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L'Algérie auprès de la Syrie : pour quel intérêt ?

par Benattallah Halim *

Par un acte ostensible, l'Algérie a apporté un appui diplomatique à la Syrie au nom de la lutte contre le terrorisme, de la solidarité avec le peuple syrien et de la stabilité de ce pays. Ce geste relève-il d'une ambition politique forte ou ne s'agirait-il que « d'un rond dans l'eau »?

Pour y apporter des éléments de réponse, interrogeons en premier lieu l'histoire diplomatique récente concernant l'attitude de la Syrie envers l'Algérie dans sa lutte contre le terrorisme.

Rappel des faits. Troisième conférence ministérielle euro-méditerranéenne, le 16 avril 1999 à Stuttgart : il y est question de l'adoption d'une « charte euro-méditerranéenne pour la paix et la stabilité » dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. Cette charte devait constituer une plate-forme pour l'action diplomatique contre un danger enfin reconnu comme menace transnationale. L'Algérie en était un des principaux promoteurs.

Le 15 avril au soir se tient la réunion de consultation des ministres des pays arabes pour définir des positions communes notamment sur cette question de la charte. Non sans surprise, la Syrie s'oppose avec véhémence à ce document, ce qui par voie de conséquence aboutit à dénier à l'Algérie le droit de défendre son intérêt national. Raison invoquée pour ce refus de faire front commun ? Il ne pouvait y avoir d'autre danger que le « terrorisme d'Etat israélien ». Ce qui excluait toute reconnaissance pour toute autre forme de terrorisme, y compris celui menaçant à l'époque la sécurité et la stabilité de l'Algérie.

L'adoption de la charte fut ainsi entravée en dépit des efforts d'une présidence allemande de l'UE bien disposée pour faire avancer le débat sur le terrorisme, un dialogue politique qui par ailleurs comptait plus de divergences que de points de vue communs. Le veto syrien rendit ainsi service au dernier carré des pays européens dubitatifs.

Cet épisode marquant est symptomatique de la ligne politique et l'état d'esprit des dirigeants alaouites envers l'Algérie. Autant notre pays se tenait aux côtés de la Syrie en toutes circonstances - parrainant par exemple sans discussion à l'ONU sa proposition de tenue d'une conférence internationale différenciant le terrorisme du droit à la résistance - autant les dirigeants syriens se sont montrés indifférents aux souffrances infligées au peuple algérien par le terrorisme. Tout au long de la « décennie noire » les dirigeants alaouites ont fait obstacle aux initiatives de l'Algérie dans ce domaine du terrorisme.

La Syrie des Alaouites pense que l'Algérie, du fait de sa propension naturelle à répondre au quart de tour aux sollicitations syriennes de soutien, lui doit une solidarité automatique ne nécessitant pas de réciprocité. Elle se nourrit de la conviction que ses intérêts en tant que nation-symbole de la résistance en première ligne face à Israël s'érigent au-dessus des préoccupations algériennes, aussi vitales soient-elles.

Et donc, lors de la dernière visite algérienne à Damas, outre l'absence de soutien en faveur de la lutte continue de l'Algérie contre le terrorisme, les dirigeants syriens ne sont pas plus engagés pour le principe général du droit à l'auto-détermination, quand bien même une prise de position dans ce sens aurait constitué une forme de riposte en direction du Maroc, qui bénéficie du soutien des pays du Golf, et donc se range dans le rang de ses opposants.

Il y a au sein de la caste dirigeante syrienne, comme en Irak sous Saddam Hussein, un nombrilisme surdimensionné, dévastateur, sinon autodestructeur qui dessert in fine la stabilité et la sécurité dans le Moyen-Orient. Ce travers propre aux dictatures est exploité par leurs ennemis pour les abattre. Saddam Hussein avait en son temps fait fi des mises en garde lucides de l'Algérie qui percevait dans l'entêtement, sinon l'aveuglement du président-monarque, une volonté jusqu'au-boutiste de confrontation militaire, entraînant un danger mortel pour le devenir de l'Irak. Et pas seulement pour l'Irak d'ailleurs.

Le scénario semble se répéter avec la Syrie sous d'autres formes : la survie du régime alaouite est placée au-dessus de la survie de la nation syrienne, fût-ce au prix d'une désagrégation du pays (recherchée par ses ennemis), d'une mise en danger d'un berceau de civilisation inestimable, et d'un manque de considération pour un peuple et une élite d'une grande profondeur culturelle, jetés par millions sur les routes de l'exode. Que l'on se rappelle par ailleurs que la dictature alaouite a ensanglanté par milliers les familles syriennes, palestiniennes et libanaises sans tirer une salve sur l'armée ou le colon israélien occupant le Golan depuis 1967. Se gardant bien d'engager une résistance armée face à Israël, la Syrie se contente de joutes diplomatiques, insuffisantes pour dissuader Israël de décréter l'annexion définitive du Golan. Et c'est au nom de ce combat en vérité non livré que la Syrie s'est autorisée à enrayer plus d'une fois les initiatives algériennes sur le terrorisme.

