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Imposture du choc pétrolier de 1973 ou nécessité de la «face cachée» de l'imposture ? (Suite et fin)

par Medjdoub Hamed*

Se rappeler la crise financière de 2008 où l'économie occidentale s'est pratiquement arrêtée par manque de liquidités internationales. Les banques se méfiaient les unes des autres, leurs avoirs étaient parasités par les «subprimes». Chaque banque ne prêtant pas à l'autre, craignant de ne pas recouvrer ses prêts. La grande banque américaine Lehman Brothers avait fait faillite. Il a fallu le plan américain Paulson en 2008 pour dénouer la crise, et les programmes massifs de Quantitative easing pour relancer l'économie américaine, et par leur biais dépasser la crise mondiale.

Enfin, en revenant au choc pétrolier, il est évident qu'une telle riposte des États-Unis «fermer le robinet des dollars» mettrait à néant la stratégie arabe dans l'utilisation de l'arme pétrolière contre l'Occident. Or, ce qui étonne, c'est que les Américains bien que sous embargo ont répondu positivement, favorablement aux doléances arabes. Ils ont augmenté la masse de dollars et permis aux pays consommateurs, notamment européens, de régler leurs importations de pétrole en dollars, avec un prix quadruplé.

La résolution du conflit monétaro-pétrolier parle de lui-même. Ce ne sont pas les pays arabes qui ont décidé d'augmenter le prix du pétrole mais bien les Américains. Surtout que le plus grand pays pétrolier du monde, l'Arabie saoudite, son régime monarchique est garanti par les États-Unis, depuis le Pacte scellé dans le croiseur USS Quincy, le 14 février 1945 : «accès au pétrole d'Arabie en échange de la protection militaire américaine». Mais alors pourquoi avoir permis l'augmentation du prix du pétrole ? Les États-Unis ont forcément un intérêt, et il est majeur pour accepter cette imposture «sous embargo par les pays arabes». Il faut rappeler qu'à cette époque, l'Europe refusait les dollars américains. Les Américains monétisant leurs déficits extérieurs, il apparaissait tout à fait légitime pour l'Europe de ne pas financer les déficits extérieurs, qui se traduisaient par une fuite de richesses de l'Europe vers l'Amérique sans contreparties. Telle fut la crise monétaire, à l'époque.

3. La Réserve fédérale des États-Unis, une entité monétaire supra-internationale de fait par les accords de Bretton Woods de 1944

Si l'analyse d'Eric Laurent est fondée, il demeure cependant que «ce processus n'est pas en soi une imposture, mais relève d'une conjoncture difficile, opposant à l'époque les États-Unis à l'Europe. Les accords de Bretton Woods, qui ont fait du dollar-or le centre du système monétaire international, ne sont pas venus ex nihilo, mais relèvent d'un cours naturel de l'Histoire.» Un processus qui, à maints égards s'avèrera utile pour l'économie occidentale et mondiale.

Continuons d'approfondir l'analyse, toujours par la logique du bon sens, pour comprendre l'importance de la monnaie et l'entité qui la pilote, i.e. la Banque centrale. Imaginons un marché national d'un État où les agents économiques (producteurs, vendeurs et acheteurs) se confrontent dans les transactions commerciales. Supposons que des spéculateurs font monter les prix de certaines marchandises, qui risquent d'inférer sur les autres. Et toutes les transactions s'effectuent au moyen de la monnaie (espèce, chèque, etc.), et la monnaie en circulation relève du système bancaire. Quand la croissance monétaire accompagne la croissance économique, le problème de la spéculation ne se pose pas. Mais quand la croissance monétaire masque le ralentissement de l'économie, et augmente sur fond de spéculation (hausse des prix des actifs), elle engendre des dysfonctionnements dans l'économie d'un Etat donné, entraînant l'inflation, et donc une hausse des prix et une diminution du pouvoir d'achat.

Postulons qu'il existe une entité monétaire supranationale (banque centrale) qui suit les échanges commerciaux et a pour tâche de réguler les flux financiers et monétaires pour assurer la stabilité du marché et éviter des dysfonctionnements, notamment la baisse du pouvoir d'achat qui peut engendrer des crises politiques et économiques, notamment par des grèves, de l'instabilité politique, etc. D'où des corrections que le pouvoir politique opère, avec l'assentiment de l'entité supranationale (Banque centrale), dans la réévaluation des salaires, une hausse des subventions, une baisse d'impôts, etc.

Mais le contrôle échoit toujours à l'entité monétaire supranationale. Précisément, en contrôlant la monnaie, et donc les flux monétaires, en limitant, par exemple, la création monétaire lorsque le marché est en surchauffe, elle limite la spéculation. Si l'entité prend les mesures en retard, il lui reste toujours des moyens conventionnels (forte hausse du taux d'intérêt, diminution drastique de la masse monétaire, assèchement monétaire par la hausse du taux d'intérêt) pour dégonfler la bulle spéculative qui a pris dans le marché.

Evidemment, les politiques monétaires qui régissent le pilotage d'un marché sont souvent en butte avec la réalité, et donc aux crises.

