaines, autant que 3 ou 4 ouradour réunis. Et si à toute chose malheur est bon, la France profonde touchée dans son intégrité physique sera probablement à même de mesurer les retombées dévastatrices de sa politique extérieure qui privilégie l'interventionnisme militaire sur toutes autres voies. Il se pourrait même que la peur en changeant de camp ferait entrevoir d'autres perspectives que le bellicisme guerrier mené par l'Occident à un Moyen-Orient, déchiré par les conflits armés depuis la première Guerre du Golfe qui renvoie, immanquablement, au 11 septembre renvoyant lui-même, selon le dernier rapport étatsunien de 28 pages et demeuré secret, à l'incrimination du royaume wahhabite dans la destruction des tours jumelles du WTC. L'attentat de Nice vient, encore fois de plus, démontrer que l'EI dans sa folie meurtrière ne choisit pas ses victimes, le nombre de morts de confession musulmane avoisine les 10%. Que dire alors des centaines de morts au quotidien à Alep ou à Mossoul depuis la création de ce monstre sanguinaire et dont seul le décompte macabre vient remplir la platitude des journaux télévisés ?

Par ailleurs, l'Oncle Sam qui propose ses services pour aider les enquêteurs français dans leur quête de vérité en ce qui concerne cet attentat, aurait mieux fait de prévenir l'attentat d'Orlando. Le FBI ne se prévaudrait-il pas d'avoir les meilleurs limiers du monde ? Quant aux experts et consultants attitrés en matière de terrorisme qui mitent, épisodiquement, les plateaux des télévisions et dont les analyses sont toujours à postériori, ce qui leur permet déjà d'échafauder des hypothèses souvent flippantes ou carrément hilarantes, devraient à notre sens garder le silence. Silence qu'aurait dû garder le « Bayard de Tripoli » M. Nicolas Sarkosy de Nagy-Bocsa qui a affirmé dans une déclaration tonitruante : « tout ce qui aurait dû être fait depuis dix-huit mois ne l'a pas été », trois jours après l'attentat de Nice. « Je sais parfaitement que le risque zéro n'existe pas »? «? mais, nous sommes en guerre, une guerre totale. Nos ennemis n'ont pas de tabous, pas de frontières, pas de principes. Donc, je vais employer des mots forts: ça sera eux ou nous », a-t-il lancé, ajoutant qu'une « autre politique est possible »? « L'enquête est en cours et je ne dirai jamais que j'aurais pu éviter ceci ou cela, respectons les victimes mais tout n'a pas été fait ». A travers ce court paragraphe, on découvre l'opposant politique, déjà en campagne, le va-t-en-guerre impénitent et enfin l'homme qui découvre, soudain, qu'il y a des victimes expiatoires et le deuil des leurs à respecter.