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La pression fortement exercée ne peut aboutir qu'à l'explosion

par Farouk Zahi

Si on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce en serait la salle d'attente. (Jules Renard)

Appelons le Mohamed ! La quarantaine bien sonnée, il fait commerce de fruits et légumes au bord d'une route de la périphérie d'un chef lieu d'une wilaya de l'ouest immédiat de la capitale. En ce jour printanier flamboyant, son étal n'est pas comme à l'accoutumée, immédiatement, au bord de la chaussée, mais largement en retrait et presque dissimulé par la végétation. La raison selon lui, c'est le passage imminent d'un cortège officiel qui a fait évacuer, momentanément, les lieux. Recouverte par des sacs de jute mouillés, sa marchandise est vendue presque à la sauvette. Qu'en pense-t-il ? Il ne faut pas être grand devin pour connaitre de son avis.

Apparemment excédé de cette vie d'errance, il part d'une diatribe cinglante pour dire : «Oui, «eux», ils n'ont pas 4 enfants à nourrir, à habiller, à chausser et à éduquer. D'autres, le font pour eux. Moi, si demain je suis écrasé par un véhicule fou, il n'y aura personne pour les prendre en charge. Je ne suis, même pas assuré !» pour continuer à soliloquer avec, cette fois, plus de véhémence : « A force d'être mis sous pression, le peuple risque d'exploser et là ce ne sera bon pour personne !

Moi, j'ai un niveau d'instruction de terminale, mais que peut-on faire avec un tel niveau, quand des licences et des magisters sont restés sur le carreau. A l'ANSEJ, je n'ai pas de qualification pour prétendre à un crédit. Et même si je l'avais, ceci contrevient à mes convictions religieuses. Avec cette vieille fourgonnette, je me bats contre l'adversité que constituent, les services de l'ordre public, la climatologie et les intermédiaires des marchés de gros. Les gens, surtout les automobilistes sont heureux de nous trouver sur leur chemin...ils sont généralement accompagnés de leurs épouses qui choisissent elles mêmes le produit à acheter. Çà leur permet aussi d'éviter l'encombrement urbain et les tracas du stationnement. Nous avons demandé à la mairie de nous aménager un espace d'une centaine de mètres carrés pour que les trois ou quatre marchands se fixent de manière licite et définitive. Nous n'avons eu aucune réaction sauf: Mamnou' ! (interdit). Pendant leur campagne, ils nous promettent des visas pour le travail, le logement jusqu'à croire qu'il va s'agir du paradis. Une fois installés dans leur citadelle bureaucratique, ils sont frappés d'amnésie. Ils disent à qui veut les entendre qu'ils n'ont pas d' attributions souveraines en matière d'aide sociale, de logement et de travail, mais ils ont la solution miracle pour leurs rejetons et entourage. Il y a là, juste derrière nous, un « bidonvilla » et personne n'ose leur demander les « papiers » car, ils savent qu'il y a de gros « m'qali », traduisez par :« grosses légumes? On nous traite de marginaux de l'informel, même la presse s'y met pour nous stigmatiser comme si nous étions des parias. Que représente notre informel à coté de celui du « Sekouar » (Square Port Said) où l'on brasse des milliards et des milliards. Même les officiels s'approvisionnent en devises étrangères là bas. Qu'on nous laisse, gagner honnêtement un bout de pain! Notre pain est amèrement imbibé de sueur de l'angoisse ». Pensif, le client que nous sommes, s'acquitte en silence de son du en se disant : « Et s'il avait été notre propre fils, comment aurions-nos pris ce sermon ? ». Car c'en est un ! Le soir même, et comme une réponse à nos nombreux questionnements sur le devenir de cette force de travail en attente d'une utilisation efficiente et durable, Canal Algérie proposait sur « Questions d'actu » un débat sur la croissance démographique avec en toile de fond : Faut-il s'en inquiéter ? L'animateur eut la main heureuse en y invitant, les professeurs Chems Eddine Chitour, directeur de recherche à Polytechnique, Abdelhak Lamiri, économiste, Mostefa Khiati, pédiatre et président de la Forem et le démographe Amar Ouali, directeur de la population au ministère de la Santé. De prime abord, le débat pouvait présager d'un bis répétita de la sinistrose ambiante pour dire toujours que rien ne va plus. Le dépassement en janvier 2016, de la barre des 40.000.000 d'individus, avec des indicateurs économiques à la déprime en rapport avec la chute des prix des produits énergétiques et la quasi inexistence de diversité économique, ne pouvait augurer que de lendemains qui déchantent. Les experts, au fait du fait démographique qui d'apparence semble s'emballer, tempèrent quelque peu les appréhensions des profanes que nous sommes. La visualisation de ce plafonnement démographique fatidique et les analyses synthétiques qui en découlent, révèlent, cependant, qu'en dépit du baby-boom observé dès le début des années 2000, des tendances baissières indiciaires sont observées, tels l'indice conjoncturel de fécondité ( enfants/femme) qui était de 4,5 en 1990 est descendu à 3,1 en 2015. Le taux de brut de natalité quant à lui, de 30,94 en 1990, il a décru à 26,03 en 2015. Le taux d'accroissement naturel de la population de 2,49 en 1990 était à 2,15 en 2015, ce qui n'est pas négligeable quand on sait que ce rapport caracolait à 3,2 dans les années 1980. Avec une espérance de vie qui a enjambé les 77 ans pour les deux sexes, il est temps de se préoccuper du 3è âge. Dans les pays développés, la préoccupation pour le 4è âge est passée dans la normalité depuis fort longtemps. Selon le comité national de la population, la structure démographique du pays connaitra, sous peu, une stabilisation durable par le maintien d'un taux de fécondité autour de 3. La famille nucléaire, induite par la déstructuration de la famille patriarcale et sous les contraintes de l'habitat, du transport et du travail du couple, est condamnée à se modeler selon un schéma restrictif en matière de taille.

