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L'Union européenne à la croisée des chemins

par Azzedine Chaibi*

Lorsque Christine Lagarde, directrice générale du FMI, déclare au forum économique mondial de Davos, tenu en janvier 2016, que la crise des migrants en Europe compromet la survie de l'espace Schengen ou que Donald Tusk, président du Conseil européen, affirme à Strasbourg le mardi 19 janvier qu'il ne reste plus que deux mois pour sauver Schengen, nous sommes enclins à déduire que l'un des principaux acquis de l'Union européenne est sur la voie de s'effondrer, sans emporter dans son mouvement la construction communautaire.

Or, en s'arrêtant au constat sans chercher les causes ayant conduit à cette situation, les dirigeants européens prennent un double risque : d'une part celui de limiter les efforts à des mesures ponctuelles et, d'autre part celui de laisser le marasme se propager. Certes, l'Union européenne a déjà connu des épisodes épineux, comme le résultat négatif du référendum organisé en 2005 en vue d'établir la constitution de l'Europe, mais ce qui survient aujourd'hui au sein de l'Europe depuis quelques mois est inédit, susceptible de constituer un tournant dans son histoire. Et si l'Union européenne a connu le tournant historique accélérateur au service de sa construction en 1999 par l'instauration de la monnaie unique, celui dont il est question ici a le funeste rôle de faire perdre la vitesse à l'élan fédérateur des nations européennes. Perte de vitesse qui, selon le vieil adage « qui n'avance pas recule », peut faire ressurgir l'idée du désenchantement du monde, ou plus précisément celui de l'Europe, que l'on croyait disparu à jamais grâce à l'association des nations européennes entamée après la Seconde Guerre mondiale.

Que se passe-il donc de si particulier au sein de l'Union européenne d'aujourd'hui? En quoi les évènements qui s'y produisent sont uniques et susceptibles de constituer un tournant dans son histoire ?

La réponse à cette problématique exige une analyse en deux temps : le premier temps s'attellera à examiner les tenants et les aboutissants des évènements qui font le quotidien de l'Europe d'aujourd'hui et le second à faire de la projection à court terme. La frontière entre les deux thèmes n'est toutefois pas imperméable. Le regard porté sur l'Europe d'aujourd'hui s'appuie sur les actualités qui s'y rapportent, caractérisées par la crise migratoire portée à son paroxysme depuis la guerre en Syrie et les attentats terroristes, surtout après ceux de Paris et de Bruxelles. Les perspectives de l'Union européenne à court terme sont abordées à la lumière des futures consultations électorales de quelques pays ainsi que du statut particulier de la Turquie. Cette méthodologie se veut une démonstration que l'orage qui traverse le ciel de l'Union européenne n'est pas près de se dissiper, du moins à brève échéance.

La crise migratoire :

Pour mesurer l'ampleur du phénomène, il suffit de rappeler les statistiques données par l'Organisation internationale pour les migrants (OIM) et le Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR), qui font état de plus d'un million d'entrées de migrants en Europe en 2015, par voies maritime et terrestre. On estime que le nombre de migrants pendant les trois prochaines années sera de trois millions. Ce mouvement massif vers l'Europe, entamé depuis déjà plusieurs années, s'est accentué avec la guerre en Syrie. Il a eu pour conséquences, en premier lieu, d'aggraver les dissensions entre les Etats membres, comme l'ont montré les propositions de quotas de la commission européenne que certains pays, dont la Hongrie, ont refusé d'appliquer ou encore la multiplication des incidents diplomatiques, comme le démontre le rappel par Athènes de son ambassadrice en Autriche. « L'Union européenne est malade de ses dissensions béantes », titra le quotidien Le Monde dans son édition du vingt février 2016, pour désigner le mal qui ronge l'Europe. Il est certain que les divergences entre les Etats membres de l'Union européenne sont nombreuses et ne datent pas de la crise migratoire. D'ailleurs, l'impossibilité de bâtir une politique étrangère commune ou une position commune face aux conflits militaires est le meilleur des arguments. Mais la crise migratoire, parce qu'elle elle a pour terre l'Europe et pour conséquences l'insécurité, risque d'ouvrir la boîte de Pandore que les dirigeants européens auront du mal à refermer. Elle risque d'abord d'engendrer la suspension de l'adhésion de quelques Etats comme cela fut envisagé à plusieurs fois à l'encontre de la Grèce. Elle risque ensuite de faire perdurer les négociations en cours sur nombre de dossiers, comme celui des candidats à l'adhésion, rendant les missions des institutions européennes, autrefois habituelles, ardues. Elle risque enfin de mettre en péril le système démocratique dont se prévaut la classe dirigeante, par la montée en puissance de l'électorat de l'extrême droite.