Mais alors la réalité et les crises ont un sens ? Le premier élément de réponse est qu'un État national n'est pas seul dans le commerce mondial. Son marché est immergé dans la mappemonde où tout est imbriqué, politique, économique, monétaire, technologique, démographique, géopolitique, géostratégique? Dès lors, il faut admettre que l'évolution économique des États comme les crises qui jalonnent leur histoire s'inscrivent précisément dans le dépassement de leur état dans leurs stades historiques successifs. Il y a comme une auto-construction ouverte du monde, dans le temps et dans l'espace. Et si les crises sont là, se répètent, c'est qu'elles participent au développement du monde.

Pour avoir une idée du développement historique, postulons que la phase qui a donné le premier choc pétrolier de 1973 est en fait une phase historique qui rappelle la phase de la grande crise de 1929. Postulons qu'une entité monétaire cette fois-ci supra-internationale, depuis les accords de juillet 1944, a agi, comme l'aurait fait une instance monétaire d'un État, dans les échanges internationaux. Postulons que le système économique mondial qui a fonctionné sans trop de heurt jusqu'au début des crises monétaires au début des années 1970 a été piloté, sur le plan monétaire, par la Réserve fédérale des États-Unis. Les accords de Bretton Woods ont fait de la Fed l'«entité monétaire supra-internationale», où le dollar était aussi «as good as gold» (aussi bon que l'or). La Fed américaine est devenue en quelque sorte la «Banque centrale du monde». Mais la montée en puissance industrielle de l'Europe et du Japon a fragilisé l'édifice historique et rendu de moins en moins tolérables les privilèges conférés à la Fed américaine, et donc à la première puissance du monde.

La question qui se posait à l'époque : «l'affaiblissement de la puissance américaine allait-elle sonner le glas au système financier et monétaire hérité du dernier conflit mondial ?» D'autant plus que les États-Unis avaient fait entériner les conséquences monétaires d'une hégémonie militaire, politique et économique désormais incontestée dans le monde occidental, et même mondial puisque l'URSS ne contrebalançait la supériorité américaine que dans le domaine militaire, notamment nucléaire.

Pour ne donner que quelques événements clés qui ont marqué cette époque. Une Réunion s'est tenue le 7 mai 1971, au Luxembourg des Six, «pour conjurer l'entrée massive de dollars en RFA.» En l'absence de solutions communautaires, la Bundesbank laisse «flotter le DM et la Banque de France maintient la parité du franc.» Le 8 mai 1971, la recherche communautaire d'une solution commune à la crise monétaire n'a pas abouti. Le président Nixon annonce, le 15 août, la suppression de la convertibilité en or du dollar et de l'instauration d'une taxe de 10% sur les importations. La France riposte et décide, le 18 août 1971, d'instituer un double marché de changes. Un jour après, le 19 août 1971, les ministres des Finances de la CEE, réuni à Bruxelles, n'arrivent pas à s'entendre pour fournir une réponse commune aux décisions du président Nixon. Le 24 août 1971, le GATT, devenu aujourd'hui l'OMC, condamne les décisions du président Nixon. Le Japon, à son tour, laisse, le 28 août 1971, flotter le yen. Le 13 septembre 1971, les ministres des Finances de l'Europe des Six, réunis à Bruxelles, décident de prendre une position commune face aux décisions américaines. Les pays européens réclament, le 16 septembre 1971, lors de la réunion des Dix à Londres, la dévaluation du dollar par rapport à l'or. Les États-Unis leur imposent un refus catégorique. (3)

4. Conclusion de la quatrième partie

D'évidence, le monde vivait une crise grave, intense sur le plan économique, financier et monétaire. On peut même dire la plus grave crise monétaire que le monde ait vécue depuis 1945. En réalité, les effets de l'avant crise de 1929 ont refait surface. Le choc pétrolier de 1973 est en quelque sorte le reliquat des accords de Gênes de 1922 et des accords de Bretton Woods de 1944. Ni le plan de l'Américain Harry Dexter White ni de l'Anglais John Maynard Keynes ne l'ont emporté. En réalité, l'évolution monétaire sur le plan international composait avec l'évolution politique et économique du monde. Et si les règles instituées pour les relations monétaires internationales portaient clairement la marque de la domination américaine, c'est simplement parce que c'était nécessaire au vu de la conjoncture géopolitique du monde à l'époque.

La crise monétaire devenue ensuite pétrolière ne faisait en réalité que rebattre les cartes du monde, ouvrant une ère nouvelle pour l'économie mondiale. Il était évident qu'il était hors de question de retourner à la case départ comme ce qui a prévalu dans les années post-crise 1929, avec la dépression mondiale des années 1930 qui a donné la Deuxième Guerre mondiale.

Le monde a tellement changé, des continents entiers ont été décolonisés, les grands empires ont disparu. Il ne restait plus que deux grandes puissances mondiales, les États-Unis et l'Union soviétique, et le reste du monde entier tantôt pro-américain, tantôt pro-soviétique selon l'évolution des relations internationales. Et l'Europe de l'Ouest était adossée à la superpuissance américaine, et ne doit sa survie en tant que monde libre qu'à l'existence, et donc la présence américaine sur le sol européen.

