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Bonne gouvernance, dites-vous ?

par Cherif Ali

Protéger, rassurer, sécuriser, affronter, comploter, maltraiter, terroriser, censurer, libérer, sauver, éliminer, résister, défendre, alerter, harceler, brutaliser et parfois même emprisonner ont alimenté l'arsenal sémantique diversifié de ceux qui nous ont gouvernés.

En fait, tous ceux qui ont pris le pouvoir en Algérie à partir de 1962 jusqu'à l'ouverture du champ politique qui a eu lieu au lendemain des événements tragiques d'octobre 1988 ont utilisé la peur pour gouverner et se maintenir aux commandes du pays.

Leurs opposants, ceux notamment qui se sont manifestés au lendemain du premier tour des élections législatives avortées de 1991, n'ont pas fait mieux. Un dirigeant d'un ex-parti dissous, croyant avoir raflé la mise électorale, s'est précipité à appeler les algériens «à changer leur us et leur comportement y compris vestimentaire !».

Aujourd'hui, ceux qui président à nos destinées et même ceux qui veulent prendre leur place, font tout pour alimenter et mettre à jour nos peurs, conséquemment à la crise économique, au terrorisme, ou aux bruits des bottes qui se font entendre à nos frontières.

Les Algériens, quoique inquiets, sont blasés pour un certain nombre et affichent leur défiance pour tout et partout. Cette défiance est d'abord verticale et les oppose à ceux qui les gouvernent. Elle se nourrit d'un sentiment d'abandon, de plus en plus répandu « ceux qui nous dirigent cultiveraient », ont-ils tendance à dire, « l'entre-soi », sans se préoccuper, ou si peu du peuple. Il serait toutefois naïf de limiter cette défiance aux seuls gouvernants. Elle frappe la classe politique dans toute sa composante mais aussi l'administration publique, les patrons d'entreprises, les journalistes, bref, toute l'élite intellectuelle !

A cette défiance verticale, s'ajoute, également, une autre défiance de type horizontal ; avec la crise du pétrole, l'inflation, la cherté de la vie, les rapports sociaux s'exacerbent et la méfiance gagne du terrain et met à mal la cohésion sociale. Les syndicats, issus pourtant des classes prolétaires et à leur tête l'UGTA, sont désavoués. Au lieu de se remettre en question face à ce désaveu, ils maintiennent leur discours paternaliste et partant, défendent « leurs acquis » en fréquentant les tripartites, qui se suivent et se ressemblent.

Quant aux gouvernants, ceux notamment composant le staff ministériel, ils devront, forcément, regarder en face cette catégorie de la population avec laquelle la rupture, s'ils n'y prennent garde, pourrait, tôt ou tard, être consommée. L'affronter, dialoguer avec elle, lui trouver des solutions justes et pérennes, c'est accepter l'idée qu'il n'y a pas dans le pays :

1. d'un côté, un peuple paisible, qui va aux urnes, qui applaudit car content de son sort, semble-t-il

2. de l'autre, un peuple frondeur, abstentionniste, qui rejette tout en bloc au motif que « tous sont pourris ».

En fait, il s'agit de deux segments intermittents d'un même peuple appelés autrefois « forces vives de la nation », qui en réalité travaillent beaucoup, pour peu de choses, et souffrent aussi, énormément, du fait d'un quotidien de plus en plus difficile ; contrairement à nos gouvernants qui, faut-il le dire, n'ont pas de soucis à se faire, non seulement pour le quotidien mais aussi pour le lendemain, car ils détiennent la rente dont ils consentent, de temps à autre, à ouvrir les vannes.

Aujourd'hui, les Algériens toutes catégories confondues, en veulent plus et pour cause, il y a eu beaucoup de promesses. Après avoir voté pour un bilan et un programme, ou même en s'étant abstenus, ils veulent qu'on leur parle maintenant de leurs priorités : emploi, logement, école, justice, libertés individuelles etc.

Le gouvernement est averti, qu'il prenne garde au décalage entre les promesses et ce qui est possible de réaliser ! S'il veut durer, il sera, peut-être, obligé de ruser voire même d'appliquer ce principe « il faut prêter serment non pas au peuple et à la nation, mais à ceux qui détiennent les clefs de sa réussite comme les lobbys politiques et les groupes de pression financiers ».

Il y a, également, toutes ces personnalités dites « nationales » dont les efforts de positionnement ne sont, en fait, que des tentatives de rapprochement du pouvoir et donc de la rente. C'est valable aussi pour les formations politiques qui perdent tout crédit, notamment celles qui n'apparaissent que lors des élections et qui cessent toutes activités dès que les lumières s'éteignent.

On l'aura compris, pour ces gens-là, le souci réside dans la nécessité politique de se placer, ensuite de faire le moins de mécontents possibles pour durer.

En définitive, même si le discours politique ne change pas, l'opinion évolue et comprend que ses intérêts ne sont pas les mêmes que ceux de ses dirigeants qui visent, avant tout, à se maintenir et étendre leur pouvoir. Les discours alarmistes et anxiogènes ainsi que la désignation d'ennemis intérieurs, sans oublier bien sûr la «main étrangère», servent alors, à légitimer des mesures disproportionnées qui portent atteinte aux droits fondamentaux, dans le but de mieux contrôler la population.

Et les citoyens ont en marre ! Car ils ont l'impression qu'ils payent pour leur protection, mais personne ne les protège de leurs prétendus protecteurs. Et les grèves ne tarderont pas à se transformer en fronde, surtout quand on vient à leur dire que « l'Etat providence, c'est fini ! ».

