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JOURNALISTES ET POLITICAILLERIES

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Amar Belkhodja. L'arpenteur de la mémoire. Récit et textes du Dr Khadidja Belkhodja (préface de Abderrezak Hellal). Editions Alpha, Alger 2015, 361 pages, plus «album photos». 1.000 dinars.

Certificat d'études primaires obtenu en 1956... avec un zéro en histoire ! Près de soixante ans après, notre homme est un journaliste,qui a fait ses (très bonnes) preuves sur le terrain en travaillant durant de très longues années pour plusieurs journaux, dont El Moudjahid, notre vénérable quotidien, une grande école de formation, est devenu, grâce à ses recherches et à son engagement, à sa résistance et à son entêtement, un chercheur en Histoire connu.

 Ses articles (comptes rendus, reportages, analyses et commentaires, billets...) sont, pour la plupart, puisés de la vie quotidienne. Il est vrai que son militantisme de jeunesse (au sein du FLN) l'a beaucoup aidé à apprendre et à comprendre les réalités, souvent bien amères, de la société et les travers de ceux qui la gouvernent. D'abord fonctionnaire (il a fait les fameux CFA qui ont formé les tout premiers commis de l'Etat), ensuite journaliste permanisé (après avoir été «renvoyé» par l'Administration qui ne pouvait supporter sa «rebellion» contre la «hogra»), il a subi continuellement de multiples pressions et souvent des menaces...

Ses ouvrages, nombreux, embrassent un spectre assez large de la littérature, pour la pluaprt ayant trait à l'histoire, aux souffrances et aux drames de la région et d'une ville qu'il n'a jamais voulu quitter. Sur «Hamdani Adda» (dont Hellal Abderrezak a tiré un documentaire), sur «Ali El-Hammami...», immense homme politique et grand intellectuel qu'il a tiré de l'oubli, sur «Novembre», sur «Tiaret», sur «Kaïd Ahmed», sur «Ali Mâachi», sur «Les hommes et les repères du Mouvement national» , sur «Les enfumades du Dahra»... Il y a aussi les études, les conférences... et des poèmes.

Une vie bien remplie, une vie qui a produit une grande plus-value intellectuelle.

Heureux homme, aujourd'hui papy comblé... reconnaissant envers tous ceux qui l'ont aidé à traverser les épreuves, tout particulièrement la grande famille de la presse ainsi que celle des universitaires qui l'ont reconnu comme un des leurs... mais, aussi, ayant la «dent assez dure» à l'encontre de ceux qui ne l'ont pas ménagé.

Mais que lui manque-t-il donc ? A. Hellal y va «franco»: docteur honoris causa. Pourquoi pas ?

L'auteure: Native de Tiaret, fille du journaliste et écrivain Amar Belkhodja, vétérinaire de formation, militante active dans le mouvement associatif, tout particulièrement s'intéressant au soutien et à l'assistance aux enfants déshérités et aux femmes victimes de violence. Le préfacier, romancier et cinéaste est décédé le 22 juin 2014, quelque temps après avoir terminé le tournage d'un documentaire sur «Hamdani Adda, brûlé vif par l'OAS».

Avis : Ni une autobiographie, ni des mémoires, ni un essai. Un recueil de textes, d'écrits, d'articles (de A. Belkhodja et sur A. Belkhodja), de billets, de photos... Un peu narcissique, mais on le serait à moins. Assez originale comme œuvre. Il est vrai que le parcours l'est tout autant. Il est même remarquable et l'on comprend l'admiration et la fierté de sa fille.

Citations: «Le pouvoir politique est léger, factice. Il disparaît avec ses auteurs. Celui de la plume est redoutable car sa trace est indélébile» (Abderrezak Hellal, p 12); «Il ne s'est jamais vanté d'être devenu un historien... Il se contente de dire qu'il est chercheur en histoire ou tout simplement un citoyen algérien qui a choisi de se mêler des choses qui le regardent...» (Dr Khadidja Belkhodja, p 15); «Quand tout le monde sombre dans le chaos, la faute personnelle se fond dans un tout, se minimise parce qu'elle est partagée» (Amar Belkhodja, p 33); «Dans notre pays, chaque époque et chaque régime inventaitent leur propre terminologie pour désigner leurs partisans ou leurs adversaires» (Amar Belkhodja, p 63); «Un jour peut-être, lorsque nous ne serons plus de ce monde, des historiens viendront exhumer tous ces dossiers fumeux et scandaleux qui ont fait de l'Algérie un pays de pillage organisé, du passe-droit, de la corruption et du trafic d'influence. Si bien qu'aujourd'hui quelle partie faudrait-il amputer puisque toute le corps est gangréné par le mal qui a rongé la société et dont les racines sont profondes» (Amar Belkhodja, p 65).

Le thé au FLN. Essai de Abdelkader Harichane. Saihi Edition, Alger 2016, 106 pages (format livre de poche). 200 dinars.