La deuxième conséquence de la crise migratoire est la remise en cause du principal acquis de la construction communautaire qui est Schengen, de sorte que certains dirigeants européens n'hésitent plus à déclarer, à leur corps défendant, que Schengen est mort. Depuis septembre 2015, date à laquelle l'Allemagne a décidé de rétablir le contrôle d'identité à sa frontière avec l'Autriche et la République tchèque en raison de la crise migratoire, beaucoup de pays ont suivi la même voie. Ainsi, les autorités suédoises ont restauré des contrôles d'identité autour de l'Öresund, principale porte d'entrée vers le royaume et le Danemark a rétabli le contrôle à ses frontières avec l'Allemagne. De même, la France a instauré le contrôle sur la totalité de ses frontières après les attentats de novembre 2015. La Slovaquie aussi a rétabli le contrôle de ses frontières avec l'Autriche et la Hongrie en septembre 2015 en raison du flux massif des migrants qui la traversent. Ces exemples d'Etats ayant rétabli le contrôle de leurs frontières sont indicatifs et non exhaustifs, car d'autres ont fait le même choix. Bien entendu, le contrôle ne s'effectue pas sur l'intégralité du tracé des frontières de manière ininterrompue, même s'il existe quelques points de passage dont la vérification de l'identité des passagers est réalisée continuellement. Même si le rétablissement temporaire des frontières nationales des pays du traité de Schengen a pour cause première la crise migratoire, les attentats terroristes en France et en Belgique l'ont accentué. Certes, cette mesure visant à suspendre la libre circulation effectuée dans le cadre des accords de Schengen est prévue pour une durée variant de trois mois à deux ans, mais ses effets sur la construction de l'Union européenne mettent en exergue une leçon sur laquelle les dirigeants européens mettront longtemps à méditer : en matière de construction communautaire, rien n'est définitivement acquis. Tout est réversible, ce qui est fait peut être défait. L'impact est donc redoutable, pouvant porter atteinte aux fondements mêmes de l'Europe, surtout si la situation venait à perdurer.

La détérioration du climat sécuritaire :

