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Le secteur hospitalo-universitaire victime de l'absence de vision politique claire, courageuse et non de ces travailleurs, enseignants ou syndicats

par N. Djidjel*

C'est avec attention et beaucoup de colère, je l'avoue, que j'ai lu l'article du professeur et néanmoins ami Chaoui Farid paru dans votre édition du jeudi 30 juin 2016 et intitulé: Entre crise morale et poids des lobbies, le secteur hospitalo-universitaire s'effondre !

En tant qu'hospitalo-universitaire et aussi ex-président du syndicat national des enseignants chercheurs hospitalo-universitaires, on comprendra que cet article ne pouvait me laisser indifférent et je voudrais pour cela, si vous le permettez, apporter les précisions suivantes.

Nous ne doutons pas que l'auteur de cet article puisse avoir tout compris des problèmes du secteur de formation hospitalo-universitaire et du système de santé, mais les règles de bienséance auraient voulu qu'il cible les véritables responsables de cette gabegie et qu'il ne se contente pas de désigner des boucs émissaires trouvés çà et là. A entendre l'auteur de cette contribution, la déliquescence du secteur de formation hospitalo-universitaire et par extension du système de santé serait due d'une part aux lobbys, sous-entendez par là les syndicats, et de l'autre aux praticiens hospitalo-universitaires. Evidemment je suis très étonné par ce raccourci trop simple pour ne pas dire simpliste à mon sens. Non, la responsabilité première et pour ne pas dire totale incombe à nos dirigeants politiques, du président de la République aux ministres qui se sont succédé depuis l'indépendance aux commandes de ce pays et qui à quelques exceptions près n'ont jamais eu une vision claire et efficiente concernant l'université ou la santé dans notre pays.

La responsabilité incombe en tout premier lieu à ceux qui ont gouverné ce pays et qui n'ont jamais voulu se départir de leurs oripeaux de populistes et de démagogues. Le secteur hospitalo-universitaire dépendant de deux ministères de tutelle, que de fois n'avons-nous pas tiré la sonnette d'alarme concernant le flux devenu ingérable du nombre d'étudiants en sciences médicales et qui dépassait de loin les capacités d'accueil des services formateurs. Décision politique nous disait-on. Lors d'une réunion il y a quelques mois avec l'actuel ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique nous avions voulu commencer notre ordre du jour par un point capital à nos yeux à savoir la qualité de la formation en sciences médicales. Grand fut notre étonnement quand nous nous sommes fait rabrouer par un ministre courtois certes, mais pas content du tout qu'on puisse lui dire que la formation des futurs médecins laissait à désirer et cela même si c'était des enseignants en sciences médicales qui le lui affirmaient.

Formation privilégiant la quantité aux dépens de la qualité et sans véritable lien avec les besoins réelles du pays, absence de numerus clausus, décision démagogique de suppression des examens intercalaires des résidents pour ne citer que ces problèmes.

Là aussi décision politique nous disait-on pour éviter d'éventuels troubles qui mettraient en jeu la survie du système. Obsolescence d'un système de médecine gratuite qui n'a de gratuité que le nom. Que penser de hauts dirigeants politiques qui en cercle restreint vous disent tout le mal qu'ils pensent de la médecine gratuite, qui sert plus les nantis que les nécessiteux et qui devant les caméras de télévision martèlent haut et fort que la médecine gratuite la redjaa fiha ? Gestion archaïque des hôpitaux, financement du système de santé d'un autre siècle, gabegie dans la sécurité sociale avec des assurés qui cotisent mais ne sont pas remboursés à hauteur de leurs cotisations. Cette injustice qui s'apparente à un véritable racket des travailleurs perdure de nos jours et cela pour pouvoir continuer à payer une pléthore de fonctionnaires et de privilégiés de cet organisme, avec à leur tête un certain secrétaire général de l'UGTA, censé représenter les travailleurs. Tels sont les véritables maux du secteur de la santé pour ne citer que ceux-là.

