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Malgré le Brexit, l'Europe reste un modèle pour le Maghreb

par Abed Charef

L'Europe a allié projet économique et construction politique. Un parcours ambitieux, et un bilan probant, malgré le Brexit.

Avec seulement sept pour cent de la population de la planète, l'Europe génère un quart du PIB mondial, et près de 20% du commerce international. Son produit intérieur brut représente toujours, près de trois fois celui de la Chine, avec une population équivalant au tiers de celle de l'Empire du Milieu.

Pour l'Algérie, l'Europe représente le premier partenaire économique. Le commerce extérieur reste largement dominé par les échanges avec l'Europe: 49% des importations, mais surtout 68% des exportations, se font avec des pays de l'Union européenne.

A ces flux économiques, on peut ajouter que les trois quarts des Algériens installés à l'étranger se trouvent en Europe. C'est dire que ce qui concerne l'Europe a un impact immédiat sur l'Algérie. Simple constat: après le Brexit, ce référendum ayant abouti à la décision de la Grande-Bretagne de quitter l'Europe, les bourses ont chuté, entraînant, avec elles, le prix du pétrole, ce qui a une répercussion immédiate sur l'Algérie.

L'impact de ce référendum sur l'économie mondiale, avec un risque de récession, sera directement ressenti en Algérie. Dans un marché pétrolier qui se rapproche difficilement de l'équilibre, la moindre information sur une stagnation économique coûte très cher à l'Algérie, en termes de revenus extérieurs. A l'inverse, un redémarrage de l'économie mondiale peut faire grimper les prix du pétrole, et donc une amélioration des recettes extérieures du pays.

Une construction politique

Ces fluctuations économiques et financières, avec leurs courbes, leurs chiffres et les différentes hypothèses envisagées, sont étudiées, à la loupe, par les grandes bourses financières. Elles hantent les économistes, et empêchent les financiers de dormir.

Pourtant, le Brexit, qui va bouter la Grande-Bretagne en dehors de l'Europe, est d'abord un acte politique, et c'est à ce titre qu'il a choqué l'opinion européenne, y compris les Britanniques. En votant, majoritairement, une séparation avec l'Europe, le Royaume-Uni met fin à une expérience d'un demi-siècle de construction européenne, et menace d'envisager un détricotage, qui semble, toutefois, exclu dans l'immédiat.

En lui-même, le Brexit soulève trois grandes remarques. La première concerne l'œuvre européenne : malgré ses nombreuses tares, l'Europe reste la plus grande construction, la plus complexe et la plus innovante des temps modernes. Grâce à l'Europe, ce continent, hors Balkans, n'a pas connu de conflit depuis la Seconde Guerre mondiale.

Même si elle a commencé par le charbon et l'acier, pour aller ensuite à un marché commun, l'Europe est d'abord une construction politique qui a permis d'éviter les guerres. Elle a créé une dynamique politique et économique qui s'est nourrie d'elle-même, pendant un demi-siècle, au point de réussir à intégrer, en deux décennies, l'ancienne Europe de l'Est, après avoir assuré la modernisation très rapide du Portugal et de l'Espagne. Pour un continent qui a provoqué deux guerres mondiales, le résultat est largement probant. Particulièrement quand on le compare au projet Maghreb.

Une matrice désuète

C'est de là peut-être que vient la seconde remarque concernant l'Europe : elle a été conçue, d'abord, pour gérer les douleurs du passé et éviter qu'elles ne se répètent. Les hommes politiques qui ont façonné et porté l'Europe, jusqu'au tournant du siècle, avaient tous, pour matrice politique, la Seconde Guerre mondiale. Ils ont vécu dans un monde qui n'avait ni Internet, ni la crise des migrants. Les paradis fiscaux avaient un côté exotique, et les marchés financiers n'avaient pas atteint leur puissance actuelle.

L'Europe est apparue désarmée que face aux problèmes nouveaux et aux crises les plus aiguës, particulièrement quand celles-ci ont été amplifiées par les urgences médiatiques. Incapable de trouver une réponse consensuelle à l'échelle européenne, elle a, d'ailleurs, cédé face aux pays, qui ont repris la main.

En avançant, l'Europe a généré un autre problème : elle est devenue une construction d'élites qui lui sont acquises. Lors du référendum sur le Brexit, les élites ont, d'ailleurs, voté en force pour le maintien au sein de l'UE, alors que le «peuple» a voté pour le Brexit. En outre, derrière les vocables comme «bureaucratie de Bruxelles» ou «directives européennes», se cachent, en fait, des entités ou des règles de haut niveau, qui ont permis à ce continent d'établir des normes de qualité exceptionnelles. Concrètement, l'Europe a tiré tout le monde vers le haut.

Les pauvres se déchirent entre eux

A l'exception des Européens d'en bas? Peut-être. Le discours ambiant le répète à satiété. L'Europe manque de ressources démocratiques, dit-on. Elle fonctionne en vase clos, entre experts et fonctionnaires pas assez légitimes. Des décisions anti-populaires sont prises au nom de l'Europe. Il y a une part de vérité dans ces affirmations, mais c'est le discours d'extrême droite et populiste qui a imposé cette vision. Il l'a amplifiée à tel point que l'Europe est devenue un épouvantail évoluant sur un terrain miné par le racisme et la xénophobie. Car si l'Europe a pris un virage libéral, avec une forte présence des choix dictés par les grandes entreprises et la grande finance, elle reste, aussi, l'un des espaces les plus démocratiques du monde.

Dans cet espace, les éléments les plus vulnérables sont prêts aux pires excès. Particulièrement en période de doute ou de crise. Face aux migrants, à la crise économique, à l'incertitude du lendemain, la recette classique s'impose : le problème c'est l'autre. L'étranger. On lui interdit d'entrer, on l'expulse, ou on le quitte.

Mais pour une fois, l'autre, l'étranger, c'est l'Européen.