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Imposture du choc pétrolier de 1973 ou nécessité de la «face cachée» de l'imposture ? (1ère partie)

par Medjdoub Hamed

Ce qui se passe aujourd'hui sur le plan économique, financier et monétaire et les fameuses politiques d'assouplissement monétaire non conventionnel appelées en anglais quantitative easing ou QE, menées par les Banques centrales des quatre grands pays du monde (États-Unis, Europe monétaire des 19 ou Zone euro, Grande-Bretagne et Japon), nous interpellent à maints égards.

Parce que ces politiques ont des retentissements extraor-dinaires sur l'évolution de l'économie mondiale, notamment pour la reprise économique qui est, aujourd'hui, incontestablement anémique et fait craindre dans les années à venir que le monde restera ballotté dans l'indécision, voire dans l'attentisme d'une «baraka» qui viendra remettre les pendules à l'heure. Et si ces politiques d'assouplissement monétaire non conventionnel dont on parle beaucoup aujourd'hui remontent en fait loin, depuis au moins un demi-siècle, et ont fonctionné sans que l'on utilise le terme friedmanien, «monnaie hélicoptère» énoncé par Milton Friedman dans son livre, «The optimum quantity of money», paru en 1969. Ou plutôt grâce au génie de Milton Friedman, contrairement aux années 1930, ce terme de «monnaie hélicoptère» a commencé à jouer depuis la fin du Deuxième Conflit mondial, sauf qu'à l'époque, ce terme n'était pas connu. Il n'a commencé à l'être que depuis la crise monétaire de 1971, suivie du premier choc pétrolier. Qu'en est-il aujourd'hui de ces événements, après 45 années de recul historique ?

1. Le premier choc pétrolier, analysé comme une imposture

Eric Laurent, dans une analyse (1), écrit : « Le choc pétrolier de 1973 et ses conséquences relèvent pour une bonne part d'une imposture gigantesque, efficacement orchestrée. La vérité est bien éloignée de la légende : en 1973, il n'y a jamais eu de véritable pénurie de pétrole. Il suffit d'examiner les faits un à un. Pendant des décennies, le pétrole, abondant et bon marché, a servi à l'Occident d'euphorisant et d'anesthésiant. Il nous a rendus prospères, mais aussi arrogants et aveugles. A l'issue de la Première Guerre mondiale, il existait en tout et pour tout 2 millions de voitures et de camions à travers le monde. Au milieu des années 1950, le nombre de véhicules est passé à 100 millions, pour atteindre, au moment de l'embargo, plus de 300 millions de voitures et camions, dont 200 millions pour les seuls Etats-Unis. En quelques jours, des pays producteurs de pétrole, auxquels jusqu'ici personne ne semblait s'intéresser, prennent en otage l'économie mondiale, et la font vaciller. C'est du moins le souvenir durable que nous en avons gardé. Un souvenir totalement erroné, en grande partie fabriqué.

Le choc pétrolier de 1973 et ses conséquences relèvent pour une bonne part d'une imposture gigantesque, efficacement orchestrée. Il suffit d'examiner les faits un à un.

Le 19 octobre, au moment même où le royaume saoudien et ses homologues arabes décident de l'entrée en vigueur de l'embargo, le président Richard Nixon annonce publiquement l'octroi d'une aide militaire d'un montant de 2,2 milliards de dollars à destination d'Israël. Dès le 8 octobre, deux jours après le déclenchement du conflit, le chef de l'Etat américain avait autorisé des avions d'El Al dépourvus d'immatriculation à se poser aux Etats-Unis pour approvisionner l'Etat hébreu en fournitures militaires. Un soutien aussi appuyé à Jérusalem, alors que sur le terrain Tsahal a repris l'offensive et qu'un cessez-le-feu n'est toujours pas signé, aurait dû provoquer la fureur des pays producteurs et les inciter à durcir encore leurs positions. Il n'en est rien, et l'embargo s'achève au bout de trois mois comme il s'est déroulé : dans la plus grande confusion, sans que l'on sache exactement combien de temps il a duré, la rigueur avec laquelle il a été appliqué et pourquoi il y a été mis fin. Les pays producteurs n'ont pas obtenu le moindre gain politique.

