Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Réponse à Jen Weidmann et François Villeroy, présidents de la Deutsche Bundesbank et de la Banque de France, sur la crise en Europe (1ère partie)

par Medjdoub Hamed*

Dans un rapport de la Banque de France, «L'Europe à la croisée des chemins» (1), Jen Weidmann, président de la Deutsche Bundesbank, et François Villeroy, nouveau gouverneur de la Banque de France, ont analysé, aujourd'hui, la situation de l'Europe. «Aujourd'hui, disent-ils, l'Europe se trouve à la croisée des chemins». Ce qu'on retient:

1. «La crise de la dette n'est pas complètement terminée et, dans de nombreux Etats membres, le chômage demeure élevé».

2. «La montée du terrorisme».

3. «L'afflux massif de réfugiés. Ce sont des questions qui ne pourront rester sans réponse. En France comme en Allemagne, certains peuvent avoir le sentiment d'une absence notable de solidarité européenne sur ces deux points. D'autres vont même jusqu'à remettre fondamentalement en question le projet européen, et les tendances nationalistes s'exacerbent dans plusieurs Etats membres. Pourtant, en tant qu'Européens engagés, nous considérons tous deux que l'avenir de l'Europe ne peut se bâtir sur une renationalisation, mais qu'il passe, au contraire, par un renforcement de ses fondations. Les Européens partagent des valeurs fortes, un modèle social équitable et une monnaie solide. Nous devons nous appuyer sur ces atouts».

Tout en précisant que la politique monétaire menée par la BCE qui a apporté un grand soutien à l'économie de la zone euro, elle ne peut à elle seule générer une croissance économique durable. Pour apporter une solution à la crise de la dette souveraine en Europe, les Banquiers centraux préconisent: «Pour mener à bien le renforcement de la prospérité et de la stabilité dans la zone euro, il convient d'ériger trois piliers économiques: des programmes de réformes structurelles nationales menées avec détermination, une Union de financement et d'investissement et une meilleure gouvernance économique. Des programmes de réformes structurelles nationales menés avec détermination sont essentiels pour renforcer la croissance et l'emploi. Commençons par la France.

Le fonctionnement du marché du travail doit manifestement être amélioré et il convient de traiter la question de la dualité entre les contrats à durée déterminée et les contrats à durée indéterminée; au-delà du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), il faut encore réduire le coût des emplois non qualifiés; le système d'éducation et de formation doit être réorganisé afin de créer des voies d'accès à l'emploi pour les jeunes, et à cet égard, la promotion de l'apprentissage pourrait constituer la meilleure voie à suivre. Sur les marchés des biens et des services, la concurrence doit être renforcée en supprimant les barrières à l'entrée et à la sortie, notamment dans le secteur des services. S'agissant de la dette publique, il convient de poursuivre les efforts engagés afin d'atteindre des niveaux plus soutenables. A cette fin, la discipline budgétaire doit être renforcée au moyen d'une gestion plus rigoureuse des dépenses. En dépit de sa situation économique plus favorable, l'Allemagne doit, elle aussi, poursuivre sur la voie de la réforme: les évolutions démographiques devraient entraîner une diminution de la population active - et l'afflux de réfugiés que l'on observe actuellement ne changera pas la donne de manière significative. Il en résultera un ralentissement de la croissance à long terme. Deux leviers principaux permettent d'agir sur ce fardeau démographique: relever l'âge du départ à la retraite pour être en phase avec l'augmentation de l'espérance de vie; accroître le taux d'activité, notamment en encourageant davantage de femmes à rejoindre la population active». Les Banquiers centraux donnent des précisions sur la jeunesse et leur intégration dans le marché de l'emploi, ainsi que sur les migrants. «Les infrastructures d'accueil et d'éducation des enfants doivent être améliorées et développées. Le régime fiscal et de redistribution allemand peut être modifié de manière à accroître les incitations à la recherche d'un emploi rémunéré.       Des mesures décisives de politique économique doivent être prises afin d'apporter aux réfugiés qui resteront dans le pays les connaissances linguistiques et les compétences professionnelles nécessaires pour réussir sur le marché du travail. Et les obstacles à l'augmentation de la productivité pourraient être supprimés en réduisant les barrières à l'entrée sur le marché, par exemple, par la libéralisation et la dérèglementation des professions libérales ou par l'élimination des freins à la création d'entreprise.

Outre les réformes structurelles à l'échelle nationale, des mesures de renforcement de la croissance sont nécessaires au niveau européen».