Il est entré au FLN, dit-il, comme on entre au musée; mais «un musée où des faux se sont substitués aux vrais, aux tableaux de maître». Dès l'introduction, l'auteur annonce la couleur.

Il avait, encore jeune, une certaine idée de la politique et d'un de ses moteurs, le FLN. Jeune militant, comme beaucoup d'autres cadres d'ailleurs, il a cru sincèrement que le changement vers une «vie meilleure» était très possible de l'intérieur même du parti. Il en est sorti, près de dix-sept années après, profondément déçu... blessé.

Durant dix-sept années, journaliste et militant, ce qui a rendu sa position bien inconfortable, tout particulièrement au sein des (multiples) rédactions qu'il a traversées, il fait, dit-il, «l'idiot du village». Il s'est présenté trois fois aux élections, deux fois sous Belkhadem, et une fois sous Benflis. Le premier l'avait placé dans la liste additive et le second... nulle part.

Bien qu'assez actif (peut-être estimait-on qu'il l'était trop ?) au FLN, on ne lui a jamais proposé de poste. «Ni dans leur presse ni dans autre chose». Il était apprécié par Bouhara. Hélas, ce dernier est mort, terrassé par une crise cardiaque, juste avant qu'il ne prenne la place de Bekhadem, alors évincé. Ce sera donc Amar Saâdani... rencontré «en 1997 sur les sables dorés de la cour de la mouhafadha d'El Oued» (menant campagne contre Djilali Mehri). Un homme «difficile à abattre». ...et qui a fait du chemin.

Au passage, quelques «révélations» dont une sur la voie et les moyens pour «gagner des élections»... Le secret était... dans la clef ! (pp 96 et 97): L'astuce consistait à préparer les urnes en double, avec trois clés pour chacune. Une clef est remise au chef de bureau, une seconde au responsable de la commission de contrôle et la troisième reste entre les mains des hommes de l'ombre. Au gré des évolutions des tendances du vote, on remplit l'urne de secours - urne identique aux autres - par les bulletins du FLN. Puis, quand l'opération se termine, on rassenmble toutes les urnes dans un même bureau et on fait sortir tout le monde. En un laps de temps assez court, les urnes sont remplacées par d'autres bien pleines...Vite fait, bien fait? Aucune anomalie n'est constatée, les serrures n'ayant pas changé... Vivement le vote électronique. Encore que là aussi !

L'auteur: Né en 1953 à Boukadir (Chlef). Ancien de la Marine, écrivain et journaliste, ayant exercé, entre-temps, plusieurs métiers (dont enseignant de mathématiques et... entrepreneur), spécialiste de la mouvance islamiste en Algérie (deux ouvrages publiés sur le sujet).

Avis :Le FLN de l'intérieur... pas joli-joli. Le fonctionnement des rédactions de presse... plus compliqué qu'on ne le croit, et moins démocratique qu'on ne le dit.

Citations: «Nous sommes des témoins vivants d'une époque qu'on veut gommer de la mémoire collective, qu'on veut cacher aux historiens qui viendront, après nous, creuser dans les non-dits de journalistes» (p 58); «Aujourd'hui encore, lorsqu'on évoque la parenthèse d'ouverture, on parle ?d'âge d'or de la presse algérienne' . Ce fut une presse de qualité. Elle cèdera devant la presse du nombre et de la médiocrité» (p 69).

L'Innocent. Roman de Abderrahmane Zakad. Editions Baghdadi, Rouiba 2015, 407 pages. 600 dinars.

C'est un roman-fiction Orwello-sansalien qui nous plonge dans une Algérie ruinée, dans les années 2020, suite à la chute d'un énorme astéroïde qui a embrasé les sables du Sahara, entraînant la soudaine disparition du pétrole et du gaz. Décidément, c'est une obsession? avec toutes ces déclarations récentes et récurrentes sur l'épuisement (dans les années 2050) des ressources. La «cata» (presque souhaitée) dans toute sa splendeur ! A l'heure où l'on nous parle d'épuisement des ressources pétrolières face à une consommation nationale qui grimpe, qui grimpe, qui grimpe, de quoi avoir des sueurs froides.

On vous laisse deviner le reste, sur fond d'une enquête sur les (anciens) détournements de terrains à bâtir de la capitale, menée par un jeune et ambitieux journaliste, Réda, qui découvre, peu à peu, en fouinant dans des archives supposées «disparues», les coups tordus des mafias et les tristes réalités des années passées. Une Algérie «fauchée comme les blés», la souveraineté, la dignité, l'honneur, les acquis, les biens, les symboles? perdus ou bradés, un pays ouvert à tous les vents et à toutes les races, sans foi ni loi, réduit à la mendicité internationale, auprès des voisins et de l'ancien colonisateur. Heureusement, il y a la rencontre avec l'amour, Lilia, une jeune avocate? ce qui lui permet de vivre d'espoir et d'eau fraîche, devenue bien rare, encore plus rare que le pétrole et l'essence.