Les véritables responsables de ces problèmes qui rongent la santé ou le secteur hospitalo-universitaire sont-ils à chercher au niveau des administrations locales, des doyens ou des enseignants praticiens fussent-ils chefs de service comme on voudrait nous le faire croire ? C'est comme si on nous disait que l'état désastreux de notre économie nationale est imputable aux responsables et directeurs des entreprises économiques du pays.

N'importe quel observateur sérieux et honnête vous dira que la responsabilité incombe totalement à ceux qui politiquement ont fait et continue à faire des choix désastreux pour le pays. Non, nous n'accepterons pas d'endosser l'incompétence et l'absence de vision de dirigeants politiques dont le seul souci a toujours été d'essayer de se maintenir à leurs postes le plus longtemps possible. Comme nous ne voulons pas servir de boucs émissaires à une situation que les enseignants hospitalo-universitaires continuent de subir et qu'ils n'ont pas créée.

L'auteur de l'article nous accuse d'être des lobbies. Nous lui disons oui nous le sommes et nous n'avons aucune honte à le dire. Oui le syndicat des enseignants chercheurs hospitalo-universitaire a fait du lobbying et l'assume complètement. Oui nous avons fait du lobbying pour doubler le salaire de nos collègues et nous en sommes fiers. Oui nous avons fait du lobbying pour offrir aux hospitalo-universitaires un statut particulier digne de leur rang. Oui nous avons fait du lobbying pour organiser un concours de chef de service hospitalo-universitaire, ce qui apparemment n'a pas plu à tout le monde puisque l'auteur de cet article nous le reproche avec véhémence.

Oui le syndicat national des enseignants chercheurs hospitalo-universitaire s'est investi dans l'organisation du concours de chef de service de 2014 et nous en sommes fiers. La raison de cet engagement est très simple : nous sommes restés sans concours de chefferie de service pendant plus de dix années ! Des services ont fonctionné pendant plus d'une décennie sans chef de service ou avec un simple intérimaire. Nous avons pris nos responsabilités et œuvré comme partenaire social avec l'administration pour organiser ce concours tant attendu. Comme à chaque examen, il y a sûrement des collègues qui ont échoué au concours et qui sont mécontents, mais plus de 400 jeunes et moins jeunes chefs de service ont pris leurs postes et nous en sommes ravis.

Il est dit dans l'article je cite à propos des concours « Ce ne sont plus les maîtres qui ont toute la connaissance des capacités de leurs élèves qui jugent, c'est l'administration par la fameuse grille d'évaluation qui impose sa loi. Et, même cette dernière finit par être dévoyée sans honte ni retenue par des syndicats qui non seulement n'ont aucune compétence en docimologie mais de plus s'érigent en juge et partie» et de rajouter «J'ai le souvenir d'un concours dont le jury était présidé par feu le Pr. Bachir Mentouri dans les années 80: à l'intervention d'un membre du jury qui exhibait la fameuse grille, il répondit d'un ton ferme et assuré «ici monsieur tout le monde connaît tout le monde et nous savons parfaitement ce que vaut chacun des candidats. Nous n'avons pas besoin de l'administration pour juger nos élèves»

Là aussi on fait dans l'amalgame et la désinformation. On parle de l'administration qui juge alors que c'est un jury d'aînés hospitalo-universitaires tirés au sort qui l'a fait et en toute transparence. Voudrait-on nous faire croire qu'il faille juger les candidats aux concours sans grille d'évaluation ? Dans tous les pays du monde la progression dans la carrière hospitalo-universitaire se fait sur dossier, selon des éléments bien définis, objectifs, avec un jury et des critères transparents connus de tout le monde et à l'avance. Cela doit-il en être autrement chez nous ? Oui nos maîtres ont leur mot à dire et nous n'avons pas de leçons à recevoir sur ce plan-là de qui ce soit. Mais nul ne peut accepter que cela se fasse à la «tête du client», sur des critères subjectifs ne dépendant que du bon vouloir d'un maître aussi respectable soit-il.