Subvenir aux besoins d'une famille modélisée et par extension à ceux de toute une population, commande une autre approche managériale de gouvernance que celle adoptée jusqu'ici. Les experts s'accordent, tous à dire que l'aménagement territorial doit être réfléchi dans un sens expansif. On ne peut encore se permettre de laisser se cantonner 90% de collectivité humaine nationale sur 10% du territoire dont la superficie est de plus de 2.300.000 km2 ? Les profondeurs des Hauts Plateaux et du Sud doivent devenir notre « Ouest américain » pour investir et créer la vie. Le potentiel jeune, pétillant d'énergie pourra relever tous les défis à la condition que le planificateur se projette loin dans le temps. Les pays dits émergents, procèdent tous de la prospective au long terme, que ce soit hier, la Corée du sud ou aujourd'hui, la Malaisie. La suppression du département de la Planification à l'orée des années 1990, participait plus du mimétisme que de la maturité politique. On suivait, candidement, un Occident qui s'est défait d'une telle structure dont le besoin ne se faisait plus sentir ayant surpassé leur transition épidémiologique ou démographique. Investir, c'est semer l'espoir. A ce titre, l'un des experts qui prend la précaution de se démarquer de toute nostalgie pour dire, l'utopie créée au temps du barrage vert, de la transsaharienne, des villages agricoles a connu un engouement sans précédent. Il nous faut, toujours, une espèce de flamme sacrée pour mener toute œuvre nationale. Le succès d'une quelconque entreprise est tributaire de son appropriation par tous les acteurs.

La chute des revenus pétroliers, est probablement la meilleure chose qui puisse nous arriver pour aller résolument sur de nouvelles pistes, telle que l'économie du savoir et les technologies de l'information et de la communication. Et ce n'est pas tant l'expertise qui fait défaut à notre gestion économique, mais un mode d'emploi pragmatique qui cible le « qui » qui fait « quoi ?» et « comment ? ». Les décisions, souvent vitales pour le pays, prises à partir d'un bureau central ont montré leurs limites, sinon leur inefficience. En attendant et si nos édiles et responsables administratifs continuent à consacrer un jour défini, pour recevoir les doléances des uns et des autres, notre marchand de légumes sur le bord de la route passera le flambeau à l'identique à sa progéniture.