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Pourquoi parler au nom du Président ?

par Slemnia Bendaoud

Aujourd'hui, tout le monde parle au nom du Président. Certains le font pour lui faire dire ce qu'il n'aurait probablement jamais dit. En somme, tout juste pour donner cette impression de leur proximité avec la haute cour du pouvoir. Et tout le reste le fait bien délibérément, systématiquement, indûment, de manière osée ou désinvolte, et sans détenir la moindre délégation ou une quelconque autorisation de sa part.

Le pauvre ou malheureux peuple les suit, lui, sans grande conviction. Dans leur sinueux cheminement. Dans leur confus raisonnement. Sans la moindre implication, aussi ! Parfois juste par distraction ou sans faire vraiment attention. A ce qu'ils disent à son sujet ou de celui de la nation, les laissant faire et défaire une actualité des plus désespérante dont il s'en détourne désormais ou lui tourne carrément le dos.

La raison est connue de tous: le président est malade et parmi la haute sphère du pouvoir, il n'existe aucun porte-parole de la gouvernance du pays. A la sauvette, on s'improvise cet avocat d'une gouvernance qui brille par son absence dans le domaine propre à la communication. A quelques rares exceptions près d'aventuriers bien saisonniers, la communication avec le peuple demeure plutôt fermée. Jusqu'à nouvel ordre !

Parler au nom d'une personne qui a déjà perdu cette qualité de balancer - haut et fort comme autrefois - le sens des mots ou la parole est ce qu'il y a de plus facile à faire. Encore faut-il en être mandaté, expressément choisi ou tout à fait désigné et dûment qualifié pour ! Il faut aussi jouir d'un statut extrêmement relevé dans la maîtrise du verbe déballé et du sens donné aux phrases publiquement prononcées.

A la base, il y a cette érudition d'un véritable orateur des grands évènements et circonstances à réussir à véhiculer dans ses propos, capable à elle seule de faire ressusciter chez le peuple algérien cette «flamme de la politique» qui conquiert son cœur et le pousse à espérer en un avenir bien meilleur au sujet de son statut et pays.

Non seulement il faut être suffisamment doué pour le faire, mais il faut surtout être en mesure de suivre «la mode et de le réaliser à la perfection et dans les deux langues les plus usitées» pour impressionner son monde et le tenir toujours accroché aux mouvements de vos lèvres et à la voix de son idole.

Autres temps, autres mœurs !

Que ce soit avant sa longue traversée du désert ou bien après son retour aux affaires du pays, il n'aurait jamais accepté d'être suppléé, remplacé, un peu décalé, qu'on se soit substitué à lui ou que l'on s'autorise et s'autoproclame son avocat ou privé drogman.

Doté d'une maîtrise linguistique appréciable mais surtout d'un sens assez aigu dans l'orientation du débat à son profit, il pouvait, grâce à ces prédispositions, renoncer à tout interprète.

Longtemps dans sa vie privée ou professionnelle, le verbe était son dada. Un exercice qui le fascinait et auquel il s'intéressait vraiment. Il était tenté par ce souci de la perfection du discours, à tel point qu'on l'imaginait souvent le répéter en se regardant pérorer devant une glace qui lui répercutait l'arme de guerre de l'homme politique qui sommeillait en lui.

Que l'on soit suffisamment doué pour ou que l'on en donne juste cette impression de vraiment l'être, on est plutôt toujours craint sur ce plan-là pour ne plus être contesté dans sa fonction de bon orateur: celui qui sait si bien transmettre les messages, haranguer les foules, procurer du plaisir à son monde et surtout lui faire croire en l'avenir du pays avec une assez grande dose d'espoir de réaliser l'essentiel des promesses faites aux citoyens.

Arme redoutable des hommes politiques, le verbe - plutôt celui si bien réussi à l'oral qu'à l'écrit - reste aussi percutant que la plus terrible des armes à feu, celle la plus sophistiquée ou encore celle la plus préférée au plan de sa maniabilité et fiabilité; car en plus de sa grande capacité à faire et surtout taire les guerres, il demeure ce vecteur qui négocie la paix durable, longtemps souhaitée par les peuples et nations du monde. Et lorsqu'on en dispose de si peu soit-il ou que l'on pense vraiment en détenir un petit quelque chose, on est très souvent porté sur la dure et ardue conquête de ce perchoir de l'exhibitionniste au point de focaliser dessus tout notre avenir, savoir, don et bagages, étant par ailleurs persuadé d'en tirer tôt ou tard un très grand profit.

