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«Après tout, vive l'Algérie»

par Mimi Massiva

La fatalité du Raïs : L'Algérie a eu, à peu près, le même nombre de présidents que la France, depuis 1962. Similitude étonnante avec le pays de la l'Egalité Liberté et Fraternité. Nombre inhabituel par rapport aux pays frères. S'ils viennent tous de la même façon, ils partent selon le bon gré du mektoub : coup d'Etat, maladie, «démission», assassinat en direct, zombie en sursis, etc.

La populace n'en saura pas plus et ne cherche même pas à savoir. On appelle cela la cohésion sociale ou la bonne gouvernance. À part quelques anomalies nécessaires pour le look que les mass-médias appellent opposants. À part, la Kabylie, l'éternelle trouble-fiesta qui a patienté près d'une génération, qui a attendu la mort de Boumediene et le règne d'un Chadli pour lancer la grève du 10 avril 1980 et l'Appel : « - Aux pénuries de produits de première nécessité - À une crise de logement sans pareil ; - À une corruption organisée ; - Au mensonge journalier de la presse ; - Au trafic des élections ; - À l'allégeance des valets du pouvoir. » (1) 36 ans plus tard, ces problèmes ont disparu sous la menace de la voix officielle: « C'est la main de l'étranger ! On veut détruire l'Algérie ! Des agents d'Israël du Maroc, de l'impérialisme, veulent notre mort ! Attention, si on s'énerve c'est la poudre et le sang ! » Poudre et sang, 8 ans plus tard avec la révolte des jeunes auréolée par les années de braise islamique. Quant au défunt appel, c'est la permission de le commémorer, « ci-gît », que le Pouvoir a accordée avec les youyous de sa milice, ses indics, sa police, son armée et les applaudissements de l'ONU. Coincé entre les pics et les creux de ses montagnes, la rage amazighe a fini par rejoindre le magma. Heureusement, d'après les contes berbères, le Premier homme et la Première femme sont nés sous terre. Certes l'Algérie n'est pas plus à Tizi-Ouzou qu'à Ghardaïa, à Ouargla, Aïn-Salah ou Bentalha. Chaque îlot joue le cancre en solo. On ne parle plus de pénurie, mais de gavage. Il suffit de consulter le registre des décès, des accidentés, des malades, des handicapés, des mabouls qui ont eu la chance d'être inscrits sur du papier épargné par le feu. La crise de logement dépassée, on est passé à la crise de terrain, parole de ministre. En attendant la crise de nationalité, migration multiple oblige. Quant à la corruption, on a cessé de l'organiser, personne n'ignore dans le monde le programme du Robocop algérien. La presse n'a plus besoin de mentir sous la menace d'un militaire. Ses stars et starlettes sont prêtes à déclencher le génocide du Rwanda si on les prive de leur bonus. On ne trafique plus les élections devenues automatiques avant l'apothéose du numérique. Quant à l'allégeance, elle s'est démocratisée, le souriant et pieux voisin peut être le faux bougnoul qui cache le vrai valet?Où vit l'Algérie ? On suppose, comme tous les frustrés, les ingrats, les traîtres, que son adresse est au Club face à la Méditerranée, au Sahara au fond des puits pétroliers, chez Cheikh de Gaulle et ses Champs Elysées, sans oublier le numérotage de la Banque suisse. Heureusement que les chercheurs ont découvert à temps que les nombres utilisés par la Suisse et pratiquement tout le monde, ne sont pas d'origine arabe mais indoue. Sacrée Suisse qui envisage de faire voter son peuple au droit pour tous de jouir à vie de 4.000 euros/ mois. Yuval Noah Harari, professeur d'histoire à l'université hébraïque de Jérusalem a écrit, en 2015 « Sapiens » considéré comme un véritable phénomène d'édition traduit dans plus de30 langues. Se basant sur la science, Yuval affirme que la plus grande escroquerie de l'Histoire c'est la Révolution agricole et le grand coupable : le blé. En analysant des ossements, les scientifiques ont découvert que ce grain, contrairement à ce qu'on pensait, a nui à l'espèce humaine. Les hommes qui se nourrissaient de la chasse, de la cueillette avaient une meilleure santé, étaient plus intelligents et jouissaient d'une agressivité mieux maîtrisée. Les sauvages sont donc venus après. Sapiens habitué à grimper aux arbres se condamnait à rester, à longueur de journée, à cultiver le blé, un grain capricieux exigeant et banal. Nous lui devons nos guerres, nos famines, nos migraines, notre mal au dos, nos maladies infectieuses avec la domestication animale sans oublier le patriarcat, l'esclavage, etc. L'Algérie, le grenier de Rome pendant que Rome bâtissait son empire. Heureusement, la question ne se pose plus, l'Algérie importe son pain et a liquidé les espaces verts et la faune animale. Normalement, nous allons cesser de croître, de copier notre ADN.