Les attentats terroristes, commis par divers groupes pour diverses causes, connaissent un rythme effréné depuis une quinzaine d'années, jamais enregistré auparavant. Ils n'épargnent aucune région ni aucune population à travers le monde. Et l'Europe n'est pas en reste. Ainsi, le nombre d'attentats exécutés à l'intérieur du territoire Schengen, depuis 2004, est supérieur à dix. De Madrid à Bruxelles, en passant par Londres et Paris, aucune capitale européenne n'est épargnée. En 2004 déjà, la capitale espagnole fut le lieu d'un attentat faisant cent quatre-vingt-onze victimes et plus de mille huit cent blessés. Celui de 2006 fit deux morts et dix-neuf blessés. Même l'île de Majorque fut la cible d'un attentat en 2009 qui coûta la vie à deux personnes. Comptant parmi les pays les plus durement touchés, la France fut le théâtre d'attaques terroristes au retentissement international. Toulouse, Montauban, Saint-Quentin-Fallavier et Paris furent les lieux d'attentats, respectivement en 2012, 2015 et 2016, dont le bilan global s'éleva à plus de cent-quarante morts et plus de quatre cent blessés. Abritant la capitale de l'Union européenne, en l'occurrence Bruxelles, la Belgique, de son côté, fut la cible de trois attentats fortement symboliques qui se sont produits en 2011, 2014 et 2016 et qui coûtèrent la vie à quarante individus et firent près de quatre cents blessés. De même, la Grande-Bretagne ne fut pas épargnée. En 2005, y est survenu un attentat faisant cinquante-six décès et sept cents blessés. Et si l'écho médiatique provoqué par l'attentat de Frankfurt en Allemagne en 2011, et celui d'Apeldoorn aux Pays-Bas en 2009, ne fut pas de la même ampleur que celui de la France ou de la Belgique, il n'en eut pas moins d'impact sur la construction européenne. La détérioration du climat sécuritaire au sein de la communauté européenne, depuis plus de dix ans, est par conséquent un fait qui la met à rude épreuve. Mais si l'insécurité semble toucher des Etats supposés unis, les réponses en ont souvent été nationales, comme si le destin commun ne peut être envisagé qu'en temps de paix et que toute menace extérieure fait éveiller les vieux réflexes nationaux. Ce climat de quasi-guerre, comme n'hésitent plus à le désigner certains dirigeants, met à mal le processus d'union des Etats européens, déjà en mal de dynamique en temps de paix. Plusieurs raisons ont été avancées pour l'expliquer : absence de coordination entre les organes de sécurité des Etats, absence d'harmonisation des législations, absence de fichier central à l'échelle communautaire regroupant les données sécuritaires? On a ainsi souvent évoqué le cas d'individus activement recherchés dans un pays de l'Union mais se déplaçant vers un autre sans être inquiétés même après un contrôle inopiné. Ces dysfonctionnements n'auraient peut-être pas suscité autant d'indignation s'ils ne concernaient pas des personnes impliquées dans des attentats.

Pour mettre un terme à cette aberration qui donne la priorité à des réponses nationales face à des menaces pesant sur la communauté, l'idée de la mise en place du système PNR est mise en avant de façon récurrente. Le PNR (Passenger Name Record) regroupe l'ensemble des données personnelles concernant tous les détails d'un voyage pour des passagers voyageant ensemble. Mais cette base de données tarde à voir le jour en raison des divergences entre les Etats membres liées à la protection de la vie privée. Même l'agence européenne Frontex chargée d'assurer la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne n'échappe pas à la diatribe. Depuis la crise migratoire, l'agence se fait dédaigner, surtout après les deux naufrages du douze et du dix-neuf avril 2015 en Méditerranée, qui ont fait plus de mille deux cents morts, en dépit de la mise en place de l'opération Triton. Ce qui amena des personnalités et des organisations non gouvernementales à dénoncer les activités de Frontex, les considérant non conformes aux droits fondamentaux.

Mais les effets induits par la crise migratoire et la détérioration de la sécurité ne sont pas les seuls éléments qui constituent le tournant dans l'histoire de l'Union européenne. Monopolisant les actualités se rapportant à l'Union européenne, ces évènements mettent sous le boisseau d'autres aux conséquences non moins fâcheuses. Ainsi, les élections électorales prévues dans quelques pays dans les mois prochains et les conditions de la mise en œuvre de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie sont tout aussi déterminants pour l'avenir de l'Europe.