La vérité est bien éloignée de la légende : en 1973, il n'y a jamais eu de véritable pénurie de pétrole.

Je suis en revanche frappé par le climat d'hystérie qui règne dans les pays consommateurs. Pendant des décennies, le prix du baril a, agréablement pour nous, stagné à 1 ou 2 dollars. Pour la première fois de son histoire, le monde riche a atteint un niveau de bien-être et de développement économique sans précédent, grâce à une matière première achetée à un prix quasi symbolique. Ce constat rend les mouvements de panique encore plus indécents.

Aux Etats-Unis, sur la côte est comme à Los Angeles, je vois les files de voitures s'allonger à proximité des stations-service en activité, les conducteurs maintenant les moteurs allumés et l'air conditionné branché, brûlant plus d'essence qu'ils ne pourront en acheter. Le consommateur américain vit désormais dans l'angoisse du «réservoir vide» et ne pense qu'à faire le plein, alors que jusqu'à ce moment il circulait avec une jauge proche de zéro. Les stockages de précaution se multiplient et les Etats-Unis, comme l'Europe, confrontés cette année-là à un hiver glacial, déclenchent une forte augmentation de la demande mondiale en pétrole. Il existe pourtant une large capacité excédentaire mais, face à l'ampleur de cette demande, elle disparaît rapidement, provoquant une importante tension sur les prix. [?]

La crise de 1973 vient de sonner le glas du pétrole bradé et de la toute-puissance des compagnies pétrolières, qui contrôlaient 80% des exportations mondiales. Au plus fort de l'embargo, les «sept sœurs» - Exxon, Shell, Texaco, Mobil, BP, Chevron et Gulf - publient des bénéfices records. Ceux d'Exxon, par exemple, sont en hausse de 80% par rapport à l'année précédente. Ces gains proviennent de la plus-value considérable réalisée sur les stocks détenus par ces compagnies.

Les consommateurs soupçonnent ces firmes d'avoir partie liée avec les pays producteurs. Après des décennies de règne sans partage, les grandes sociétés pétrolières voient une grande partie du pouvoir leur échapper, au profit de pays producteurs qu'elles ont pendant longtemps méprisés. Mais le soupçon des consommateurs n'est pas dénué de fondement. En coulisse, dans le plus grand secret, producteurs et majors du pétrole ont noué la plus improbable des alliances ; une vérité soigneusement cachée encore aujourd'hui. Sans cet accord, le «choc» pétrolier n'aurait jamais eu lieu. Phénomène identique pour les prix. A la fin de l'année 1973, le coût du baril est passé de 5,20 à 11,65 dollars en deux mois. Mais, contrairement à ce qui a toujours été affirmé, ce n'est pas le bref embargo décrété par les producteurs qui a conduit au quadruplement des prix, même si désormais, la leçon retenue, les prix élevés agiront sur eux comme un aimant.

Le climat d'hystérie, la peur de manquer qui règnent dans les pays industrialisés provoquent la flambée des cours. Les consommateurs, en se comportant au fond comme des enfants gâtés et égoïstes refusant d'affronter la réalité, contribuent à amplifier la crise. [?]

