Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La stratégie saoudienne de l’incertitude décryptée par Sadek Boussena

par Akram Belkaïd, Paris

Comment évolue le marché pétrolier ? Quelle est la stratégie de l’Arabie saoudite ? Est-ce que l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) disparaîtra ou sera-t-elle obligée de redéfinir son rôle en fonction de ce que veut le royaume wahhabite. Dans sa livraison de mai 2016, la revue medenergie – qui fête son cinquantième numéro – aborde toutes ces questions dans un entretien avec Sadek Boussena. Ancien patron de la Sonatrach (1988-1990), ancien ministre de l’Energie (1988-1991), ce dernier est actuellement chercheur à l’université de Grenoble où il a exercé comme professeur associé en sciences économiques depuis 1992 jusqu’à sa retraite. Avant de résumer l’un des points forts de cette interview, il convient d’abord de saluer la qualité de la revue et l’opiniâtreté de son animateur, l’ancien ministre Abdelnour Keramane (*).
 
Le baril à 50-70 ou 25-70 dollars ?
 
 Pour Sadek Boussena, « en refusant de négocier un accord de réduction de ‘plafond de production’ de l’Opep en juin 2014 et en affichant le credo du ‘laisser faire le marché’, les Saoudiens ont provoqué un ajustement structurel du marché ». Un ajustement qui s’est traduit par la chute des cours de 60% depuis l’été 2014. Pour l’ancien responsable de la Sonatrach, il y a deux explications possibles. La première serait que Riyad ait opté pour « une position tactique et donc révisable après l’obtention de résultats tels que le freinage de la production américaine ». Jugée très probable, cette option permettrait ensuite au royaume de « négocier au sein de l’Opep et avec d’autres producteurs non-Opep un compromis de ‘gel’ de l’offre (voire une réduction de celle-ci) ». Un tel accord pousserait alors l’Arabie Saoudite à défendre une fourchette de prix allant de 50 à 70 dollars le baril d’or noir. La deuxième explication serait celle d’une « option stratégique et durable, où ‘laisser faire le marché’ signifierait un alignement de l’Arabie Saoudite sur le statut non interventionniste des autres gros producteurs et donc la fin de la politique de régulation du marché par l’Opep. » Pour Sadek Boussena, une telle configuration signifierait une plus forte volatilité des cours et une fluctuation des prix du baril dans une fourchette beaucoup plus large que lorsque l’Organisation arrivait tant bien que mal à « fixer une ‘référence de prix’ au marché ». L’or noir pourrait alors évoluer entre 25 et 70 dollars le baril.
 
La stratégie de l’incertitude
 
L’ancien ministre relève surtout que les Saoudiens semblent tentés de répéter une stratégie déjà tentée par le passé et visant « à instrumentaliser l’incertitude pesant sur l’évolution des prix. » De quoi s’agit-il ? Pour Sadek Boussena, qui a déjà décrit cette approche en 1994, cela revient à créer de manière volontaire une incertitude sur les prix et d’utiliser cette dernière comme levier. « Dans un premier temps, explique-t-il, le producteur dominant déclenche une guerre des prix pour défendre son marché. Afin de semer le doute chez les concurrents, il laisse les prix dériver à un niveau aussi bas que son coût de développement, émettant ainsi un ‘signal de prix’ que la concurrence devra prendre en compte pour calculer le risque/investissement. »

Ensuite, ce même producteur va tirer parti de la volatilité des cours. « Pour ce faire, le leader (et ses alliées) s’abstiendrait d’assurer une prévisibilité des prix. Ce qui dans le cas de l’Opep implique qu’elle ne fournisse plus d’informations sur ‘le niveau de prix à défendre’ qui constituait un vrai ‘signal prix’ et donc un référent utile pour les acteurs concurrents », précise le chercheur. Autrement dit, il s’agit de créer les conditions d’une plus grande concurrence et d’une plus grande volatilité, ce qui, in fine, débouche sur une extrême prudence des concurrents en matière d’investissement. Le gain est alors évident : l’Arabie saoudite maintient ou augmente ses parts de marché. « La ‘stratégie basée sur l’incertitude des prix’ ne stoppera pas la production non-Opep mais les prix bas et le ralentissement des investissements dans l’amont hors-Opep qui s’en est suivi permettent d’ores et déjà de prévoir des parts plus grandes des pays Opep dans l’offre mondiale », prédit Sadek Boussena pour qui cette stratégie présente l’avantage de pouvoir être déployée sans être affichée, assumée ou formalisée par un accord officiel.

La chronique économique s’interrompt pour la période estivale. Elle reprendra le mercredi 7 septembre 2016.

(*) Medenergie, n° 50, mai 2016. La revue aborde aussi, entre autres, la question des effets escomptés des amendements de la loi algérienne sur les hydrocarbures ainsi que les perspectives de la coopération maghrébine dans le secteur énergétique.