Tel un corps obèse qui retrouve la ligne étouffée par le kilométrage de sa peau et la faillite de ses organes vitaux. Une expérience faite sur les mouches, ces insectes prolifiques et adaptés aux conditions extrêmes, l'a prouvé. On a mis dans un bocal deux cobayes puis on a augmenté le nombre. Ils ont fini par tous mourir, pas une mouche n'a survécu. Ces chercheurs pourraient bénéficier de cobayes humains, gratuitement, à longueur de journée, s'ils venaient analyser le quotidien des Algériens qui se marchent sur les pieds, se bousculent, s'étouffent, s'écrasent, agonissent dans des galeries lilliputiennes dans l'un des plus grands pays au monde. Obligés de faire des enfants parce que les enfants c'est le fils-assurance d'une retraite, sans quitter son gourbi, c'est le fils-gardien quand l'assassin rôde, c'est le fils-foot fantasmant sur Zidane, le fils-mâle quand la razzia menace. Il faut penser aux services de la petite chose, la fille qui soigne à domicile, celle qui même mariée est exploitée, leurrée et heureuse d'être protégée. On a beau vivre dans un bled nommé République Populaire et Démocratique, la solitude et l'hostilité règnent dans chaque foyer lambda. Comment former, en plein désert, un groupe de fourrageurs-cueilleurs ? Pas étonnant que les enfants deviennent ingrats, fuient vers d'autres cieux, causent par simple caprice la mort de leurs géniteurs. Quant à l'Algérie d'en haut, l'Homo sapiens vacciné contre la foule lépreuse, il vit en meute de loups qui aurait dérobé le graal. Il a besoin d'accaparer les espaces pour se sentir maître du troupeau.

