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17 ans au pouvoir, quel bilan ?

par Ismail Zanoune

Dix-sept longues années à la tête de la plus haute magistrature du pays et il est encore difficile de résister à la conviction qu'aucun réel progrès ne se fera sentir durant les prochaines années compte tenu qu'il n'y a pas la plus légère raison de croire à l'existence -ou naissance- d'un Etat de droit en Algérie.

De même qu'il y a peu de raison de croire à un traitement sur le pied de l'égalité pour chaque Algérien, il y a également tout aussi peu de raison de croire à l'existence d'un groupe de personne qui serait capable d'exiger, dans un premier temps, une transition pacifique, et par la suite une meilleure gouvernance du pays, car, comme l'on pourrait aisément le constater : l'abus n'a pas engendré la réaction, ou du moins, le contrecoup généré par la société civile et ses représentants est tout sauf capable d'agiter un régime qui se maintient sur des bases ?solides', et ce, profitant principalement de l'appui d'un corps électoral facilement corruptible, par suite, le bon nombre de sit-in organisés ça et là pour divers raisons, n'est réellement qu'une forme d'exaspération qui ne saurait inquiéter le pouvoir en place, des sit-in qui n'ont déjà jamais réussi à obtenir la démission d'un seul ministre, d'autant plus, que même à l'échelle internationale, ce genre de manifestations est devenu monnaie courante, et de là à les croire en mesure de renverser la situation actuelle en faveur de l'Algérie est tout simplement faire preuve d'ingénuité.

Après la longue traversée du désert d'Abdelaziz Bouteflika, et par suite des milieux variés qu'il a rencontrés et des peuples divers avec lesquels, par moment, s'est mélangé, son retour en 1999 donnait l'espérance d'une future grandeur de l'Algérie, d'une éventuelle économie qui tiendrait la comparaison avec celles des pays de l'outre-mer, d'une meilleure répartition des richesses, d'une gestion à la hauteur des attentes du peuple, etc. Or, rien de tout cela n'a été réalisé, pis encore, tout un chacun peut être témoin de certaines infamantes pratiques qui se sont installées depuis l'avènement de notre président ; actuellement amoindri, et, dont l'avis sur bien des sujet est sûrement moins conséquent que ceux de la machine financière qui l'a fait élire en 2014.

Pour son premier mandat, il était venu spécialement pour rendre des services à l'institution militaire, que nulle autre n'aurait pu rendre aussi bien, et par conséquent, exporter une nouvelle image de l'Algérie alors baignant dans le sang à la suite d'une guerre fratricide.

Aujourd'hui, lorsqu'on a une objection à élever contre pas mal de décisions que Bouteflika avait prises -lorsqu'il était encore en mesure de prendre des décisions tout seul-, les pro-pouvoirs ont une réponse toute prête sous forme d'hypothèse : Qui a sorti l'Algérie de la décennie noire ? Il est à la fois déshonorant et complètement stupide, d'attribuer le mérite de tirer l'Algérie de la situation dans laquelle elle était, à un seul homme, en sachant qu'il a fallu mobiliser la ?Nation' entière pour chasser le mal qui aurait pu dévaster une bonne partie de la population de chacune des régions et menacer par conséquent la souveraineté territoriale s'il avait perduré quelques années de plus avec la même atrocité des Emirs qui menaient l'une des plus barbares activités qu'a connu le monde depuis Noé (ssl). Et d'ailleurs, on ne peut pas juger ce danger comme déjà surmonté définitivement, car ceux qui mènent ce genre d'activité ne font que sommeiller pour ensuite se réveiller à brûle-pourpoint dès que, en notre cas, l'Algérie devient trop fragile pour faire face à la poussée de telle idéologie.

Ce n'est pas le puits qui est trop profond, c'est la corde qui est trop courte

Un Etat contre nature ne se maintient que par des hommes contre natures, et tant qu'il existe des hommes ?puissants' qui font l'éloge du président en le présentant comme sauveteur de la Nation, on échouera à faire de l'Algérie autre chose qu'un lieu de perdition à ciel ouvert. Prenons par exemple le secrétaire général du FL N, Amar Saadani, et la légèreté souvent incroyable avec laquelle il parle et conclue sur des sujets que, les plus grands esprits eux-mêmes ne se permettraient de traiter qu'en y réfléchissant pendant une longue durée. Nous le regardons participer à la prise de tant de décisions de la plus haute importance pour l'avenir de toute l'Algérie exactement comme si, sur le champ politico-économique de l'Algérie, il n'y avait que demeurés et incompétents, comme si, ces décisions n'avaient d'impact négatif que sur un nombre limité de personnes et non sur le sort de toute la Nation. Lui ainsi que, presque tous les ministres, commentent l'actualité quel que soit le domaine relevant de ces affaires et ils oublient que, dans une démocratie, il est impossible de laisser les mêmes hommes traiter les questions et politiques et économiques et culturelles à moins qu'ils soient tous des génies hors paire, hypothèse à exclure au regard de ce qu'est l'Algérie actuellement.

