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Bouteflika, entre les frustrés par la géographie et les frustrés par l'histoire

par Chaalal Mourad

Plus que l'âge, la maladie suspend nos vertus, nos vices et nos rêves, disait le marquis de Vauvenargues.

Bouteflika ira-t-il jusqu'au dernier souffle dans la vision qu'il portait sur l'Algérie ? D'aucuns pensent que non ! Après Bouteflika, l'Algérie retournera là où elle était tenue ! Selon eux, l'après-Bouteflika fait encore plus peur que la période Bouteflika. Le règlement de comptes entres les frustrés par la géographie et ceux par l'histoire repartira de plus belle ».

En Algérie les querelles politiques prennent l'allure d'un archaïsme déconcertant et trop loin de l'esprit de l'Etat-nation. Tu n'es pas de ma région, de mon ethnie ou de mon clan politique; je t'insulte, je te dénigre et je te diabolise. Le politiquement correct n'est plus de mise. Chaque groupe détient ses propres médias et ses influences au sein même de l'État. Cet exercice malsain de la politique est de nature à fragiliser encore plus l'Etat-nation.

Cette opposition qui a tout exploité, vainement ; la maladie du président, les revendications sociales, les événements sécuritaires de Ghardaïa, de Tiguentourine, les dangers qui nous guettent aux frontières, la crise pétrolière qui secoue le pays et enfin les affaires douteuses qui surgissent çà et là.

Dans cette guerre pour le pouvoir, on se chamaille, on essuie des salves de critique. Au box des accusés, victimes et innocents se mêlent. À la Bourse de l'abattage médiatique, la mise à prix est ouverte au plus-disant. Le discernement cède alors la place à la surenchère politicienne et à la polarisation. Chacun encense les siens, les hisse au rang des sauveurs et des héros et livre les autres en pâture à la rumeur et au dénigrement sur la place publique.

Loin de moi de vouloir défendre quiconque, ou m'articuler à cette guéguerre des camps. Que si je voulais participer à ce sport national qu'est devenue la diabolisation de l'autre. Croyez-moi ! J'avais, moi aussi, toutes les raisons du monde de m'en prendre à tout le monde. Nonobstant ma raison je refuse un tel glissement au mépris de la vérité, du discernement. De surcroît, j'en commettrais certainement une maladresse qui me serait durement reprochée par ceux qui tirent à boulets rouges sur tout ce qui se meut différemment de leurs pas de danse. Je devais donc observer l'équité au risque de me faire attirer les foudres!

Pourquoi s'en prend-on alors à Bouteflika et à ses hommes ? À mon avis, la réponse doit être cherchée là-aussi du côté des partisans du culte de certaines casquettes, du volant qui a changé de main et, bien sûr, de la lutte pour le pouvoir et ses privilèges. Plutôt que dans cette Algérie qui serait devenue selon eux subitement régionaliste, pourrie et affreusement plus libérale que jamais ?

Quand bien même sommes-nous en désaccord avec ses politiques ou le choix de ses hommes, dont certains, lui posent un vrai problème. Quelle plaise ou non Bouteflika avait sa vision des choses. Il ne se voyait pas entourer par des hommes qui pouvaient la mettre en péril. Pour lui, la loyauté primait sur toute autre considération. Il n'était pas disposé alors à »gérer les mentalités», il l'a dit lui-même.

Parmi ses hommes les plus proches : Chakib Khelil dont l'affaire ne tenait pas uniquement à ce qu'on lui reprochait, sans y être jugé. Et dont les faits remontent à une époque où ses détracteurs et leurs amis tenaient la cruche à miel entre les bras. Sonafrak (Sonatrach) n'était que pour eux. Les gens du sud, vous le diront mieux que moi. Une époque où l'on faisait dire aux urnes et aux dossiers ce que l'on voulait. Chakib Khelil a été visé, surtout, pour sa proximité du président et ce qu'il représentait, peut-être, à leurs yeux, comme influences américaines. Ironie du sort, c'est grâce à l'effet Chakib donc que la lune de miel Présidence-DRS a été interrompue. L'Algérie a tourné « théoriquement» une page des plus obscures de l'histoire de l'arbitraire sécuritaire; mais pour aller où ? A-t-elle changé pour autant ? Je ne le pense pas!

Certains croient qu'au tout début de ses mandats déjà, le président Bouteflika n'a cessé de lancer des signaux subliminaux qui n'ont pas été bien captés. Et que maintenant et à travers Amar Saidani, le signal amplifié est clair. En finir avec l'ancienne configuration du système, de ses produits et de ses résidus. La»désécuritisation» des champs politique, judiciaire et économique, avec plus de droits civiques et un rééquilibrage de l'Algérie seront-ils les dernières retouches de finition de la fin de l'ère Bouteflika, une sorte de cadeau d'adieu que celui-ci lègue aux Algériens ? Cet homme qui n'a désormais rien à espérer du pouvoir.

Les frustrés par la géographie disent qu'avant même Bouteflika et bien qu'elle n'affichait pas la couleur du régionalisme et de l'ethnicisme, l'Algérie en sentait l'odeur. Le développement du pays a toujours été détourné par cette approche qui a voulu s'accaparer, selon eux, le sécuritaire, le politique, l'économique, le culturel et même l'historique dans ce pays. Pour eux, le président Bouteflika a hérité d'une Algérie régionalement et ethniquement polarisée. Ce n'est donc pas lui qui en avait déposé le copyright, ce qui est vrai!

L'idée d'une Algérie qui devait commander et une autre qui devait se soumettre, une Algérie utile qui devait se développer et l'autre qui devait en payer le prix plaisait tant, disent-ils. En plus, le tort fait aux Algériens, principalement, à cause du terrorisme religieux et corollairement à cause de l'arbitraire sécuritaire est sans commune mesure avec les erreurs «civiles « imputées à l'ère Bouteflika et auxquelles presque tout le monde avait contribué d'ailleurs. Les frustrés par l'histoire font, quant à eux, un constat contraire. Le chevronné ministre des affaires étrangères qu'il fut dominait le président qu'il aurait dû être. La politique étrangère primait donc sur l'intérieure et permit sa maîtrise. Ils voient l'Algérie sous Bouteflika prise dans les filets dérivants de la prédation économique et la perversion politique. Il ne faut pas avoir honte de le dire ! Directement ou par leur silence, le FLN et le RND ont cautionné tous les deux de bien mauvaises politiques du régime. Vus de l'extérieur, ces deux partis semblent être soudés autour du président et de son programme. Bien que certains pensent que le soutien du FLN au président soit d'ordre stratégique, celui du RND n'est que tactique.

Le sevrage politique du pouvoir de l'époque au FLN et à ses influences était tout bonnement impossible. Même le RND créé en 1997, avec sa nouvelle légitimité et aux discours proches à ceux du FLN, ne pouvait l'assurer. À mon avis Amar Saïdani reflète la politique générale de l'État sous Bouteflika, président du FLN et celui qui prétend le contraire se trompe !

Souviendrions-nous alors de la période Bouteflika comme celle d'un politicien hors pair qui a pacifié le pays et nous a fait libérer du tout sécuritaire et de son arbitraire, «dirleh dossi !» celui qui nous a rendu justice ? Ou au contraire, un président qui a su maîtriser l'intérieur par l'extérieur, a tout fait pour sauver ses hommes et qui, finalement, n'a fait que remplacer le verrou par le cadenas et revêtir la main de fer par des gants de velours? Comme disent ses détracteurs.