La menace du Brexit :

Abréviation de «British Exit», la menace du Brexit pèse comme une épée de Damoclès sur l'Union européenne depuis 2015, au plus fort moment de la crise grecque. Evoquant l'hypothèse d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, le Premier ministre David Cameron a trouvé un compromis avec l'Union européenne pour défendre le maintien du Royaume-Uni au sein de l'Union européenne, lors du référendum prévu le vingt-trois juin 2016. Après d'âpres négociations, le Royaume-Uni a obtenu le statut spécial qu'il exigeait à cor et à cri depuis près d'une année. Mais ce statut spécial fait craindre l'émergence d'une Europe « à la carte », car certains Etats comme le Danemark et la Hongrie s'interrogent déjà sur la possibilité d'obtenir un pareil traitement de faveur. Qu'est-ce qui fait donc du Royaume-Uni un membre « spécial » de l'Union européenne ?

L'accord obtenu lors du conseil des dix-huit et dix-neuf février 2016 qui octroie un statut spécial au Royaume-Uni contient trois dispositions spécifiques. La première a trait à la limitation de certaines aides sociales, selon une échelle graduelle et pendant sept ans aux nouveaux migrants provenant des pays membres de l'Union européenne. Aussi, cette disposition prévoit la mise en place d'un système permettant d'indexer les allocations familiales accordées aux parents selon le niveau de vie du pays de résidence des enfants, dans le cas où ceux-ci résident en dehors du Royaume-Uni. La deuxième disposition, considérée symbolique, traite de la souveraineté. L'Union européenne a explicitement dispensé le Royaume-Uni, au moyen de cette disposition, de l'obligation d'établir une association de plus en plus étroite avec les autres membres de l'Union européenne. Visant à éviter l'union politique au Royaume-Uni, cette concession ébranle l'un des fondements majeurs de la construction européenne. Quant au troisième arrangement, qui reste assez vague, il protège le Royaume-Uni contre toute discrimination des pays utilisant la monnaie unique, en reconnaissant pour la première fois que l'Union européenne disposait de plusieurs monnaies. Au terme du référendum, deux hypothèses sont possibles : la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne ou son maintien. Les conséquences de la première hypothèse sont de nature à décrédibiliser la viabilité de l'Europe, si bien qu'il serait difficile d'imaginer une continuation du processus de construction, du moins dans sa forme actuelle, et ce pour trois raisons : D'abord sur le plan politique, le message serait interprété comme un avertissement, en ce sens que le destin de l'Europe peut désormais être météorique. Ensuite, sur le plan économique, car la puissance commerciale mondiale que représente aujourd'hui l'Union européenne s'en ressentirait pour une durée relativement longue.

Enfin, d'un point de vue symbolique, la sortie du Royaume-Uni serait vécue comme un désastre, eu égard à sa place dans l'histoire de l'Europe et de la construction de l'Union européenne. Le maintien du Royaume-Uni au sein de la communauté, quant à lui, aura pour conséquences le renforcement du sentiment d'une Europe en marche en dépit du long chemin parsemé d'embûches. Mais le prix en sera élevé, en raison des concessions obtenues que d'autres Etats pourraient revendiquer.

Les consultations électorales et les risques du rejet de l'union

Il est vrai qu'aucun gouvernement actuel des Etats membres ne fait de la sortie de l'Union européenne son cheval de bataille et que nombre d'entre eux se font les chantres de l'union. Mais la configuration politique actuelle fait craindre d'une part, l'accès au pouvoir ou, tout au moins, son partage par les partis dits eurosceptiques qui, majoritairement, sont considérés extrémistes et, d'autre part, le rejet du projet européen lors des consultations électorales. En effet, les élections qui se sont déroulées dans la plupart des Etats membres aboutirent toutes invariablement aux mêmes résultats : la poussée des partis d'extrême droite qui sont le plus souvent eurosceptiques.