L'auteur de cette contribution qui par ailleurs j'ose le croire m'a toujours honoré de son amitié, aurait pu pour la crédibilité et l'objectivité de ses assertions prendre langue au moins une fois avec les syndicats avant de porter des accusations aussi absurdes et graves. Mais ne dit-on pas «qu'il existe une vieille et sûre recette pour conserver toujours la paix en soi : c'est d'accuser toujours les autres».

L'auteur nous dit qu'en 1990 et sous le gouvernement Hamrouche je le cite : «nous avions engagé un grand travail auprès de tous les professionnels de la santé pour expliquer la nature de ces réformes et leur impérative nécessité pour adapter les secteurs de l'enseignement supérieur et de la santé aux changements des paradigmes politiques et économiques qui se profilaient. Certes, des résistances se sont manifestées mais, dans l'ensemble, les propositions avaient été bien reçues par les différents acteurs du système de santé, y compris les hospitalo-universitaires». Ceci est absolument faux car à l'époque de ces tentatives de réformes, les partenaires sociaux que nous étions avions été complètement marginalisés. Et cette attitude irresponsable des autorités de l'époque nous avait poussés à entamer une série de mouvements de protestation et de boycott, ce qui d'ailleurs avait valu leur poste au ministre de la Santé et de l'Enseignement supérieur de l'époque quelques mois plus tard.

Pour l'histoire, n'oublions pas que ce sont ces syndicats d'hospitalo-universitaires, maîtres- assistants, docents et professeurs de l'époque qui dans les années 90 avaient empêché le Front islamique du salut de gagner la bataille de la grève des CHU. Et cela en mobilisant, en organisant des assemblées générales, des marches dans les hôpitaux et en continuant à assurer le fonctionnement des services, à une époque où, faut-il le rappeler, peu de personnes osaient donner de la voix.

Il est dit aussi dans cette contribution je cite : «On se presse, on bâcle sa thèse avec la complicité de son directeur et on s'engage dans le syndicat pour être bien placé au moment décisif !». Accusations là aussi très graves qui sous d'autres cieux et d'autres circonstances auraient valu à son auteur d'être traîné devant les tribunaux. Je ne relèverais pas le jugement de valeur que porte l'auteur de l'article sur ses collègues directeurs de thèse. Ces propos désobligeants vis-à-vis d'une corporation et de ses confrères directeurs de thèse bafouent les règles élémentaires de morale et de déontologie.

Par contre je dirais, oui des syndicalistes ont passé leurs concours de chefferie de service et l'ont brillamment réussi. Que leur reproche-t-on ? Ont-ils fraudé, soudoyé les jurys? Non. Il leur est reproché de militer dans un syndicat et d'oser passer leurs concours de chefferie de service comme tout un chacun. Certes ces personnes ne devraient pas avoir plus de droits que les autres mais devraient-ils en avoir moins ? Evidemment la réponse est non !!! Et et n'en déplaise à ces personnes, le syndicat est fier de voir que parmi ses responsables qui ont passé le concours de chef de service, beaucoup ont été majors de leur promotion.

Oui nous avons en tant qu'enseignants hospitalo-universitaires nos insuffisances et nos faiblesses, mais nous ne pouvons accepter d'être sacrifiés à l'autel de l'incompétence et du manque de vision de nos dirigeants politiques. Oui le syndicat des enseignants chercheurs hospitalo-universitaires regrette de n'avoir pas pu transmettre son message pour une université moderne et compétitive, mais il refuse que des personnes jettent l'opprobre sur ses membres. Oui nous voulons la confrontation des idées et le débat constructif, mais de grâce évitons en ces temps difficiles l'invective et les préjugés malsains.

*Professeur de chirurgie pédiatrique

*Ex-président du syndicat national des enseignants chercheurs hospitalo-universitaires