A peine la
dernière cuillère de chorba ingurgitée, les gens se ruent par dizaines hors des
maisons, vers la multitude de marchés de la cité monstre, la nouvelle ville Ali
Mendjeli. Les commerçants, eux, en parfaite symbiose
avec ce rythme nocturne, ont déjà commencé à installer leur marchandise sur les
trottoirs bien avant l'arrivée de la clientèle. Aucun espace n'est laissé libre
au centre-ville d'Ali Mendjeli. Les commerçants
informels se sont accaparés des espaces publics presque de droit, avec des
lieux délimités comme dans un marché régulier, et des commerces bien achalandés
comme dans une foire économique. Plus moyen de circuler sur les trottoirs, et
les gens sont souvent contraints de se disputer la chaussée avec des
automobilistes, coincés dans le piège des embouteillages, inextricables par
endroits. «On n'a pas fini de critiquer la nouvelle ville Ali Mendjeli en la qualifiant de grande cité dortoir, mais on y
converge par milliers tous les soirs, et de toutes parts. C'est à n'y rien
comprendre !», raillent des habitants de cette agglomération dont les
tentacules ont rejoint le territoire de la commune de Aïn S'mara. Même si, à
l'image de la wilaya, Ali Mendjeli souffre d'un
manque flagrant d'espaces de loisir et de détente, il est aisé de comprendre
les déplacements des habitants des zones urbaines limitrophes, et même des
proches wilayas, vers Ali Mendjeli, car ici tout est
disponible et à des prix raisonnables, croient savoir certains riverains d'Ali Mendjeli. La présence d'une demande très forte sur les
articles d'habillement à la veille de l'Aïd El-Fitr a
incité tous les commerçants informels de l'est du pays à venir s'installer sur
les trottoirs d'Ali Mendjeli, c'est mieux qu'une
foire économique où l'on doit payer jusqu'à 10 millions pour avoir une petite
tente pour exposer la marchandise, alors que sur les trottoirs, c'est gratuit.
Les affaires marchent à merveille, d'autant que jusqu'à présent la présence des
commerçants informels est tolérée, car aucune autorité compétente ne les
dérange dans leur activité. «Ici, c'est gagnant-gagnant», nous dira un
commerçant informel bien installé près de son véhicule utilitaire qui lui sert
de magasin. Ajoutant dans ce sens que toutes les parties trouvent leur compte
dans ce décor très dynamique, les commerçants travaillent, les jeunes
autoproclamés gardiens de parking carburent à tout vent, les moyens de
transport sont tellement demandés qu'il faut appeler à la rescousse les
clandestins, les citoyens achètent à des prix très compétitifs, impossibles à
trouver ailleurs? qu'est-ce qu'on peut demander de mieux ? lancent des
commerçants informels. De ce côté-ci de la médaille, tout ne peut aller que
vers le mieux, mais il y a d'autres faces où il n'y a pas fête. Il y a les
habitants qui dénoncent tant de nuisances qui leur ôtent toute quiétude au sein
de leur logis, et les commerçants réguliers sont les premiers à monter au
créneau pour dénoncer cette foire d'empoigne, qualifiée de désastreuse pour
leur activité. «Nous payons nos impôts, les loyers, certains ont investi des
fortunes pour construire des hyper centres commerciaux, et à la fin on se retrouve
face à ces commerçants qui ont squatté tous les espaces publics, sans payer
aucun sou, et détournent la clientèle à leur avantage en baissant, ou mieux
encore en cassant les prix, même si la qualité laisse à désirer», s'indignent
des commerçants qui ont loué au prix fort des locaux dans un hyper centre
commercial. «Nous savons que les autorités tolèrent cette activité des
marchands informels durant cette période, mais les choses peuvent tourner au
drame, au chaos, en un clin d'œil», estiment nos interlocuteurs qui mettent en
garde contre des dérapages incontrôlés. Jusque-là, les services de sécurité
maîtrisent la situation comme il se doit, mais le danger menaçant des troubles
à l'ordre public n'avertit pas quand il veut épouser les formes de la violence.
Pour le moment, et on espère que cela va durer jusqu'à la fin du Ramadhan,
c'est une foule très joyeuse qui se meut, en nocturne, entre les étals des
commerçants. Et cette vie après le f'tour dure
parfois jusqu'à une heure tardive de la nuit, minuit dépassé garanti.