L'OPEP, un coupable tout trouvé

Lorsque Richard Nixon apparaît à la télévision, le 27 novembre 1973, épuisé, butant sur les mots, son allocution marque les esprits : «Les Etats-Unis, lit-il, vont avoir à affronter les restrictions d'énergie les plus sévères qu'ils aient jamais connues, même pendant la Seconde Guerre mondiale.» Ces propos impressionnent, et très vite l'ensemble des responsables désignent le coupable tout trouvé : l'OPEP, et notamment ses membres arabes. Prenant la parole au Sénat, le sénateur Fullbright, président de la commission des Affaires étrangères, un des esprits les plus indépendants du Congrès, déclare : «Les producteurs arabes de pétrole n'ont que des forces militaires insignifiantes dans le monde d'aujourd'hui. Ils sont comme de faibles gazelles dans une jungle de grands fauves. Nous devons, comme amis, le leur rappeler. Ils prendraient pour eux-mêmes des risques terribles, s'ils en venaient à menacer vraiment l'équilibre économique et social des grandes puissances industrielles, la nôtre en particulier. »

L'avertissement est clair, mais les pays producteurs n'ont jamais songé à s'engager dans une épreuve de force avec l'Occident. Ils n'en ont ni la volonté ni les moyens. Pourtant, une campagne extrêmement efficace va souligner les dangers que ces pays en développement font peser sur notre indépendance et notre prospérité. Dans la presse, l'OPEP devient brusquement un «cartel» dictant sa loi, et aucun connaisseur du dossier ne prend la peine de rappeler qu'entre 1960, date de sa création, et 1971, date de la signature des accords de Téhéran, l'OPEP n'a jamais été en mesure d'arracher une seule hausse des prix du pétrole, même de quelques centimes. Pis, durant cette crise, le prix du pétrole, en valeur absolue, n'a cessé de baisser.»

Qu'en est-il réellement du premier choc pétrolier ? «Imposture» comme le dénonce le journaliste très connu des médias, Eric Laurent, ou «un processus historique naturel» ?

2. La formation du prix du pétrole : la «monnaie du troisième protagoniste, le dollar»

Dans les éléments de réponse qui vont suivre, on s'efforcera, par la logique du bon sens, de montrer les forces qui travaillent dans l'élaboration des prix dans le commerce au niveau d'un État, ou au niveau international. Ce qui nous évitera autant que possible d'utiliser les concepts scientifiques de l'économie, souvent rébarbatifs. Rendre simple ce qui apparaît complexe et, surtout le débat de spécialistes dont les approches sont sujettes à différentes interprétations. Comme aujourd'hui, les politiques de Quantitative easing menées par les Banques centrales occidentales. Beaucoup d'économistes voit les QE comme utiles, d'autres comme négatives, d'autres encore comme ne servant à rien, sans effets. (2)

Ceci étant, qu'en est-il du premier choc pétrolier ? Pourquoi, comme l'écrit Eric Laurent, le prix du pétrole est resté très bas, plus d'une décennie, puis, au début des années 1970, il devient une matière première centrale dans le commerce mondial. Qu'a-t-il pu se passer pour que le pétrole a fait tant parler de lui, «au point que les pays arabes aient dicté leurs conditions un temps à l'Occident ?»

Interrogeons-nous, à juste titre : «Les pays arabes ont-ils été réellement, en 1973, à l'origine du quadruplement du prix de pétrole ? Ont-ils réellement imposé un embargo pétrolier contre les États-Unis, lors de la guerre israélo-arabe d'octobre 1973. Et si le quadruplement du prix du pétrole comme l'embargo leur a été dicté, rendant les pays arabes en simples instruments d'une stratégie de domination américaine du monde ? »

Pour comprendre, considérons un marché où deux protagonistes sont en prise dans une transaction commerciale. Un qui est vendeur d'un produit, un autre qui est acheteur de ce produit. Supposons qu'un prix donné est affiché, et qu'avec une conjoncture difficile, le vendeur qui a eu beaucoup de frais veut augmenter les prix pour se retrouver dans ses comptes. Et l'acheteur doit forcément se soumettre, évidemment s'il n'a pas d'alternative, et qu'il ait un pouvoir d'achat suffisant. Et par pouvoir, on l'entend «monétaire». On désigne évidemment ces deux protagonistes comme la masse de vendeurs et d'acheteurs qui activent dans le commerce au sein d'une nation. Et on prend comme moyen d'échange et de mesure du coût de la transaction, i.e. le prix des produits fabriqués, matières premières et énergie, bien entendu, «la monnaie». Celle-ci dépend de la situation monétaire de cette nation, dont le pilotage relève de la Banque centrale de ce pays.