Ainsi, les élections régionales qui ont eu lieu en France en décembre 2015 conférèrent au Front National, parti d'extrême droite prônant la sortie de l'Europe, le statut du plus grand parti de France avec plus de 27% des suffrages exprimés. De même, les élections générales de mai 2015 en Grande-Bretagne ont permis à l'Independence Party ou UKIP (Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni), eurosceptique militant pour le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, de récolter 12,6% des suffrages exprimés, le positionnant à la troisième place parmi les partis politiques. Mais la Grande-Bretagne et la France ne sont ni des cas isolés ni les seuls Etats à connaître ce phénomène, qui n'en en est plus un, tant son ancrage populaire est de plus en plus confirmé. Ainsi, l'Alliance pour l'avenir de l'Autriche ou l'Aube Dorée de la Grèce ou encore l'Union nationale Attaque de la Bulgarie sont autant de formations politiques d'obédience d'extrême droite, souvent souverainistes et par ricochet anti-européens. Les exemples peuvent être ainsi multipliés à volonté et il n'est pas un seul Etat épargné par ce mouvement général. Si l'existence des partis politiques d'extrême droite en Europe est passée de la phase de la répulsion à celle de la banalisation, ses conséquences sur le projet communautaire ne cessent de susciter moult inquiétudes, si bien que toute échéance électorale est devenue un baromètre mesurant le degré d'expansion de l'idéologie de l'extrême droite. Qui plus est, les électeurs ont tendance à faire de l'euroscepticisme un choix électoral, lorsque les élections portent sur l'avenir même de l'Europe. C'est ainsi que les Néerlandais se sont opposés à l'accord d'association entre l'Europe et l'Ukraine, lors du référendum du mois d'avril 2016 et que les Danois ont refusé la coopération policière de leur pays avec le reste de l'Union à l'occasion du référendum du mois de décembre 2015. Par conséquent, le risque de voir remise aux calendes grecques la répartition des quotas des migrants en Hongrie, pour laquelle un référendum sera organisé entre le mois d'août et décembre, reste élevé.

La mise en œuvre de l'accord avec la Turquie

De même que les résultats du référendum prévu au Royaume-Uni déterminent dans une certaine mesure l'avenir de l'Union européenne, la mise en œuvre de l'accord signé avec la Turquie entré en vigueur le vingt mars est à suivre avec diligence. L'accord consacre le principe «un pour un» qui signifie que tous les nouveaux migrants en situation irrégulière qui partent de Turquie pour gagner les îles grecques seront renvoyés en Turquie et que pour chaque Syrien renvoyé vers la Turquie, un autre Syrien sera réinstallé au sein de l'Union européenne. Cependant, ce principe s'applique à soixante-douze mille migrants au maximum. En contrepartie de cette concession, la Turquie bénéficie, en premier lieu, d'un soutien financier s'élevant à six milliards d'euros, en deuxième lieu, de la libéralisation des visas pour ses ressortissants et enfin de l'ouverture de cinq nouveaux chapitres des négociations de son adhésion à l'Union européenne. L'accord ainsi élaboré suscite, toutefois, quelques interrogations dont la première a trait au respect des droits de l'homme. Mais c'est la deuxième interrogation, relative au respect des clauses du contrat, qui exige un plus long développement, les vicissitudes des relations entre la Turquie et l'Europe étant légion. Commençons d'abord par noter que les relations sont singulières si bien que les négociations d'adhésion de la Turquie remontant à 1957 prennent l'allure d'un marathon sans cesse renouvelé. Signalons ensuite les divergences de positions entre les Etats membres qui sont globalement favorables à la Turquie et les peuples qui ne le sont pas majoritairement.

Ces divergences sont d'ailleurs encore d'actualité. Ce à quoi il faut ajouter les critiques adressées de la part de certains dirigeants européens, et même du président des Etats-Unis, au président de la Turquie soupçonné de dérive autoritaire. Mais même à supposer que la bonne foi ne fasse pas défaut aux deux parties, l'épineuse question des migrants ressurgira lorsque le quota maximum sera atteint. Il semble en tout cas, aux premiers jours de sa mise en œuvre, que l'accord a l'air de porter ses fruits, en ce sens que le nombre de migrants se rendant en Grèce a diminué. Mais la conséquence directe est le changement de la route migratoire, faisant de la Libye le nouveau lieu de passage vers l'Europe, alors que jusque-là la route des Balkans était l'itinéraire choisi par les migrants pour atteindre le nord de l'Europe. C'est dire que même les mesures les plus draconiennes ne viennent pas toujours à bout de la détermination des migrants qui tentent de joindre des cieux plus cléments, quitte à bourlinguer au gré des arrangements décidés par Bruxelles.