Pour revenir aux événements récents, et au regard du timing, l'opération affichée de soutien de l'Algérie au régime alaouite doit sans doute davantage se lire comme un message de réprobation vis-à-vis de la politique agressive de la France envers Bachar El Assad qu'une adresse envers le CCG. Une décision prise aussi peut-être dans la foulée de la dernière visite du Premier ministre français à Alger?

Suivant la logique du coup pour coup, la France a vraisemblablement décidé d'ignorer l'exhortation lancée par notre ministre des Affaires étrangères depuis Paris ? il invitait l'administration Hollande à « contribuer à aider la région et permettre une sortie de crise » - en affaiblissant le projet de résolution américain sur le Sahara occidental au Conseil de Sécurité.

Au bout du compte, non seulement le Maroc n'a reçu aucune injonction pour un retour immédiat du personnel de la Minurso expulsé manu militari, mais la question plus fondamentale du processus du référendum d'auto-détermination a été totalement occultée.

Tout semble indiquer qu'une opération qui ne devait être qu'une simple riposte diplomatique envers la France s'est prise dans les filets d'une conjoncture plus large, le « coup pour coup » se transformant en « contre-coup » à l'ONU.

Autre piste pour essayer de décrypter l'appui algérien à la Syrie : une ambition nouvelle de s'immiscer dans les négociations complexes dont la Syrie est l'enjeu. Une façon de se démarquer de façon plus nette de la politique menée par des pays du Golfe et la Turquie aussi bien en Syrie et Yémen qu'en Libye ? En développant cette hypothèse plus avant, on pourrait imaginer une Syrie désireuse d'une présence de l'Algérie aux pourparlers à Genève. Force est de constater cependant que la Syrie n'a exprimé aucun souhait dans ce sens.

La visite récente du Premier ministre à Moscou et du ministre des Affaires étrangères à Damas pourrait laisser penser qu'un axe « Moscou-Damas-Alger » serait en gestation. Les ministres des Affaires étrangères russe et syrien n'ont-ils pas, eux aussi, récemment effectué une visite à Alger ?

Hasard de calendrier seulement ? Requêtes permettant de sortir la Syrie de l'isolement ? Mais pourquoi alors les signes de reconnaissance tardent-ils à se faire ? Le soutien algérien serait-il au final de si peu de poids qu'il ne se fasse pas même annoncer comme tel par Moscou et Damas?

Si l'ambition algérienne était bel et bien de reprendre pied au Moyen-Orient, l'objectif ne risque-t-il pas de faire long feu ? En contribuant à soutenir un régime instable, ne prend-elle pas le contre-pied de sa pratique d' « exportation de la stabilité » ? N'est-ce pas, autrement dit, une façon de nourrir l'instabilité dans cette région hautement volatile ? Sans compter une politique russe qui ne s'empêcherait peut-être pas, au terme d'une campagne dont elle a rapporté tous les fruits, d'infléchir ses vues dans le cadre d'un accord global sur le conflit syrien?

Au regard de ces données, il reste à évaluer si le gain politique de la visite à Damas est supérieur à la perte de terrain diplomatique sur le Sahara occidental et si ce soutien n'aboutira pas en fin de compte à un recul plus qu'une avancée de la diplomatie algérienne au Moyen-Orient.

Une explication franche avec la France sur les questions qui fâchent - via un envoyé spécial par exemple - n'eût-elle pas été plus bénéfique que le « rond dans l'eau » de Damas ? Au regard de l'importance du « partenariat stratégique » entre l'Algérie et la France, était-il vraiment pertinent de l'entailler par un soutien sans lendemain à un régime menacé dans sa survie ?

Si par ailleurs on ne perd pas de vue le fait que les pays voisins du Sahel se sont constitués en formation G5 excluant l'Algérie, cela donne à première vue plus de terrain perdu que de terrain conquis au cours de ces dernières années. Dès lors, la question du leadership national se pose dans toute son ampleur.

Pour l'heure, je me limiterai à retenir que l'appui à la stabilité de la Syrie équivaut à la pérennisation du régime alaouite, lequel s'abstient de réciproquer favorablement, qu'il soit en position de force ou en situation de faiblesse.

*Ancien ambassadeur