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Vous êtes responsables !

par El Yazid Dib

Ce n'est pas parce que le prix du pétrole chute qu'il n'y a pas de responsables pour le tarissement des recettes, l'inconfort social et l'inquiétude des lendemains.

On est responsable du manque d'idées et des moyens de substitution lorsque sans l'avoir prédit ni voulu l'on tombe dans l'impasse. L'on ne sait quoi faire, l'on papote et l'on se résigne au sort de ses conjonctures. Juste pour ne pas avoir à temps et suffisamment anticipé sur un cas, l'on ne peut éviter d'endosser tel que le ferait un capitaine de navire en voie de naufrage, le commandement du gouvernail. L'illisibilité du trajet n'est pas la faute d'une force majeure ou d'une force contraire contraignante. C'est tout simplement l'action tardive ou carrément absente. Si le logement se distribue et le gourbi tend à disparaître, c'est grâce à un engouement autoritaire pour une responsabilité dictée. Si l'école est devenue une cible à abattre, c'est à cause de ceux qui refusent de semer l'universalisme en tentant de la garder otage d'un obscurantisme. Mais si L'argent public est à l'arrêt, l'impôt de se recouvre pas, le touriste étranger ne se voit pas, le virus tue la santé, le commerce est une opération de vente, la culture une facture, la communication une onde radiophonique ; c'est probablement une affaire d'ordre et d'aptitude.

Quelle responsabilité encourt un maire lorsqu'une vache ne trouve rien à brouter dans un douar juché sur les hauteurs d'un mont qui n'a pas été humidifié par la bénédiction d'une météo avantageuse ? Quelle responsabilité pèse sur un opérateur téléphonique qui comptabilise les bips en unités de consommations ? Et quelle responsabilité, en fait, encourt un député ou un sénateur quant des lapsus ou du tintamarre s'entremêlent dans son intervention ou lors du vote d'une loi que les praticiens jugeraient scélérate, inique et injuste ? A qui incombe la responsabilité des morts et des blessés sur les tronçons routiers en éternelle réhabilitation ? En finalité aucun individu n'en est déclaré coupable. Nous cauchemardons ensemble et à l'unisson aidés pour cela par les médias locaux ou d'outre mer, qui n'ont de cesse de montrer à chaque occasion les décombres de nos rêves et l'encombrement de nos attentes. Tous ces avatars et autres ne seraient donc que le produit de nos fantaisies et le summum de nos illusions. Mais en réalité, rien ne se décide sans qu'il y ait derrière un acteur. La responsabilité personnelle est rarement établie et le cas échéant elle est suppléée par l'institution ou le secteur. Le « eux » et le « ils » engloutissent à jamais l'aveu du « je ».

L'exercice du pouvoir provoque indéniablement, dans sa définition plusieurs concepts. Les uns ne peuvent concevoir l'autorité sans qu'il y est son corollaire de responsabilité, les autres voient en la responsabilité un pouvoir qui accentue davantage l'autorité. Dans la théorie générale de l'exercice du pouvoir en tant que force et capacité d'action positive ou négative, rien n'est absolu et tout n'est donc que relatif. C'est cette autorité qui n'est nullement assortie de la responsabilité que tout « le monde » cherche et recherche comme prophétisait Nietzsche en disant « ils veulent tous le pouvoir, tous rêvent d'approcher le trône, même dans la vase ». Ainsi, le pouvoir ne se confine pas dans un vocabulaire hautement sphérique ni soit l'apanage d'appareil institutionnels de la haute hiérarchie. Il est un rêve éternel de l'homme qui se croit éternel. Feu Boumediene voulait que la responsabilité soit une charge et non un titre honorifique. Feu Ferhat Abbas avertissait « qu'en régime présidentiel, quelles que soient les bonnes intentions du président, le danger d'un pouvoir personnel reste présent ». Les deux hommes ont été l'un et l'autre des hommes de pouvoir, ont eu le pouvoir et bien d'autres par le pouvoir les ont séparés.