Dans son ouvrage écrit en 2009 portant le titre « Une brève histoire de l'avenir », Jacques Attali affirme que « Pendant ces deux prochaines décennies, l'Union européenne ne sera vraisemblablement rien de plus qu'un simple espace économique commun, élargie à l'ex-Yougoslavie, à la Bulgarie, la Roumanie, la Moldavie et à l'Ukraine ». Par simple espace économique, l'auteur sous-entend la consécration du projet européen aux questions essentiellement économiques et financières. Or, n'est-ce pas cela précisément le péché originel de l'Europe : une volonté d'union économique faisant fi de l'Union politique, une volonté d'unité sans définition des règles communes ; bref, un projet qui semble dans les limbes. L'intégration politique peut-elle alors pallier les déficiences ?

L'intégration politique : la solution d'avenir ?

Abordant la problématique de l'union politique en Europe, le site activement pro-européen Europedia précise que « Aussi longtemps que ces exigences ne sont pas remplies dans certains secteurs, l'union politique, quoique prévue dans un traité, est déficiente ou inexistante. À sa place peut seulement exister une coopération politique intergouvernementale, laissant pratiquement toute la liberté d'action aux participants ». Les exigences dont il est question sont celles qui ont trait à l'application par tous les États participants des politiques intérieures et extérieures convenues par les institutions communes. Ainsi, dès la phase d'apparition du projet d'unification européenne, après la Seconde Guerre mondiale, les différentes conceptions, qui existent encore aujourd'hui, opposaient la notion d'un État issu de l'Union (les États-Unis d'Europe au sens de Winston Churchill), à celle d'une confédération (l'Europe des patries au sens de De Gaulle). Le débat sur l'option entre une fédération d'Etats ou un Etat fédéral reste d'actualité. Mais quid de cette distinction et à quel type d'association peut s'apparenter l'Union européenne ? La distinction dans le droit constitutionnel et international réside dans ce que la fédération se confond avec un Etat fédéral, détenteur de la souveraineté déléguée par les Etats fédérés, alors que la confédération est une association d'Etats qui décident de déléguer des compétences à la confédération pour les exercer en commun. Le concept clé est donc la souveraineté : à l'inverse de la confédération, qui est dépositaire de compétences d'Etats souverains, la fédération jouit de la souveraineté exclusive des Etats fédérés. Une autre différence tient au fait que, contrairement au système fédéral, la sortie d'une confédération est non seulement unilatérale mais peut être envisagée à tout moment.

Les spécificités de la fédération et de la confédération ainsi définies suggèrent que l'Union européenne est une confédération. Pourtant, la réponse ne peut pas être aussi catégorique qu'il n'y paraît, de sorte que certains qualifient l'association de confédération à dynamique fédérale et d'autres lui confèrent le statut intermédiaire entre fédération et confédération. Une association d'Etats-nations à mi-chemin entre une confédération et un Etat fédéral en quelque sorte. La difficulté d'apporter une réponse franche tient, d'une part au caractère inédit de cette forme d'Union jamais connue jusque-là et, d'autre part, à sa finalité par nature imprévisible. Car, une confédération est supposée être une fédération en devenir, ce qui semble difficilement concevable dans le cas de l'Europe et ce, en raison notamment des obstacles d'ordre culturel, comme la langue, et d'ordre politique, comme l'unicité d'une constitution. Beaucoup de dissensions analysées plus haut trouvent d'ailleurs leurs origines dans ces obstacles, somme toute sensés, car chaque Etat membre de l'Union est lui-même le produit d'une culture et d'une histoire souvent différentes des autres Etats membres. Bref, l'émergence d'un Etat supranational jouissant de la souveraineté déléguée par vingt-huit (peut-être demain trente-trois) Etats aux dimensions socio-politiques différentes, même divergentes il y a peu, est fortement improbable.