Ce fut d'ailleurs dans cette seule et unique logique que s'inscrivit tout le long combat du Président. A ces moyens, il devait leur adjoindre d'autres à l'effet de convaincre son monde dont il sut en séduire une bonne partie de ses chefs inamovibles et très carriéristes.

Bien qu'il eût probablement sinon effectivement à détenir à loisir l'arme pourtant redoutable de commander le peuple, il lui fallut également lui associer tout l'art nécessaire de bien le gouverner; chose qu'il ne pouvait malheureusement en disposer avec la même vigueur, la totale rigueur et surtout le bien-fondé de ses «géniales idées» ou supposées tout comme pour ses parrains, partenaires et autres disciples.

Car, n'est-il plutôt pas plus facile de dire que de faire ? De juste en parler que de travailler dur pour ? N'est-il pas aussi plus aisé de penser une chose que de finalement parvenir à la réaliser ? De concevoir un projet plutôt que de vraiment le matérialiser ? Encore plus logique de réfléchir à une solution adaptée que de trouver du premier coup celle la mieux appropriée ?

Savoir parler à la foule est important. Il en constitue sans conteste un atout majeur. Toutefois, bien souvent, cela reste vraiment insuffisant pour convaincre le peuple de notre programme politique et économique. Car, après la parole, il faut passer à l'action. Et c'est là où justement se pose l'épineuse question de faire corroborer les dires avec les actes.

User de la ruse ne sert finalement qu'à gagner parfois du temps sans jamais répondre favorablement aux nombreuses attentes des populations, restées encore liées à leurs promesses électorales et autres projets de programmes.

Tant que le bon Dieu lui avait épargné sa santé, c'est ce qu'il avait toujours fait, en plus de ses nombreux voyages d'affaires à l'étranger et réceptions de très hautes personnalités du monde. Souvent, peut-être même bien plus que cela, en de nombreuses occasions et circonstances.

Néanmoins, de très sérieux impondérables devaient surgir à ce niveau-là pour complètement changer les données de l'équation désormais un peu trop compliquée à pouvoir correctement la résoudre, dès lors qu'il avait des difficultés à pouvoir honorer ses discours à la nation. Envers la population.

Parler au peuple: une obligation constitutionnelle

Bien avant même l'entame du quatrième mandat - celui de trop, forcément -, le staff le plus restreint du candidat-président, si tenté par cette aventure compliquée de rempiler pour un énième mandat présidentiel sans en mesurer les graves et plutôt incalculables conséquences sur le pays, savait pertinemment qu'il allait être sérieusement confronté à un épineux problème de communication.

Le masquer avec des communiqués très soignés et bien rédigés ou des images immobiles et bien maquillées ne saurait trop durer et ne pouvait donc tout de même remplacer ou à tout le moins juste suppléer ce discours à la nation si important, ponctuel ou même très occasionnel et parfois tout à fait improvisé mais très souhaité.

La lettre adressée au peuple - même si elle était exclusivement de lui ou fut de son œuvre la plus authentique - restait tout de même bien muette. A l'image d'une statuette inerte et un peu trop suspecte sur les bords. Elle manquait justement d'âme et surtout fondamentalement de voix ! Le message coinçait déjà à ce niveau de sa perception et autre utile compréhension. Peut-être que le préposé à cet ardu exercice d'expression orale manquait, lui, vraiment de ce génie propre à la belle locution, sport dans lequel l'actuel locataire du palais d'El Mouradia se fit distinguer déjà à son âge de ses vingt printemps, dans la langue chère à Voltaire. Le texte, rédigé de façon narrative fort remarquable et très poétique par monsieur Ali Benmohamed, alors professeur de lettres arabes à l'université d'Alger mais aussi militant du parti unique (le FLN), brillamment repris à l'oral par cet ancien ministre des Affaires étrangères sous le règne de Houari Boumediene, lors de son exceptionnelle oraison funèbre - où son auteur eut à se distinguer- révéla au peuple cette voix si habile qui savait également s'adresser à son monde dans cette langue arabe, vecteur de la meilleure œuvre de tous les écrits qu'est le saint Coran.

