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Quand les marchés plongent

par Akram Belkaïd, Paris

Des Bourses qui dévissent et une monnaie, la livre sterling, qui tombe à ses plus bas niveaux depuis plusieurs décennies : l’annonce du vote des Britanniques en faveur du Brexit, autrement dit en faveur de la sortie de leur pays de l’Union européenne (UE) a donc généré une panique sur les marchés. Partout, les Banques centrales ont annoncé avoir pris des dispositions pour injecter des liquidités et empêcher la naissance d’une crise financière. Ces annonces ont contribué à calmer la tempête mais de l’avis de nombreux spécialistes, le répit risque d’être de courte durée.
 
Anticiper les anticipations

Arrêtons-nous un instant sur cette réaction des marchés et essayons d’en comprendre quelques mécanismes. Pour nombre d’investisseurs, le Brexit ouvre la voie à une grande période d’incertitude politique et économique. On ne sait pas comment la Grande-Bretagne va quitter concrètement l’UE, on ne sait pas quelles lois devront être modifiées, notamment celles liées à la libre-circulation des personnes, des marchandises et, plus important encore, des flux financiers. Or, les marchés n’aiment rien de moins que l’incertitude. De nombreux opérateurs, entre autres ceux de la City, sont persuadés qu’une époque est en train de se terminer. Celle de la finance triomphante et dérégulée. Celle où l’UE n’a eu de cesse de faciliter le fonctionnement des marchés.

On ne sait pas non plus comment l’économie mondiale va réagir à ce bouleversement annoncé. Le retour de la Grande-Bretagne à ses frontières pourrait préfigurer une résurgence affirmée du protectionnisme et la remise en cause des «acquis» de trente ans de dérégulation. Enfin, la livre sterling a chuté car les doutes entourent la capacité de ce pays de s’en sortir seul dans un monde multipolaire marqué par l’émergence de la Chine et de l’Asie. C’est un cas classique. Quand la situation est grave ou incertaine, la monnaie est affectée car la confiance n’est plus là.

Aujourd’hui, un fonds de pension qui a investi dans la Bourse de Londres est obligé de se poser des questions. Faut-il rester ? Faut-il sortir ? Dans le même temps, et quelle que soit sa réponse, ce fonds doit surtout anticiper ce que feront les autres acteurs du marché. En clair, la chute actuelle des marchés est aussi la conséquence d’un étrange comportement moutonnier. Quel que soit son avis sur la question, chaque investisseur pense que l’autre va vendre et qu’il convient donc de faire la même chose. Et rares sont ceux qui décident d’aller à contre-courant de la tendance ne serait-ce que parce que de nombreux fonds doivent obéir à des critères stricts de valorisation qui dépendent de l’évolution du marché (plutôt que de conserver des valeurs en baisse, ils préfèrent les céder pour limiter leurs pertes). Plus important encore, ces opérations sur les marchés sont le plus souvent gérées par des ordinateurs qui agissent automatiquement.
 
Heureux, le vendeur à découvert
 
Pour autant, il ne faut pas croire qu’il n’y a que des perdants dans l’affaire. La chute des marchés constitue toujours une bonne occasion de racheter de bonnes valeurs à bon compte (à quel moment faut-il le faire, est la question). Et il y a aussi les malins ou les clairvoyants qui ont parié sur le Brexit. Quelle a été la stratégie de certains d’entre eux ? D’abord, ils ont identifié les valeurs susceptibles de chuter en cas de Brexit et les ont vendues à découvert. Prenons un exemple simple. Quelques jours avant le referendum, un opérateur vend à terme une action qui vaut 12 euros. Concrètement, il s’engage à la livrer à une date fixe, le 30 juin par exemple, et au prix convenu (l’acheteur s’engage à l’acheter à ce prix-là quel que soit le cours de l’action à ce moment- là). Précisons que le vendeur ne possède pas cette action (d’où l’expression de vente à découvert). Arrive le Brexit. Sur le marché, l’action chute à 7 euros car les investisseurs estiment que la société concernée souffrira de la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE. Notre opérateur va donc acquérir l’action à 7 euros, la livrer à celui qui l’achetée à 12 euros et empocher un beau bénéfice (l’acheteur quant à lui est perdant puisqu’il acquiert une action à un prix supérieur à celui du marché). Décrit ici de manière simplifiée, ce mécanisme de vente à découvert régit la vie des marchés et alimente les stratégies spéculatives y compris les plus compliquées. Voilà pourquoi la chute des marchés ne signifie pas que tout le monde est perdant…