Mais là où excelle l'auteur, ce sont ces retours en arrière, de l'indépendance jusqu'à la catastrophe: la corruption, le gaspillage et la gabegie, les détournements, les vols, la hogra, les trafics en tous genres, l'hypocrisie politique et culturelle, les mafias, les héros oubliés ou perdus ou exilés, les luttes contre les «moulins à vent», le journalisme à sensation et manipulateur? De véritables leçons d'histoire contemporaine, courtes mais instructives, pour celui qui veut bien les lire de manière attetive... et bienveillante. A mon sens, il y a un peu trop de boumedienisme et la nostalgie d'une agriculture, bouée de sauvetage et moteur du développement. La maladie infantile des sexagénaires et plus... qui ont raté leurs années 70-80 !

Bref, un roman (presque) noir, surréaliste, émaillé de traits d'humour pleins de vérité (ex: «L'Algérie est le seul pays au monde où un produit avarié coûte plus cher que le produit frais. Elben et le rayeb avariés coûtent plus cher que le lait?» / «La peinture en Algérie, c'est comme le flamenco pour les esquimaux» / «La Casbah ? Les Français l'ont charcutée, les Algériens l'ont suicidée») et de mots «sculptés»... à la «Zakad».

Dans tout cela, heureusement, il y a l'arrivée d'un sauveur, jeune, aux idées plein la tête, un Algérien de France, une sorte de Nekkaz, qui va redresser la barre et, heureusement, aux «innocents les mains pleines», il y a l'Amour, grâce à Lilia, devenue une épouse aimante, aimée, et paralysée suite à un attentat commis par la mafia du foncier.

L'auteur: Né à Sétif en 1938, ancien officier de l'ALN puis de l'ANP ayant quitté l'uniforme en 1964 , urbaniste, Abderrahmane Zakad a écrit une dizaine de romans qui traitent de la société algérienne en transformation (traditions, mœurs, coutumes), et des recueils de poésie. En plus de ses œuvres littéraires, l'auteur s'intéresse au patrimoine. Il a réalisé trois films documentaires à caractère socio-urbanistique.

Avis : Histoire très rythmée, tenant en haleine. Un roman trop vrai ! C'est, en fait, le roman «Les Amours d'un Journaliste», publié à compte d'auteur en 2012, 342 pages, 500 dinars (bien avant «2014, la fin du monde» et avec un autre style d'écriture, certes «travaillée», recherchée, mais plus populaire) mais revu et augmenté. Trop de digressions se voulant explicatives... une maladie nationale. Peu attrayant sur le plan technique. Le métier d'éditeur qui rentre ?

Citations: «Quand une chose est spécifique n'ayant ni auteur, ni origine, ni expérimentation et ni histoire, il ne faut s'attendre qu'à une catastrophe spécifique» (p 16); «En mathématiques, la constante de Planck permet de résoudre des équations insolubles, en politique, les constantes, c'est la planque» (p27); «Le sida, la maladie du siècle, trente millions dans le monde, mais l'Algérie n'était pas trop atteinte? parce que le virus refuse d'occuper des corps improductifs. Y a rien à bouffer» (p 30); «La raison d'Etat s'est employée à nous distraire de notre histoire et nous avons abdiqué. Nos historiens jouent au foot sur un terrain de volley» (p 38); «Les fonctionnaires ont toujours une peur bleue des journalistes, le silence est leur sac de couchage » (p 140); «Devant la hogra, un homme seul se morfond, deux hommes raisonnent, dix hommes protestent, cent se révoltent et une foule saccage» (p 194).

PS: S'il y a une corporation attaquée ces temps-ci, c'est bien celle des journalistes. Tout le monde, les gouvernants et les politiciens au pouvoir d'abord, estime (sans argumentation sérieuse, il faut le préciser, tombant donc dans les jugements de valeur) que le «journalisme est devenu un pupitre de mensonges, de rumeurs et de règlements de comptes, et ce dans tous les domaines» (selon une doctoresse de l'université Alger II, lors d'une récente conférence au Centre culturel islamique d'Alger... tout heureuse de voir des journalistes rapporter ses propos et de voir son nom publié le lendemain). Viennent ensuite les nouveaux «doctours» de notre Université dont on connaît le niveau général. Tous oublient dans quelles conditions (très difficiles) est née et s'est développée (parfois dans le sang ou dans les prisons ou devant les tribunaux) la presse libre qui existe aujourd'hui... en se référant, souvent, à une période (62-90) qu'ils n'ont ni connue, ni vécue ou, alors, à on ne sait quelle autre «période glorieuse» que personne ne peut vérifier. Et tous oublient leurs propres défauts et lacunes dans leur corps de métier ainsi que l'irrespect généralisé des règles d'éthique et de déontologie. Il est vrai que c'est un défaut bien national.