Pour ce faire, Jen Weidmann et François Villeroy annoncent, pour renforcer la zone euro, la mise en œuvre d'un programme ambitieux qui doit s'appuyer sur une «Union de financement et d'investissement». I.e. le deuxième pilier économique. «En effet, l'un des principaux défis que doit relever la zone euro concerne le paradoxe d'une épargne abondante qui n'est pas suffisamment mobilisée au bénéfice de l'investissement productif. L'Europe peut mieux faire pour rapprocher les deux, et l'émission d'actions semble être l'évolution la plus prometteuse en ce sens. Chacun sait que le financement des entreprises par émission d'actions est deux fois moins important en Europe qu'aux Etats-Unis et le financement par endettement deux fois plus élevé. Cela est regrettable car le financement par émission d'actions est le meilleur moyen de partager les risques et les opportunités, et aussi de soutenir l'innovation. Par exemple, le marché boursier américain, qui présente une forte intégration, est capable d'amortir 40% environ d'un choc économique spécifique à un Etat, les bénéfices et les pertes des entreprises étant distribués à leurs propriétaires sur l'ensemble du territoire américain. Dans la zone euro, cette forme de partage des risques est pratiquement inexistante. En se rapprochant des niveaux américains, la zone euro deviendrait une union monétaire beaucoup plus résistante. Le projet de la Commission européenne de créer une Union des marchés de capitaux apporte des réponses à certains de ces problèmes.

Prises individuellement, des initiatives telles que l'Union des marchés de capitaux, le plan Juncker pour l'investissement et l'achèvement de l'Union bancaire - une fois les conditions préalables réunies - ne seraient pas vraiment marquantes, alors que sous une forme plus rationalisée et rebaptisée «Union de financement et d'investissement», elles seront collectivement capables de mieux canaliser l'épargne vers des investissements productifs en Europe».

Pour le troisième pilier, c'est-à-dire la gouvernance de la zone euro, Jen Weidmann et François Villeroy posent la problématique de la croissance dans la zone euro: «Enfin, s'agissant des politiques budgétaire et économique, l'asymétrie actuelle entre souveraineté nationale et solidarité commune constitue une menace pour la stabilité de notre union monétaire. Malheureusement, le cadre de coordination qui avait été mis en place comme garde-fou n'a pas permis d'éviter la détérioration des finances publiques et l'accumulation de déséquilibres économiques, comme l'a notamment montré la crise grecque. Nous nous trouvons clairement à la croisée des chemins et la question à laquelle nous devons répondre à présent est la suivante: comment sortir de cette situation sous-optimale ?»

On doit comprendre que c'est la gouvernance économique dans la zone euro qui pose problème. Et que, sans le règlement de cette question, les deux piliers économiques préconisés, à savoir les programmes de réformes structurelles nationales, une Union de financement et d'investissement et une meilleure gouvernance économique, ne seraient que des vœux pieux. Et c'est d'ailleurs une mise en garde que Jen Weidmann et François Villeroy adressent à tous les décideurs européens, et qui, en tant que Banquiers centraux, savent ce qui pourrait ressortir de la situation future de l'économie européenne. En s'interrogeant, «Que faire pour sortir de cette situation sous-optimale ?», et en énonçant qu'«une asymétrie est une menace pour la stabilité de notre union monétaire», on remarque néanmoins un paradoxe euphémique qui ne calque pas avec la réalité de la zone euro.

Les propositions des Banquiers centraux pour sortir l'économie de la zone euro de la crise: «Une plus grande intégration semble être la solution la plus simple pour restaurer la confiance dans la zone euro, car elle favoriserait des stratégies communes en matière de finances publiques et de réformes et par là, la croissance. Pour cela, il faudrait clairement que les Etats membres de la zone euro consentent à un partage de la souveraineté et des pouvoirs au niveau européen, ce qui exigerait alors une plus grande responsabilité démocratique. Dans ce nouveau cadre, la zone euro reposerait sur une base institutionnelle plus solide, qui devrait se fonder sur l'idée centrale de l'intégration monétaire européenne, selon laquelle l'UEM apporte stabilité et croissance. Il appartient aux hommes politiques de concevoir le nouveau cadre mais ils pourraient partir, par exemple, des éléments suivants: une administration européenne efficace et moins fragmentée pour construire un Trésor commun à la zone euro, conjointement avec un conseil budgétaire indépendant; et un organe politique plus fort pour prendre les décisions politiques, sous contrôle parlementaire. Ces nouvelles institutions permettraient de rétablir l'équilibre entre responsabilité et contrôle».

