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Le festival off des films algériens (1/5)

par Tewfik Hakem

Et si tous les films de la sélection officielle étaient en fait réalisés par des cinéastes de chez nous ? Chronique festivalière en forme de fièvre passagère.

Sur le papier, ce n'était pas gagné du tout, mais au final quelle réussite ! Pour une fois, saluons le talent de Rachid Belhadj qui est venu présenter en compétition officielle «Sieranevada», un film un petit chouïa long mais maîtrisé de bout en bout et qui a tenu en haleine tous les accrédités internationaux du Festival. Encore un huis-clos, le film de Rachid Belhadj se déroule presque totalement à l'intérieur d'un appartement kabyle, le 40ème jour du décès du patriarche. Tous les enfants et petits-enfants sont là pour le dîner de circonstance et on attend l'imam avant de passer à table. Avec peu de moyens et beaucoup d'idées, le réalisateur algérien qui ne nous avait pourtant pas habitués à tant d'ingéniosité, transforme cette réunion familiale en micro-société traversée, pour ne pas dire fracassée, par tous les problèmes qui plombent l'Algérie. Des petits tracas anecdotiques de la vie courante au traumas constitutifs de la nation, du respect aux vieux qui se perd, aux révolutions ratées qui façonnent dans l'aigreur les esprits malmenés. La caméra plantée au centre du dispositif passe de chambre en chambre, de la cuisine au salon, et capte des fragments de discussions, de disputes, de règlements de comptes. On crie, on pleure, on rit, on s'affole, et on attend encore et encore l'imam. Bref, le lecteur pas trop bête aura compris le sens de la métaphore, dans cette famille kabyle c'est le linge sale de l'Algérie qu'on étend tel qu'il est. Pour aérer le film, Rachid Belhadj se permet une courte mais belle incursion dans les rues désolées de ce pauvre bled, étonnante et violente scène où les voisins en viennent aux mains à cause d'une place de parking (sauvage) que l'un des convives n'aurait jamais dû prendre. Bref, welcome in Algeria, sa famille éclatée et ses violences plus ou moins contenues. Jamais gratuits, les mouvements de caméra ne servent pas à faire des démonstrations stylistiques à coup de plans séquences incroyables, mais obéissent à une trame narrative minutieusement ficelée. On passe d'un sujet grave et politique ( la bêtise du pouvoir politique, la connerie du Mak, le nouvel ordre mondial, la tournée des zaouïas d'Ali Baba) à des discussions plus triviales (dans quelle région d'Algérie au juste est née la chorba, pourquoi les femmes qui endossent de plus en plus de responsabilités ne sont toujours pas respectées, quels sont les voisins nécessiteux qui méritent qu'on leur donne comme le veut la tradition une partie du dîner en hommage au disparu, etc.). Cette pure fiction ressemble au documentaire immersif, et là en l'occurrence au sein d'une famille algérienne avec des racines et des langues.

Si le film de Rachid Belhadj dans son dispositif contraignant s'avère une réussite absolue c'est aussi en partie grâce à l'époustouflante équipe de comédiens. Qui aurait cru qu'un jour on allait dire le plus grand bien de Fawzi B. Saïchi, de Chérif Azrou, de Nassima Shems, de Hajla Kheladi, de Fatima Belhadj, même Farida Saboundji est crédible pour la première fois à l'écran. Que dire sinon que cela fait plaisir de voir le cinéma algérien se réveiller après un coma qui a duré longtemps.

Devant ce chef-d'œuvre annoncé, les ennemis de l'Algérie ne sont pas restés inactifs c'est le moins que l'on puisse dire. Alors que tout était prêt pour une grandiose fête algérienne avec méchoui et zorna, un complot ourdi par qui vous savez a transformé ce film algérien en film roumain. A la dernière minute, Rachid Belhadj a été remplacé par Cristi Puiu, l'appartement kabyle a été délocalisé dans une banlieue de Bucarest, et les comédiens de chez nous ont dû céder la place à une troupe d'artistes roumains. C'est trop injuste. Dans la précipitation de cette spoliation, on a oublié de changer le dialogue autours de la chorba. Qu'on ne vienne pas nous dire que la chorba est roumaine, on n'est peut-être pas des Arabes mais on ne mange pas des ruines roumaines non plus !

# Alaâ Mentag.