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Constantine, capitale de la culture arabe : Échec ou réussite ?

par El Yazid Dib

On a clôturé toute une année par une simple journée. Il y a une année on a coupé un ruban et fait dérouler des mètres et des mètres de tapis rouge. Doit-on, après cela s'arrêter un moment pour en tirer les comptes et faire ses bilans ?

Constantine, capitale par sa propre histoire

C'est quoi en fait une capitale ? Un siège central, un noyau axial autour duquel pivote tout un ensemble de politiques. Constantine, une ville qui ressemble aux matins d'octobre, un nom qui ne résonne plus aux sons de l'histoire plus qu'il ne le fait dans des affiches ou des invitations officielles. Son année était consignée dans plusieurs soirées. Son histoire est rivée à une capitale quand beaucoup de capitales n'existaient pas. Cirta ne se cueille pas à l'orée d'un Moyen Orient récent ou d'un 14 ème siècle évanescent. Le vacarme ne fait pas l'art, le slogan ne fait pas l'idéologie. C'est une ville qui tire ses fondements de la noblesse de tous les siècles qui l'ont vue se faire et non pas de ses infrastructures ordinaires le plus souvent inachevées. Pour ce qui est de la culture qui se fête dans ses salles, elle n'est pas trop expressive de ce qui se passe en réalité. Combien de cinémas ré ouverts ou remis en activité, vont-ils continuer à fonctionner maintenant que le rideau d'une année est tombé ? Combien de jeunes faisceaux de soleil vont-ils encore illuminer les zones enténébrées des quartiers pauvres et des communes extra-chef-lieu, une fois que les feux de la rampe se sont éteints ? « La zerda » comme l'aurait maladroitement qualifiée l'un des tenant de la manifestation, étant finie , Constantine va-elle demeurer une « capitale » occasionnelle et renouer avec ses solitudes festives et ses alacrités populaires ? Ainsi le jour où, l'on persistera à voir cet engouement vers l'acte culturel et cette grosse mobilisation pour la perfection des boulevards et des façades en dehors des festivals et des officiels, l'on saurait que les montants déboursés n'étaient pas vains. En attendant, une autre aubaine, une autre année , Constantine va inévitablement rejoindre la mélancolie qui taraude tout le territoire culturel et heureusement pour elle, y a le malouf, ce compagnon loyal qui saura comme le temps lui tenir le moral.

La Culture, mission ou passion ?

Rendre la fonction de production littéraire, artistique et de tout ce qui en gravite autour à de simples institutions organiques, la controverse ne mérite point d'être soulevée. Car peut-on imaginer que l'on puisse guider par décret ou arrêté la trajectoire sur une toile du pinceau d'un artiste-peintre confus dans les nuances de ses couleurs et enfouis dans le marasme de sa palette ? Peut-on de la sorte ordonner, si l'appréhension demeure possible, à la muse d'un poète de ne plus tarir d'éloges à l'égard d'un régime, d'une personne ou d'une politique ? Était-ce possible à un parolier, comme à son interprète, l'un d'écrire l'autre de chanter, à la commande circonstancielle, les louanges d'une révolution agraire ou la joie à l'obtention d'un trousseau de clefs ?

On savait d'avance à quoi aboutirait une telle démarche dans la gestion de l'outil intellectuel. Elle ne pourrait surpasser le stade de la circonstance, donc n'aspirant point à un devenir radieux et rayonnant. Paradoxalement la culture politique peut entraîner, sans besogne apparente ni talent matériel, des faits inoubliables et ancrés dans les mémoires humaines que même le temps est incapable de ne pas s'en souvenir. Les goulags, les tortures, Guernica etc.?en sont les preuves inexistantes de l'état culturel néfaste prévalant à chaque période nommée. Le nazisme était outre une légalité, un état de culture nationale qui emballée sous divers récipients en donnait la propagande du Reich. Chez nous la révolution agraire se voulait une culture populaire au sein même de la révolution culturelle. La masse laborieuse en était l'étendard et l'élite formait déjà l'élite. Nonobstant les tares des uns et les angoisses des autres ce fut quand bien même un temps où il faisait beau de parler culture. Le théâtre, le ciné-club, la cinémathèque, les récitals poétiques avaient eu lieu un certain moment, contrairement à nos jours où le théâtre n'existe que par la battisse qui abrite sa direction, et qu'en somme la culture n'existe qu'en termes de salles à remplir par le seul biais de l'invitation. Kateb Yacine, à lui seul par une simple penderie, sans effets spéciaux faisait les merveilles des pièces théâtrales jouées parfois, dans la rue, à bord des chaussées.