La très forte émotion qui s'en dégageait, combinée à la charpente de l'architecture de la haute portée du texte habilement interprété par une voix assez singulière ne pouvaient solidairement qu'enfanter une oraison funèbre digne de la grandeur du disparu dont la cérémonie fut honorablement célébrée.

A coup de refrains soudains et très souverains où il tenait à changer de ton afin de reprendre son souffle et pouvoir engager la suite sur le même élan, il ne faisait qu'accompagner ce merveilleux texte d'une voix certes nouée mais percutante dont la tristesse des propos mettait le doigt sur cette plaie béante avec laquelle il fallait désormais composer, ouvrant une nouvelle page de l'histoire de l'Algérie.

C'est dire que chez le futur président de l'Algérie, le verbe figurait déjà en bonne place de son arsenal de guerre sur lequel - pensait-on à l'époque - il comptait énormément, très conscient qu'il en détenait là la véritable clef de la conquête du pouvoir, celle qui l'empêchait souvent de retrouver le sommeil ou ce mieux-être longtemps rêvé. Beau parleur, grand roublard, subtil combinard, il l'aura toujours été. Mieux encore, du premier coup il est capable de vous embobiner. Vous embarquer pour un si long voyage dont vous n'aviez justement jamais été préalablement bien préparé. Celui que vous ne pourrez jamais deviner. Sa force résidait dans ce verbe dont il savait s'en servir et lui donner toute l'étendue de la résonance qui lui sied.

Il savait déjà s'adresser à la foule. Souvent pour l'amadouer. Et comment ? Il pouvait même endormir le peuple ou vraiment l'hypnotiser. Sans doute, parfois bien l'impressionner! Ce furent d'ailleurs - entre autres - à cause de ces mêmes qualités qu'on lui fit appel en 1994 et ensuite en 1998 aux plus hautes charges de l'Etat algérien.

Une voix, une âme !

Mais depuis que le rossignol ne chante plus, le parvis du grand palais n'affiche plus complet. La fête connaît une inattendue interruption. Plus aucune voix, aucun rythme, aucune rime de vers ne se font entendre à l'horizon. La messe semble être dite, et chacun est rentré chez soi.

Seuls quelques rares badauds, en égarés politiques, scrutent encore une scène plutôt inerte et déserte, en quête de quelques prébendes de charognards à engranger sans grand danger. Parfois des échos peu audibles semblent parvenir de très loin pour sérieusement les déranger. Ils s'y accrochent, toutes griffes dehors.

Quels qu'en soit la qualité et le style de la rime poétiques des vers astucieusement agencés du texte, plutôt foncièrement muets à la base, ils resteront toujours orphelins de cette musicalité qui les met en évidence tant que la voix qui les enrobe marque encore son absence.

Voilà pourquoi, en particulier chez les tout jeunes auditeurs, l'exploit réalisé par le tube d'un quelconque chanteur ne doit absolument rien au grand art des autres artistes ayant pourtant travaillé dans sa composition, arrangement, texte de base et autres aspects techniques de l'œuvre.

Car, pour eux, l'empreinte ne porte que son nom ! Son unique cachet ! Que l'impact du son de sa seule voix !

Ainsi donc se dessinent les limites de l'écrit, fut-il encore un chef-d'œuvre du genre ! Toute voix renvoie à l'expression sonore d'un bruit naturel ou celui provoqué par une quelconque âme. C'est au travers de sa bonne interprétation que l'on découvre l'état d'âme de cet être humain pourvoyeur de sa tonalité. S'agit-il d'un cri de supplicié ou d'une belle chanson à écouter ?

En l'absence de ce très précieux indice, c'est nous-mêmes qui resterons sans voix ! Ne nous y sommes-nous pas déjà ? Parler au nom du Président, dans ces conditions, revient tout simplement à nous substituer à l'artiste, à singer le chanteur, à imiter le grand orateur, à copier le styliste, à plutôt faire l'impasse sur le maître de l'œuvre. A impérativement nous éloigner du naturel !