Prenant en compte la situation sociopolitique réelle de la zone euro, les deux Banquiers centraux considèrent «Toutefois, si les gouvernements et les Parlements de la zone euro reculaient devant la dimension politique d'une véritable union, il ne resterait comme option envisageable qu'une approche décentralisée fondée sur la responsabilité individuelle et des règles encore plus fortes. Dans ce scénario, les règles budgétaires, qui ont déjà été renforcées notamment par le biais du pacte budgétaire et du Semestre européen, devraient être complétées. Dans un tel régime de responsabilité individuelle accrue, il faudrait aussi nous assurer que le risque, y compris celui lié aux expositions souveraines, est dûment pris en compte par tous les acteurs, ne fût-ce que pour réduire la vulnérabilité des banques en cas de perturbations affectant la dette souveraine. De plus, il serait nécessaire d'examiner comment mieux associer les investisseurs privés dans les plans de sauvetage du MES et comment concevoir un processus de restructuration des dettes souveraines qui ne mette pas en péril la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble. Aller dans cette direction permettrait de conserver la souveraineté nationale au sein de la zone euro, avec un niveau de solidarité proportionnellement réduit. Mais cela constituerait l'autre option vers le rééquilibrage entre responsabilité et contrôle».

On doit comprendre, à travers cette conclusion, que s'il n'est pas possible de créer un gouvernement central pour l'Europe, c'est-à-dire un Etat supranational, sur le modèle des Etats-Unis, il faudrait alors une «approche décentralisée fondée sur la responsabilité accrue et des règles encore plus fortes» avec pour conséquence un niveau de solidarité proportionnellement réduit. Que peut-on répondre aux trois piliers économiques, à savoir des programmes de réformes structurelles nationales menées avec détermination, une Union de financement et d'investissement et une meilleure gouvernance économique.

Tout d'abord, qu'en est-il d'une meilleure gouvernance économique dans la zone euro ? Prenons la structure politique, économique et historique de l'Europe et comparons-la à celle des Etats-Unis. Un point essentiel les différentie. Lorsque les Etats-Unis se sont unis en une république constitutionnelle fédérale, ils étaient d'abord en cours de naissance.

Les Etats-Unis, à l'époque, n'existaient pas. Un continent découvert à la fin du XVe siècle, au sein duquel des colonies européennes ont été fondées progressivement, à partir du XVIIe siècle. Ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle, après l'indépendance que les 13 colonies britanniques unies se sont donné des institutions fédérales. La déclaration d'indépendance des Etats-Unis a eu lieu le 4 juillet 1776. Donc une jeune nation qui s'est construite dès le départ en un Etat fédéral.

Ce n'est pas le cas pour l'Europe, le Vieux Continent, qui reste une mosaïque de vieilles nations qui ont toutes une longue histoire. Les langues, les systèmes économiques, les nationalismes fortement imprégnés, font que ces différences ne pourront permettre à ces nations d'abandonner leur souveraineté politique, du moins à court terme. Surtout que la situation des pays économiquement faibles ne suit pas les pays économiquement forts. Et la monnaie unique, l'euro, censée apporter une plus grande cohésion politique et économique au sein de la zone euro, a, au contraire, créé des clivages entre les pays dits vertueux, à faibles déficits, et les pays non vertueux, à forts déficits.

Le recul dans l'abandon de leur souveraineté au profit d'une instance supranationale ne peut être que conséquent à cette situation, donc tout à fait naturel. Il est évident que la structure des Etats-Unis ne peut s'adapter à l'Europe.

On peut même dire que les quatre puissances de la zone euro, notamment l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne ne veulent pas d'une Europe fédérale, car celle-ci mettrait fin à leur hégémonie. Un Portugais, un Polonais ou un Grec pourrait alors, à l'image de Barack Obama aux Etats-Unis, supplanter les ténors politiques européens qui occupent aujourd'hui la scène européenne et mondiale. Ce ne sera plus, par exemple, comme aujourd'hui, Angela Merkel et François Hollande, mais un nouveau staff élu démocratiquement dans les Etats-Unis d'Europe, si ceux-ci venaient à exister.

Mais alors que proposent Jen Weidmann et François Villeroy pour pallier à ce refus d'abandon de souveraineté ? Sinon à exhorter les pays du Sud à poursuivre les «réformes structurelles» qui complètent la politique monétaire de la BCE.

A suivre

*Auteur et chercheur indépendant en économie mondiale, Relations internationales et Prospective

Notes:

1. Banque de France. Eurosystème. «L'Europe à la croisée des chemins». 8 février 2015.

https://www.banque-france.fr/uploads/tx_bdfgrandesdates/Article-conjoint-FVG-JW-20160208.pdf