De nos jours, chaque jour qui passe, voit passer avec, un passé vide et creux, sans ombre ni teint, fade et insipide. La toile d'araignée gagne les sièges des loggias et des balcons de nos enceintes culturelles. Elle ne disparaît que le temps d'un meeting dit populaire en des occasions électorales. Toutes les salles continuent de perdre la raison de leur vocation. La politique a pris place aux cinémas, salles omnisport et maisons de la culture. Par contre la culture, la réelle, la vraie continue à côtoyer les passions isolées de ceux et celles qui la font dans le silence et loin des cénacles agrées. Il se confirme de jour en jour qu'il n'y a pas de culture ou de politique culturelle sinon qu'une simple politique de gestion de la culture. Une stèle par là , une autre par-ci, des défilés clos, des présentations fermées. Du festival du film arabe aux années culturelles des capitales , la culture serait carrément un commissariat payeur ou un complément d'objet direct à une structure. Palais ou ministère.

Le mérite aux morts, le déni aux autres

Ce qui caractérise avant tout un pays c'est sa haute considération et son profond respect à l'égard des capacités culturelles d'abord de la génération actuelle et ensuite, inévitablement des générations d'avant. Ce qui défait les valeurs d'une société ne peut provenir que d'un système dont la tendance, en vue d'un parrainage négatif vise à museler son génie culturel et tenter de le moudre au travers d'un appareil trop administratif pour s'occuper de ce qui est culture, art et créativité. A Constantine, l'on a tenu à rendre le mérite à une large panoplie d'auteurs, artistes, cinéastes mais le tout, l'on sent qu'il a été exhumé des affres de l'oubli. Honorer un mort est une œuvre de rattrapage, un rappel de soi, un mea-culpa d'une quasi-irresponsabilité. Car si ce mort l'était de son vivant, le mérite n'aurait été qu'une reconnaissance vivante et un regard direct et droit les yeux dans les yeux. Le faire à titre posthume c'est s'avouer avoir perdu à temps voulu toute attention à l'égard de ces récipiendaires disparus. La juste mesure, celle du moindre effort ou d'un équilibrisme égalitaire aurait été de le faire en fifty-fifty. On le faisant en grande majorité pour quelques artistes décédés, c'est comme l'on chuchote à ceux nombreux, qui respirent encore qu'ils le seront un jour, une fois installés dans l'au-delà. Anticiper sur l'acte de décès d'un créateur d'art ou de lettres est un acte où l'hypocrisie n'aura plus de siège. Il est préférable, rentable et digne de dire bonjour à un vivant que de psalmodier une oraison funèbre ou réciter un long discours à sa mémoire.

Ignorer ou dénier de le croire que la culture algérienne est plusieurs, diverse et diversifiée est une maladresse inexcusable. Un tord commis avec prémédication et à mauvais escient. Il n'y a pas une seule langue d'expression pour cette Algérie si riche et si variée pour que l'on ne retienne d'elle qu'une certaine tendance arabophone. Le nationalisme algérien est composite comme l'est l'essence historique de sa culture. Le mérite à rendre n'avait pas à s'adresser exclusivement à une frange pour exclure une autre.

L'écriture ou l'art en général n'est pas l'apanage d'une caste ni le monopole exclusif d'une union et encore moins d'individus que la conjoncture et la proximité leur servaient de tremplin vers la sphère des clubs et des plateaux, qui par fonction, qui par rapport pouvoir-opposition. Qu'elle soit élogieuse ou contradictoire, la culture restera l'unique expression que l'on ne peut ni emprisonner, ni la faire disparaitre.