Même mort, il est ressuscité, dit « amort » d'après la médecine des élus. Si un camion ne l'écrase pas, si un kamikaze ne l'explose pas, tout corps humain peut été réparé à l'infini. Il verra un jour la lune et pourquoi pas Mars, grâce à la mondialisation du sommet de l'Olympe. Contrairement au vrai chasseur-cueilleur, il peut acheter une île déserte et en faire sa propriété privée, son garde-manger et son zoo. Il ne connaît pas le racisme, même s'il est méchant, noir, obèse vieux moche et ignorant. L'essentiel, il possède le sésame ouvre-toi avec la lampe du génie : le dinar convertible en denier romain. Exemple d'Homo sapiens réussi : Chakib Khelil : L'homme n'inspire pas, il fait l'actualité, il faut en parler. Il est parti en voleur et revenu en sultan. Qui mieux que lui peut affirmer : vive l'Algérie ! Rêver à Chakib Khelil président ou à un Ali Belhadj ? L'un représente la Régence qui propose et dispose et l'autre, le palais saoudien, chouchou planétaire et gardien du soleil d'Allah. Les seules forces actives du bled. Il n'y a aucune autre alternative, parole d'économiste bien graissée. Les deux font leur pub à l'or noir qui alimente le Club « Med » les téléprédicateurs et les brouilleurs d'Al Hayat tv. Exemple d'Homo sapiens raté : Le pied-noir, l'émigré, le harki et l'indigène: « Nécessité de partir là-bas. D'y retourner. Là-bas? l'Algérie. Pourquoi ?...Je ne sais pas?Non, c'est quelque chose qui vient de la terre?Peut-être des creux?Vivre ailleurs que là a changé pour moi le sens du mot vivre. » (1) Damnation des colons. Certains se sont enrichis, d'autres pas, aucun ne voulait partir de son plein gré. Le pays était beau et promettait un bel avenir avec ou sans pétrole. Curieusement c'est les endroits qui ont le plus souffert de la guerre de Libération qui ont le plus nourri l'émigration vers l'ex colonie. La belle jeunesse tunisienne a pris d'assaut la mer pour l'Italie, à peine atterrissait l'avion de Ben Ali à La Mecque. Sur le plateau du Golan sous occupation juive, les Syriens n'ont pas souffert de la guerre, ne se sont pas révolté ni émigré. El Assad, tout en bombardant ailleurs, les réclame ; bizarre. Il faut lui dire que la décolonisation n'est plus à la mode. La preuve, 1 Israélien sur 5 est Palestinien qui n'a rien à voir avec Gaza et son âge de pierre. En combien de temps pourra-t-on dire : 1 Français sur 5 est Algérien ? Au Sud, l'armée française encercle pratiquement l'Algérie, si elle venait à bouger vers la Régence, combien d'expatriés de l'Hexagone réagiraient et en faveur de qui ? « Naïfs, nous l'étions tous.

Nous sommes descendus de nos montagnes, la tête remplie de rêves? Et un beau matin nous nous sommes éveillés avec un goût amer? Le désastre accompli? Certains compagnons ont tenté de réformer nos rangs dispersés. C'est alors qu'on s'est rendu compte d'une catastrophe, plus grande encore : il n'y avait plus de compagnons? Sauté à pieds joints dans le piège? toutes ces belles villas des anciens colons, choisissez ? prenez? bars, hôtels, restaurants? enrichissez-vous, faites bombance, ne vous privez pas? Naïfs? Car vous ignoriez tout des dossiers méticuleux? sur votre compte et que, le moment venu, on ne manquera pas de brandir sous votre nez, à la moindre tentative d'ouvrir votre bouche. » (2) Quant au harki, on l'est tous plus ou moins, chaque Algérien est dressé pour avoir sa part. Plus on descend l'échelle plus on est contaminé, plus on monte, plus la mutation vire à l'agneau immaculé. Il suffit d'écouter les ayants droit parler des ayants droit. Même quand ils se chamaillent c'est la symphonie de Beethoven, la zen attitude du moine tibétain. Une relaxation comparée à l'horreur de la dechra, même assommée par la canicule et la mouche tsé-tsé? Quant à l'émigré, l'attentat à l'aéroport de Bruxelles est le cauchemar de la goutte d'eau ajouté au déracinement.

D'Alger à Bruxelles, direction Molenbeek, c'est l'enfer à l'antichambre du paradis. Chaque rue déverse sur un parc immense parfois deux qui s'emboîtent avec terrain de sport, enclos pour chiens, lacs artificiels, jeux d'enfants, arbres centenaires, silence monacal, pelouse verte pour pique-niquer, jouer et dans n'importe quelle direction à chaque minute, un réseau de transport fluide quasi aérien. Même les logements sociaux sont bâtis en villas entourés de jardins, entretenus régulièrement par la commune. Les commerces marchent mieux qu'ailleurs, des Marocaines maîtrisant, à peine la langue, n'ayant jamais travaillé peuvent avoir des voitures neuves remplir à bord leur cadi et bénéficier de salles de sport only lady, à moins de 20 euros, le mois à faire pâlir un Riad el Feth ou un Centre commercial à Bab el Zouar. En Belgique, les émigrés ont l'espace, l'euro, la démocratie et même un chez-soi au bled où ils sont traités royalement par leur monarchie, que demander plus ? Même le chômage est plus attrayant que le boulot ; le divorce plus pratique que le mariage. Que s'est-il passé ? Pourtant, la Belgique n'a pas colonisé le Maroc. Le déracinement, le manque d'assimilation, la politique manipulatrice, les croyances lapidaires? ? L'historien Yuval nous affirme que Sapiens a évolué avec les mêmes tares partout, prédateur en puissance, il a détruit des espèces entières, a épousé les mêmes mythes, copié les mêmes religions avant de les cocufier avec les anciennes. Tout déracinement est un traumatisme.