S'évertuer à se creuser les méninges pour établir un semblant de « cahier des charges » ou un « truc d'éthique » pour tout « responsable » deviendrait un comportement tellement important qu'il risque de dépasser de loin l'objectif qu'il s'assigne. Autrement dit, le pouvoir limite le pouvoir, selon la graduation de l'échelle des valeurs, des grades, des institutions, des corps et des situations. La loi semble stipuler que toute personne est présumée responsable civilement ou pénalement du fait de ses activités, celles d'autrui ou des choses sur lesquelles elle exerce ou a un pouvoir d'animation ou de contrôle. La responsabilité doit être, dans sa dimension de faire peur et encore crainte ; comme un récit fantastique et non fantasmatique à l'égard de tout prétendant «au trône». Malgré ce désir ardent vis-à-vis de la convoitise des « postes », les éventuels candidats se bousculent déjà au portillon des prochaines législatives. Etre député est plus déresponsabilisant que la charge dévolue à un ministre. Loin de l'acte de gestion, de la prise de décision, la levée de main est un simple geste qui ne coûte rien et n'embarrasse pas plus que l'effort de le faire. Un mandat, parfois deux et plus rien. L'on se fond dans la masse et l'on se goure dans l'amnésie si comme rien ne fut. Dans les partis, la responsabilité se rattache aux mots. L'action politique est une autre affaire de nombre et de gabarit. Un grand parti, ou un vieux ne devait sa consistance qu'aux hommes qui le composent. Voilà que son leader perd ses écrits et ses mots ou les lance, une fois le fait à accomplir à temps est déjà accompli. Le parti ne doit pas édicter des sentences à la place d'un tribunal auquel l'on fait perdre le prononcé à propos d'un neuf visiteur de zaouïa. Chacun est libre d'aller là où ses spiritualités, croit-il, seront en parfaite symbiose religieuse. En faire cependant un vacarme organisé et scénique, c'est rompre le silence méditatif et divulguer le secret, qui s'imposent dans de telles liturgies. La prière n'est-elle pas cette liaison muette qui ne s'entend et ne se regarde que par l'invoqué ?

Peut importe en finalité de savoir justement qui exerce pratiquement le pouvoir. Des mythes et des réalités ont sillonné les éléments de réponse à cette interrogation. Des insinuations et probabilités ont été par ailleurs avancées à propos des anciens et des nouveaux, de l'armée et des civils, des Kabyles et des autres. A une question tendant à assimiler le pouvoir à l'armée, le général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense rétorquait : « les militaires n'exerçaient pas le pouvoir si ce n'est à travers quelques uns choisis pour certaines fonctions». Comme lors des élections générales de 1991, un cadre de l'Etat et du FLN plusieurs fois ministre disait alors à un jeune, brillant et fervent militant du même parti, désirant se porter candidat aux dites législatives ; que son « jeune âge » constitue un handicap à l'exercice du pouvoir et à la prise de responsabilité. Ce jeune ne trouvait rien à dire que « Monsieur le ministre, quel âge aviez-vous lorsque vous avez pris les armes dans le cadre de la révolution ? Quel âge portaient en 1954 Benboulaid, Amirouche et tant d'autres monsieur le ministre ? Mutisme et hilarité.

La responsabilité est un engagement moral, l'exercice du pouvoir devait se confiner dans un contrat aussi moral et dont les dispositions ne sont que conscience, confiance et aisance spirituelle. La loi à elle seule ne suffit pas à contrecarrer les déviations ou les dépassements de prérogatives. Fut-elle préventive et punitive. De la privation de liberté l'on se libère. De l'amende l'on s'acquitte. Mais du remord, du chagrin et de l'admonestation intérieure, l'on s'enferme davantage. Les chroniques d'un temps passé ont narré que l'épée et les édits ont tracé dans le sang et dans les cachots les contours du pouvoir. Les rois faisaient et font croire à la plèbe qu'ils étaient et sont toujours les dépositaires terrestres du pouvoir divin. Les présidents ; ceux de la volonté des masses. Les dirigeants et leaders, le comble du savoir et de la compétence. Les stratèges et vainqueurs de célèbres batailles. Il n'y a pas de pouvoir que celui de faire du bien ou du mal. Dieu et le démon.