La culture est globale

Elle n'est pas inclusivement d'un certain bord ou d'une certaine phonétique, mimique ou orthographique. La culture algérienne fait partie avec sa mosaïque de cet universalisme sans pour autant qu'elle soit totalement arabe. Elle est un cocktail magnifique plein de berbérité, d'arabité, d'islamité, d'africanité et tant d'autres éléments andalous, ottomans, maghrébins etc. La société avait été de tout temps entremêlée dans un schéma culturel tel que le voulait le pouvoir politique. L'expression de la richesse nationale intellectuelle n'a cessé de se débattre dans les diverses options qui allant de la langue jusqu'aux sources d'inspiration. On y oppose francophonie à arabophonie. Occidentalisme à orientalisme. Mais sans se préoccuper d'exiger où se repère notre grain d'algériannité dans cette différence. Les susceptibilités sont plus pernicieuses que si l'on parlait de nationalisme et d'amour de la patrie. Les Feraoun, Dib, Laaredj, Khadra , Abba, Mimouni ou les Ouettar ou Saadallah sont nés Algériens, leurs œuvres aussi. Le vocabulaire et la syntaxe sont différents, l'action, le drame et la tragédie sont les mêmes. Tous pleurent les déboires du pays et tous produisent ensemble le gène générateur de la fécondité nationale et civilisationnelle. Pourtant un certain scepticisme réside dans l'esprit des uns et aussi des autres. Ce « conflit » qui en sourdine départage les rangs des décideurs culturels, est, outre l'obédience idéologique l'un des handicaps majeurs dans la scoliose de cette « ossature » culturelle harmonisée qui nous manque. Nul n'en demeure à l'abri de l'étiquetage philosophique (baathiste, trotskyste ?) et parfois par mégarde intellectuelle ou à bon escient tactique, recours est fait à l'opprobre et l'indignité ( hizb frança). Voyons les cultures anciennes ; qu'en reste t-il en fait comme legs à l'humanité ? Le portrait de la Joconde en fait dire sur de Vinci plus qu'il en dit sur Mona Lisa. Nedjma en fait autant pour Yacine que pour l'énigme algérienne. Ainsi l'œuvre fait certes connaître son auteur mais s'éclipse vers la gloire au profit de son maître. Les pyramides sont toujours là, la mosquée d'el Hambara également. Le zénith, palais Ahmed bey cache aussi des petits chinois. L'œuvre subsiste à son auteur et résiste à l'oubli tant qu'elle s'élève altière à travers les âges ou entre les pages s'agissant de chef d'œuvres.

C'est quand l'année de la culture arabe accueille en son sein durant une semaine « un goût d'Amérique », raffiné par l'ambassade des Etats unis d'Alger que l'on ne parle plus d'arabité mais d'universalité.

Un ministre finisseur

Malgré son parcours foisonnant d'œuvres, d'insignes d'honneur, de médailles de mérite, d'hommages et de prix prestigieux, le poète-ministre est venu presque en fin de mission. Il n'avait en face qu'un devoir d'honorer les engagements émis dans une précipitation qui ne pouvait s'identifier. Constantine, était pour lui un legs truffé d'impasses, de non-dits et d'imprécisions. Comme un chef de service du Samu pour une urgence culturelle, il accourait panser là une déchirure, combler ailleurs une lacune. Il plantait les pancartes de destination en cours de trajet. Si l'année nécessite une évaluation qui prendra du temps, le ministre actuel est soulagé de tout soupçon au motif qu'il avait pris l'année dans son âge adulte. Il ne lui restait donc que l'allaitement du bambin mature mis bas loin du monde authentique qui est le sien. Il a essayé cependant de calfeutrer les ultimes travaux de finition par ses persistants et incessants va-et-vient. Si réussite allait se faire voir dans l'année, l'échec aussi resterait à dénicher dans l'impact laissé dans le cœur citoyen par ces huis clos étouffants, ces invitations et ces places réservées dans la vacuité des salles toujours désemplies.