Il faut se rendre à l'évidence, nos hommes politiques, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, ont ceci de commun : ils se forcent tous de faire peur à défaut de convaincre ! Encore aujourd'hui, les Mokri, Louisa Hanoune, Ali Benflis, Soufiane Djilali prédisent au pays des lendemains qui déchantent voire la ruine quand ce n'est pas la guerre civile. Khalida Toumi et Zohra Drif Bitat à la tête de l'initiative des 19 ou du moins ce qui en reste, soutenaient mordicus, qu'elles avaient entre leurs mains des «bombes» ! Amar Saâdani et ceux qui se reconnaissent dans sa démarche, ne sont pas en reste ! Ils viennent d'engager une partie de « bras de fer » avec le ministre chargé des relations avec le parlement, Tahar Khaoua, l'accusant, ni plus ni moins, « de travailler à la déstabilisation du FLN et donc du pays ! ».

Il semblerait qu'aujourd'hui, le pays va s'acheminer vers un «Etat civil », sans pour autant donner le moindre signal concernant son mode de gouvernance ! La théorie de la peur comme celle du chaos recrute encore des adeptes tant dans nos gouvernants que leurs opposants.

Lire, voir ou entendre parler des risques potentiels et des menaces terribles qui pèsent sur nous, disait un psychologue peut agir, à notre insu, dans la construction de notre perception que nous confondons souvent avec la réalité. La peur se nourrit d'agents viraux qui contaminent notre confiance, altèrent notre lucidité et renforcent notre interprétation négative.

Qui d'entre-nous, à la lecture de certaines manchettes, ne s'est laissé tenter de penser : «ah oui, c'est vrai, c'est la crise, le pétrole dégringole et le pays avec !». Ces appréhensions sont les socles fondateurs de nos peurs intérieures. Le pire, c'est qu'en craignant qu'elles se réalisent, nous mettons en œuvre, sans le mesurer, des schémas de répétition qui donnent raison d'avoir peur. Pour s'en rendre compte, il suffit de noter la fréquence des commentaires de type «la chute du pétrole, c'était inévitable, tous les experts l'avaient prédit», «le gouvernement nous a caché la vérité», «ils vont vendre Sonatrach et Sonelgaz ! ».

En principe, il est dans le rôle de tout gouvernement de rassurer les travailleurs et a fortiori, les citoyens quant à leur avenir immédiat, d'autant qu'il se trouve coincé dans une situation de crise, mais les annonces nombreuses et désordonnées de certains membres de l'exécutif à propos du recours à l'endettement extérieur, par exemple, contribuent à semer une panique sans nom. Les sorties en ordre dispersé donnent, en fait, l'impression, n'en déplaise au premier ministre Abdelmalek Sellal, que la discipline gouvernementale est absente. A charge pour lui d'y mettre bon ordre en nommant aux postes stratégiques des hommes capables de l'accompagner dans sa mise en œuvre de la « nouvelle stratégie économique » qu'il compte mettre en place !

Dans le même ordre d'idées, nombre d'observateurs attendent du président Bouteflika une intervention pour corriger les erreurs de casting qui ont caractérisé le gouvernement Sellal 4 qui, faut-il le reconnaitre, compte tout de même en ses rangs des ministres qui font l'impossible pour réhabiliter l'outil de production nationale, mettre en avant les potentialités locales en matière de réalisation, d'ingénierie et d'étude, et surtout s'appliquent à livrer les projets à temps !Et comme pour alimenter encore notre peur, ils estiment qu'il ne reste au gouvernement actuel, s'il est maintenu, que deux alternatives possibles :

1. Soit poursuivre sa politique mortifère et précipiter le recours à l'endettement extérieur, plus rapidement que prévu par les experts

2. Ou mettre à profit cette période pour procéder à des réformes utiles et intelligentes et susciter ainsi des changements dans le quotidien des algériens.

Pendant ce temps-là, des opportunistes profitent des peurs générées et entretenues pour s'enrichir au détriment de la population. De nouvelles entreprises naissent, d'autres s'enrichissent en profitant des mesures attractives et du foncier donnés par le gouvernement. Elles ramassent à la pelle les subventions induites par les programmes gouvernementaux créés dans le but exprès «d'endiguer les nombreux dangers qui nous assaillent». D'autres programmes tout aussi alléchants, subventionnent des centaines d'associations à but non lucratif « pour aider la population à gérer le stress créé par la peur et aussi pour remplir, au moment voulu, les salles de meetings politiques des partis du pouvoir ».

Mais, il faut savoir que l'effet de la peur s'amenuise avec le temps. A moins que les catastrophes annoncées ne se matérialisent, le doute s'installe rapidement même si ceux qui sont au pouvoir détiennent un inventaire de «danger illimité» pouvant raviver la peur dans la population.

Aujourd'hui, faut-il le dire, le pays a su préserver sa sécurité, même s'il reste ce grand «géant» d'Afrique où la classe dirigeante, les formations politiques et l'élite peinent à dégager un consensus pour définir une vision commune et partant, assurer la sécurité stratégique de toute la région.

L'Algérie, en ces temps de crise, a besoin de sérénité, de visibilité et d'un discours de tolérance et de vérité. La bonne gouvernance est à ce prix !

Nul n'a le droit de réinstaller, d'une façon ou d'une autre, la peur dans les familles algériennes inquiètes pour la sécurité de leurs enfants ou de leurs biens ; ou plus grave encore, la sérénité de toute la nation sur l'avenir de l'Algérie, son unité, son indépendance et sa sécurité nationale sont une «ligne rouge» à ne pas dépasser, affirmait le président de la République, dans un discours qu'il a adressé à la nation en 2011 ! Message clair et d'actualité à tous ceux qui seraient tentés par la devise « ordo ab chao» !