«Ce que l'on nomme «Guerre froide» était en réalité une guerre de survie de deux systèmes qui se faisaient face, dont un devait disparaître. Tel était l'enjeu de la partie jouée entre les Grands à l'époque.»

Précisément, lorsque l'Europe s'est reconstruite et a commencé à peser sur le commerce mondial, et gagné de plus en plus de parts de marché au détriment des États-Unis, a commencé à remettre en cause l'hégémonie de la puissance financière et monétaire américaine. «La mentalité qui prévalait en Europe n'a pour ainsi dire pas dépassé ce qui prévalait dans les années 1930. Toujours cette ambition de puissance»

Quand bien même les revendications européennes étaient légitimes, les problèmes monétaires, à l'époque, étaient néanmoins mal posés, d'où les crises. Au sens de la raison, il aurait été plus logique de s'interroger pourquoi les États-Unis accumulaient les déficits avec le reste du monde, notamment avec l'Europe. Ils utilisaient l'arme monétaire pour monétiser leurs déficits, ce qui en soi, en les répercutant sur le reste du monde via les masses de dollars émises ex nihilo (sans contreparties d'actifs), signifiait que les États-Unis prélevaient des richesses dont ils n'avaient pas droit. Ce que de Gaule affirmait «vivre gratuitement», et ce que l'Europe n'avait pas accepté.

On peut alors se poser la question : «les Américains ne travaillaient pas assez, et donc n'exportaient pas suffisamment. D'où la perte d'une grande partie du stock d'or au profit de l'Europe, et la remise en cause du «dollar as good as gold» ? Est-elle juste cette réponse ? Et si ce n'est pas le cas, les Américains travaillent tout autant que les Européens, pourquoi alors les États-Unis qui ont perdu tant d'or au point que le dollar américain, qui tient une place centrale dans le système de l'étalon-change-or, soit remis en question par les Européens ? La production d'or dans le monde n'a-t-elle pas suivi la croissance démographique, économique, financière et monétaire du monde ? En effet, plus d'agents économiques (population mondiale en croissance), plus de croissance économique, financière appellent à plus de création monétaire, et donc à plus d'or pour maintenir le système monétaire international efficient. Ou bien la rigidité du taux de change-or fixe du dollar, sur la base de 35 dollars l'once d'or qui n'a pas varié depuis le 31 janvier 1934, est-elle un des facteurs de la crise entre les États-Unis et l'Europe ? Ou enfin la perte de compétitivité des États-Unis par rapport aux autres puissances développées ?

Manifestement, c'est cette dernière, la raison principale qui explique pourquoi l'Europe et le Japon ont distancé les États-Unis. Mais alors comment expliquer l'inconscience des Américains ? Ils sortaient du Deuxième Conflit mondial victorieux sur toute la ligne. Ils ont reconstruit l'Europe et le Japon grâce à leur industrie qui était à la pointe du progrès dans tous les domaines, pour se retrouver, après moins de trois décennies, dépendants de l'Europe et du Japon. «Et cette déduction sur la compétitivité européenne et japonaise tient-elle la route, ceci dit en absolu ?»

En d'autres termes, est-elle vraie même si les faits sont là, irrécusables, confirmés par les déficits commerciaux américains ? Ce qui est difficile à admettre pour une superpuissance mondiale. Pourtant c'est le cas, la réalité est là et l'Europe s'insurge contre l'usage inconsidéré du dollar. Elle refuse dès 1971 l'entrée massive des dollars. Qu'en est-il réellement ? «L'Europe des Six a-t-elle raison ?» Et «si elle a tort ?» Et le reste du monde, l'Asie, l'Amérique du Sud, l'Afrique, dont les systèmes monétaires dépendent des monnaies occidentales, combien compte-il dans cette crise qui oppose l'Europe aux États-Unis ?

C'est précisément là, «la nécessité de la face cachée de l'imposture du premier choc pétrolier», à comprendre, qui n'a pas été dite, qui n'a pas été rendue lisible et laissé sombre «le bras de fer monétaire États-Unis-Europe». Où le premier choc pétrolier, et ceux qui ont suivi, ainsi que les contrechocs pétroliers jusqu'à celui d'aujourd'hui, n'ont été que le pendant des crises monétaires dont l'origine remonte à la Conférence de Gêne, en 1922, puis aux accords de 1944, puis aux accords de la Jamaïque, en 1976. Et, encore aujourd'hui, les séquelles de ces crises sont toujours là. Et où le problème d'«une entité monétaire supra-internationale» reste toujours posé.

* Auteur et chercheur indépendant en économie mondiale, relations internationales et prospective / www.sens-du-monde.com

Notes :

3. «Chronologie de l'économie mondiale depuis 1945 », par Bruno Benoit et Roland Saussac. Edition BREAL. 1992 France