Aucune certitude durable, seule la science y parvient, le temps que tienne la preuve. 226.800 scientifiques ont quitté l'Algérie, affirme le Centre national en économie appliquée. (3) La ministre de l'Enseignement rêve d'enseignants mieux formés. À l'avenir, on aura donc de meilleurs scientifiques à exporter. On vend la datte pour importer la mayonnaise, parole de ministre. Quel Algérien a voté pour cette infamie alors que le miel du Ramadan, c'est datte-lumière, deglet-nour, est réservée aux étrangers ? Faut-il aller à Marseille pour en profiter ? Quant à la mayonnaise, quelle que soit sa provenance, tout toubib honnête conseille de l'éviter même offerte gratis. Des salopards s'enrichissent en détruisant notre santé, mais qui nous oblige à acheter de la mayonnaise ? L'ignorance, la pauvreté et surtout cette lassitude de vivre, d'en finir. Yuval est optimiste avec son Sapiens, il écrit, concernant les décès dans le monde en 2002 : « Sur 57 millions de morts, 172.000 seulement sont morts de la guerre et 569.000 de crimes violents? pour 873.000 suicides. » C'est terrible quand le plus grand danger pour X vient de X. « Les Algériens ne bougeront pas, ils ne feront pas comme les Libyens et les Syriens, ils sont bien informés. » C'est le présentateur de Meta TV qui parle et il ajoute que les Algériens sont au 4ème rang de ses fidèles. Nous sommes certainement plus expérimentés, notre tour a déjà eu lieu. Il faut sans doute attendre que grandissent les enfants du million d'enfants traumatisés par le terrorisme.

D'ailleurs l'avenir est à l'éclatement des gros blocs, le retour aux petits groupes, d'après l'auteur de Sapiens. Il suffit de voir qu'en Europe ce n'est pas les grands pays qui s'en sortent le mieux, sans ajouter le piège de l'Union, l'UE. Certains parlent de l'abandon de la monnaie et bon nombre d'Occidentaux utilisent déjà le troc, plaident pour le retour à la nature et aux dieux d'avant l'Unique, Adam, Eve et le Déluge. Si la Kabylie obtient son indépendance ça sera grâce au système LD : lâchage et débrouille. Le lien va lâcher tout seul. Les derniers Amazighs, les gardiens du noyau social d'avant l'amnésie totale, osent parce qu'ils se débrouillent mieux que les Arabes, les Mozabites, les Sudistes... D'après l'Histoire et l'actualité, la Kabylie indépendante sera obligée de copier l'Europe et d'ouvrir ses portes pour accueillir « toute la misère » de ses ex-compatriotes. Sans pétrole à 100 dollars, la Régence n'assure plus, en supposant qu'elle a assuré un jour le minimum vital, utilisant simplement ce don du ciel. À 40 dollars, elle dépouille carrément la masse jusqu'au point de rupture. «En politique, la justice et la bonne foi sont des mythes.» (4)

1- Marie Cardinal (Au pays de mes racines)

2- Rachid Mimouni (Le fleuve détourné)

3- L'Expression (6 avril 2016)

4- Dictionnaire, le Petit Littré