Jamais, l'Algérie n'a été un théâtre de tant de scandales, de corruption, de détournement des sommes astronomiques, de passe-droit que sous le règne de Bouteflika. Avec un baril de pétrole presque toujours au-dessus de quatre vingt dollars, la recette pétrolière faisait saliver plus d'un et permettait de s'acheter le silence des puissances internationales, et il n'y a peu eu une tradition de liberté en Algérie mais plutôt que de simples apparitions.

Après un demi-siècle d'indépendance, les Algériens ont été spectateurs d'une mise en scène dantesque : le retour de Chakib Khelil. On l'a vu revenir des Etats Unis tel un sultan rappelé de l'exil pour porter les aspirations de ses sujets. Et il est curieux d'observer combien le genre d'argument employé pour défendre et réhabiliter Chakib Khelil ressemble à celui dont on a fait usage pour crier à la glorification de Bouteflika durant la compagne électorale des présidentielles de 1999. Date depuis laquelle notre président s'est borné de s'entourer d'hommes et de femmes qui s'interdisaient de le contrarier sur ne serait-ce que la plus banale des affaires, en oubliant que tout progrès dans les affaires est l'œuvre des esprits mécontents ; des hommes toujours en quête des vraies solutions qui ne cèdent pas à la très mauvaise politique que voici : balancer le mal par le mal, au lieu de combiner le bien avec le bien.

L'exercice de toute fonction à caractère politique, c'est le pouvoir sur autrui. Et durant toute cette période de dix sept ans, il n'y a jamais eu un effort réel et sérieux de la part de Bouteflika ou de ses gouvernements pour empêcher la corruption, et ce n'est pas avec les récentes soumissions des nouveaux enrichis qui frappent à la porte qu'on pourrait espérer un changement et se prononcer sur un avenir meilleur pour les Algériens. Le citoyen lambda, va-t-il supposer que c'est dans son intérêt que les parvenus avaient fait toutes ces dépenses pour faire élire Bouteflika ? Ou tel ou tel député ?

L'émergence des lèche-bottes du pouvoir est un phénomène très dangereux pour l'avenir de l'Algérie. Un phénomène qui se manifeste scandaleusement avec une intensité croissante depuis la fin du deuxième mandat de Bouteflika. C'est le fruit de la poltronnerie de beaucoup de nos pseudo-dirigeants. Rien, absolument rien, n'éveille chez ces personnes le sens de la critique. Ils prônent sans cesse et partout l'homme qu'est Bouteflika, louent son œuvre et glorifient ses actions ; l'un d'entre eux lui avait même souhaité un prix Nobel de paix. Ces lèche-bottes sont hostiles à tout génie éminent, et, au vu de leur nombre, ils peuvent défigurer l'image d'un vrai intellectuel en l'espace de quelques semaines à peine avec l'aide des journaux et chaines de télé pro-pouvoirs, et on doit concevoir comme probable la chute aux enfers de certains penseurs libres et acteurs intègres de la vie politique de l'Algérie, au moindre dérapage. Ces lèche-bottes rappellent et proclament à la moindre occasion qui se présente que Bouteflika a été élu par le peuple. C'est une lâcheté que de se cacher derrière la majorité. Une majorité n'est point capable de remplacer un homme. La majorité, même dans les démocraties, représente entre autres, les opportunistes et les dénués de bon sens. Et de même que cent têtes vides ne peuvent valoir un homme de science, de mille lèche-bottes on ne pourra jamais espérer une résolution héroïque.

La dernière rencontre du président avec le premier ministre Français a soulevé le cœur de tant d'Algériens et suscité une fois de plus la polémique sur l'état de santé de Bouteflika. Le résultat de cette malheureuse situation est le sentiment d'hostilité de la part du peuple à l'égard du président, laquelle ne se manifeste non pas par des cas isolés mais par un esprit de désaffection générale qui, à la longue, peut se transformer en une multitude de manifestations. Et en réalité, ce ne sera qu'un simple déplacement de l'oppression car, la masse populaire n'est ni prête à un tel engagement ni apte à faire aboutir les espérances en un réel mouvement.

Vingt quatre mois seulement se sont écoulés depuis avril 2014, il en reste encore trente six et on s'interroge déjà sur qui sera président en 2019. Les spéculations sont légions : Saadani, Sellal, Laamamra ou même Saïd Bouteflika. Le peuple, lui ; semble dire face à tout cela : Puisque Pierre a pu devenir président, pourquoi pas Paul un jour ?