Mais ce statut particulier de l'Union européenne ne doit pas mettre sous le boisseau les acquis obtenus quelquefois au prix d'efforts sisyphiens, y compris d'ailleurs en matière de transfert de souveraineté. Il existe ainsi trois niveaux de compétence en matière de décisions politiques prises dans le cadre communautaire : les compétences dites exclusives, où seule l'Union peut légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants. Les domaines de compétence de ce type de décisions relèvent pour l'essentiel de l'économie et du commerce, tels que l'union douanière ou le commerce extra-communautaire. Le deuxième niveau concerne les compétences dites partagées où l'Union et les États membres peuvent légiférer et adopter des actes juridiquement contraignants. Les domaines où s'exercent ces compétences sont aussi variés que les politiques énergétique, agricole, environnementale ou régionale. Le troisième niveau, enfin, recouvre les compétences dites de coordination, où les Etats membres légifèrent en toute souveraineté, l'Union européenne n'intervenant que pour appuyer ou compléter les législations nationales. C'est le cas dans les domaines de la politique culturelle, de la protection de la santé et la de la coopération administrative, par exemple.

Le 21ème siècle sera européen ou pas. Pour qu'il le soit, le projet communautaire doit aller au bout de son aventure, de son rêve, en se donnant pour ambition d'adopter plus de règles politiques communes en mesure de consacrer les avancées essentiellement économiques. Et pour ne pas donner l'air de tenter de marier la carpe et le lapin, la construction communautaire doit œuvrer pour bâtir et renforcer un patrimoine culturel commun. Faute de quoi, les peuples risquent de s'en détourner.

Dates et chiffres clés  

- 18 avril 1951 : Création de la CECA

- 25 mars 1957 : création de la CEE

- 1er juillet 1968 : réalisation de l'Union douanière entre les Six

- 14 juin 1985 : signature des accords de Schengen

- 7 février 1992 : signature du traité de Maastricht créant l'Union européenne

- 2 octobre 1997 : signature du traité d'Amsterdam

- 1er janvier 1999 : Adoption de l'euro comme monnaie unique

- 29 mai et 1er juin 2005 : rejet par la France et les Pays-Bas du projet de la Constitution européenne

- 13 décembre 2007 : signature du traité de Lisbonne

- 1er juillet 2013 : une Europe à 28

- Population : 514.059.445 (2015)

- Superficie : 4.382.629 km2

- Densité : 117,3 hab./ km2

- PIB : 18.162,204 md$ (1er rang mondial)

- Espérance de vie : 80,02 ans

- IDH : Entre 0,71 et 0,94 (2014)           

Etats membres et institutions

Etats membres : Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie, Suède.

Candidats : Turquie, Albanie, Macédoine, Serbie, Monténégro.

Institutions :

- Le Parlement européen : il s'agit d'un organe élu au suffrage universel direct, doté de compétences législatives, budgétaires et de surveillance. Il est composé de 751 députés.

- Le Conseil européen : il définit les grandes orientations et priorités politiques de l'Union européenne. Ses membres sont les chefs d'État et de gouvernement des pays de l'UE et le président de la Commission européenne.

- La Commission européenne : elle a pour rôle de proposer des textes législatifs et de veiller à leur application. Elle est constituée d'une équipe de commissaires (un par État membre).

(*) : Cadre, universitaire.

Sources :

- Site officiel de l'Union européenne (europa.eu)

- Quotidien Le Monde

- Mensuel Le Monde Diplomatique du mois d'avril

- PNUD

- Wikipédia

- Site web touteleurope.eu