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De la grève

par Akram Belkaïd, Paris

Il y a plusieurs manières de qualifier une grève surtout quand ses conséquences concernent des usagers. C’est le cas, par exemple, des transports ou du raffinage d’essence. Dans les deux cas, c’est l’actualité du moment en France, la grève a un impact direct sur le public qui ne peut se déplacer par manque de trains ou de métros ou parce qu’il ne peut plus utiliser son véhicule dont le réservoir est à sec. Dès lors, la colère se concentre souvent contre les grévistes, accusés de «prendre en otage» la population. Cela fait donc oublier les raisons du conflit et ses motivations. On ne se concentre plus que sur les effets du mouvement social et ses auteurs sont sommés de se justifier.

Un processus qui a payé

On est en droit de considérer que la grève est un échec. Elle signifie que deux parties, patrons et syndicats ou bien alors Etat et syndicats, n’ont pu s’entendre. Néanmoins, la caractéristique française est que le recours à la grève intervient souvent pour accompagner des négociations en cours. Dans un pays faiblement syndicalisé, contrairement à l’Allemagne, les organisations de travailleurs n’ont souvent que le recours à la grève pour faire entendre leur voix. La concertation en amont, la discussion destinée à prévenir tout conflit voire la cogestion, tout cela n’est que théorique ou peu efficace. Cela explique pourquoi la «réforme» est souvent accompagnée par la grève. Il faut insister sur la faiblesse du taux de syndicalisation en France. Trop de salariés ne se sentent pas concernés par l’idée qu’il est nécessaire de se regrouper pour défendre ses droits. Ainsi, dans les services, secteur où les entreprises sont souvent de petites tailles, la loi impose des seuils pour rendre la présence de syndicats obligatoire. Dès lors, accepter le mandat d’une grande centrale est risqué pour l’employé. Il se retrouve confronté de manière directe avec ses supérieurs ou avec son patron qu’il côtoie tous les jours. Un plus grand nombre de syndiqués signifierait un changement dans les rapports sociaux et, de manière paradoxale, cela pourrait signifier moins de conflits.

On oublie aussi que les grèves sont des processus qui ont souvent payé par le passé. En matière de droits sociaux, de gain d’autonomie, de revalorisation de salaire ou de limitation des abus (comme le travail de nuit), c’est une arme efficace qui a fait reculer le patronat à plusieurs reprises au cours des deux derniers siècles. Il reste que la presse majoritaire, propriété de grands acteurs industriels, réussit, année après année, à «ringardiser» la grève en lui accolant le qualificatif dépréciatif d’«archaïque». Or, il n’y a rien d’archaïque à vouloir défendre ses droits et ses acquis sociaux.

Des mouvements défensifs

Le fait est que les mouvements actuels en France ne sont pas destinés à obtenir plus. Ils sont surtout de nature défensive, destinés à préserver ce qui a été arraché de haute lutte par le passé. L’idée libérale du moment est de convaincre qu’il est impossible de conserver «l’ordre ancien», ce qui en clair signifie renoncer aux acquis sociaux et accepter que la norme des moins-disant s’impose. Mais, dans le même temps, il n’est expliqué nulle part que les couches les plus aisées, qui sont les véritables gagnants de la mondialisation, doivent assumer leur part de sacrifices. Si le mouvement de dérégulation et de remise en cause des droits sociaux semble être la donne contemporaine, la grève est peut-être le dernier moyen d’y résister, surtout dans un contexte où la «gauche» est aux abonnés absents.