Pour que le vendeur puisse augmenter les prix, et donc tous les commerçants de ce pays, i.e. les producteurs-vendeurs et intermédiaires-vendeurs en gros et au détail, il est clair que pour que la hausse des prix se produise, il y a la nécessité d'un préalable. Dans le sens que la monnaie soit en quantité suffisante et disponible pour accompagner la hausse des prix, surtout si elle est importante. Un quadruplement du prix d'un produit donné, notamment l'énergie (pétrole, essence, gaz, électricité, etc.), et qui est central dans l'économie d'une nation, va influer sur tous les prix des autres produits dans l'économie de cette nation. Sans une augmentation conséquente de la masse monétaire et sa disponibilité, une hausse des prix est pratiquement impossible, ou très faible.

Le vendeur ne sera donc pas dans ses comptes. Ce qui nous fait dire qu'entre les deux protagonistes, il y a un troisième protagoniste, i.e. la Banque centrale (BC) et le système bancaire de ce pays, contrôlé par elle.

Donc, une hausse des prix ne peut s'opérer que si la Banque centrale consent à cette hausse des prix. Et que l'augmentation ne porte pas préjudice à la bonne marche de l'économie nationale. Habituellement, la BC n'augmente la masse monétaire qu'en contrepartie d'actifs réels, i.e. de création de richesses prouvées. Et la politique monétaire qu'elle mène est avant tout «viser la stabilité et une faible inflation». Lorsque l'économie croît, la BC augmente la masse monétaire, lorsqu'elle décroît, inversement. Un schéma vertueux, idyllique, qui n'est pas toujours vrai dans la pratique.

On constate que, dans la formation des prix dans une nation, la Banque centrale joue un rôle central en tant qu'émetteur de monnaie qui va soutenir les échanges, et les variations des prix. Et tous les marchés du monde sont dépendants de leurs pouvoirs financiers respectifs. Aussi, dès lors que les pays arabes quadruplent le prix du pétrole en 1973, et le pétrole arabe est facturé en dollars, il est évident que la Banque centrale des États-Unis (Fed) se trouve dans l'obligation de soutenir ce changement de prix, et doit donc émettre des quantités importantes de dollars qui vont se compter par centaines, voire par milliers de milliards de dollars, puisque chaque année, l'Occident est tenu d'importer du pétrole pour son économie.

Or, les États-Unis, sous embargo pétrolier par les pays arabes pour l'aide apportée à Israël, nous fait penser qu'il y a discordance entre l'annonce unilatérale des pays du Golfe d'augmenter le prix du baril de pétrole et la nécessité pour la Fed américaine d'augmenter la masse monétaire de dollars pour accompagner la hausse des prix pétroliers. Et même en supposant qu'il existait déjà un surplus de dollars sur les marchés, le besoin de liquidités du fait du quadruplement du prix du pétrole va se faire ressentir inéluctablement. Et tout laisse croire que les États-Unis sous embargo par les pays arabes vont riposter non en augmentant la masse monétaire, mais en la diminuant, faisant ainsi échec à la hausse des prix du pétrole imposée par les pays arabes.

A suivre...

*Auteur et chercheur indépendant en économie mondiale, relations internationales et prospective / www.sens-du-monde.com

Notes :

1. «L'imposture du choc pétrolier de 1973 », par Eric Laurent. 2 mai 2006 / www.agoravox.fr

2. «Une «monnaie hélicoptère», lâchée dans les années 1930, aurait-elle évité la Grande Dépression mondiale? Les leçons d'une crise», par Medjdoub Hamed. 4 mai 2016 / www.sens-du-monde.com , www.agoravox.fr , www.lequotidien-oran.com