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Laïcité et liberté de penser, les bases occultées par les «experts» de l'économie

par Sid Lakhdar Boumédiene*

Hier, les économistes algériens tentaient de nous convaincre que la démocratie était le pouvoir d'achat garanti par la politique gouvernementale. Aujourd'hui, ils font peur à la jeunesse algérienne avec leurs annonces morbides. Jamais je ne les ai entendu dire la vraie parole de l'expertise, celle qui affirme que l'économie est d'abord le rêve et l'ambition des hommes dans le libre choix de leurs destins comme de leurs croyances.

Les économistes et autres intellectuels sont en droit de manier les théories, les chiffres et les prévisions, c'est même leur rôle universitaire. Mais lorsqu'ils s'aventurent au-delà de l'exercice purement universitaire, ils entrent dans un autre domaine qui est celui de la communication. Plus encore, lorsqu'ils donnent leur avis ou proposent une suggestion politique, alors ils se placent dans un champ de citoyenneté où leurs titres ne peuvent se prévaloir ni de la supériorité (surtout qu'ils se trompent le plus souvent) ni d'une immunité qui les protégerait de la critique1.

Or, la plupart des «savants» qui s'épanchent dans la presse ont oublié de rappeler ce qu'est la science économique et son exigence essentielle. Ou plutôt, ils n'osent le dire, car c'est prendre un risque. C'est pourtant trop facile de sortir des contraintes de l'université, de s'approprier le champ public, sans en prendre les risques du débat démocratique. La vérité économique sur l'Algérie n'est pas du tout exclusivement matérielle et financière, comme ils le prétendent. Ils ont oublié l'essentiel de ce qu'est la richesse économique et on ne peut les en féliciter.

Au lieu de dire cette vérité qu'il leur incombe de dire, ils se parlent à eux-mêmes et attendent qu'on leur exprime notre admiration pour leur savoir académique. Je les accuse de ne jamais avoir mis en avant la condition essentielle d'une renaissance économique algérienne. Cette condition est unique, c'est la liberté, et nous allons en rappeler ses deux variantes pour le cas algérien2.

L'économie, c'est le rêve de l'homme libre

L'économie est tout simplement une anticipation de la confiance en l'avenir qui se nourrit de l'acharnement des hommes à rêver leur futur et à s'en donner tous les moyens pour y parvenir. Ces moyens sont avant tout ceux qui résultent dans leur capacité à refuser tous les enfermements de l'esprit. Et le premier de ces enfermements est celui d'un régime politique militaire, népotique, obscurantiste et corrompu. A aucun moment, je n'ai lu ces «experts»3 (puisqu'ils se disent l'être dans leur signature) nous dire qu'il était illusoire de penser qu'une dictature était conciliable avec la croissance économique, pérenne et équitable. Jamais je n'ai lu un seul mot dénonçant l'impasse économique et nous prévenir que seule la liberté était le carburant de la croissance et que sans elle, c'est le néant, même à deux cents dollars le baril.

Que les jeunes Algériens ouvrent les fenêtres et laissent libre cours à leur profonde sensation de ce qui fait d'eux des êtres pensants. La chute des prix du pétrole et l'angoisse actuelle ne sont pas à prendre à la légère mais rien ne doit faire peur lorsqu'on a des rêves plein la tête et une formation solide. L'économie, ce sont les hommes qui la font à la dimension de leur vouloir. Le bouleversement mondial et la nouvelle économie, dans les énergies, les communications et les modes de production donnent toutes ses chances à une jeunesse algérienne qui n'aurait pas au pied le boulet que nous avons porté avec ce régime politique immonde. Mais il est un autre boulet, autrement plus solide, qui les leste et les tétanise. Il est temps de s'en préoccuper sérieusement.

Le tout puissant, c'est avant tout l'être humain

Il n'y a aucune société au monde qui a vu réussir les principes religieux lorsqu'ils s'érigent en dogme d'État et en perspective sociale d'obscurantisme collectif et de menaces. L'histoire ne valide pas ce choix et ne le validera jamais, même au prix du sang répandu, puisque c'est la seule nourriture de l'esprit que certains connaissent.

La religion est en principe la plus belle des choses car elle intègre dans ses dogmes toutes les valeurs qu'un laïc signerait des deux mains. Elle n'est ni plus ni moins l'explication du monde lorsque celui-ci nous échappe et nous fait peur. Le laïc lui préfère la science et l'obstination de parvenir à une explication rationnelle mais la croyance est légitime pour les plus sceptiques ou les moins armés pour le combat de la raison.

La religion a institué également des règles morales qui ont, c'est tout à fait exact, permis aux hommes de s'imposer la vie commune sans comportement destructif et animal. C'est paradoxal avec les millions de morts causés par les religions mais, d'une manière générale, après les drames, les préceptes moraux des religions ont été historiquement intégrés dans le comportement sociétal des êtres humains et de leurs règles de droit.

Aucun laïc ne renie l'aspect positif d'une religion (pour ceux qui adhèrent à une croyance) si elle revient à ce que j'ai compris d'elle, soit un appel à la tolérance, au partage et à la recherche de ce qu'il y a de meilleur dans l'Homme. Hélas, nous n'avons pas eu les mêmes lectures ou l'interprétation de ces lectures car je ne vois vraiment pas où se trouvent ces valeurs chez mes contemporains qui réclament que la religion soit le socle social de notre civilisation.

Une fois pour toute, l'Algérie doit revenir à l'appropriation individuelle des croyances, cesser de les ériger en communion nationale et surtout, en principes constitutionnels. L'économie n'est pas compatible avec la crainte, la soumission aux forces occultes et à une poignée d'individus qui veulent abrutir et dominer les autres.

Tous les pays qui n'ont pas mis un terme à cette dictature de l'esprit sont dans l'impasse. Il faut libérer les esprits et les cœurs et laisser la jeunesse algérienne vivre sa vie et ses rêves. Qu'ils croient à ce qu'ils veulent mais qu'ils croient dans l'intimité de leur pensée. Et s'ils devaient le faire, je les supplie de revenir à la bonne interprétation de ce qu'est l'objectif d'une religion, le moyen d'expliquer son monde et d'en faire un lieu de prospérité, d'amour et de solidarité.

Quant aux «experts» (puisqu'ils se dénomment ainsi, sans peur du ridicule), qu'ils se taisent et digèrent la honte de ne pas avoir expliqué l'économie dans sa base première. Et cette base, c'est la synergie des capitaux avec les forces humaines, mais un être humain libre de ses actes et de ses croyances ; surtout ne pas oublier cette fin de phrase, car cela change du tout au tout.

La corruption, l'obscurantisme religieux, la dictature militaire et l'enfermement des femmes, lorsque tout a été tenté et a échoué, les hommes de raison n'ont qu'un seul chemin à prendre pour retrouver la lumière. Ce chemin unique est la liberté de penser et d'agir. L'économie est une science humaine, nos experts l'ont oublié.

*Enseignant

Notes

1Un article de presse n'est pas une publication scientifique. Non pas qu'il soit de mauvaise qualité, bien au contraire, mais il exempte les «experts» à un exercice autrement plus contraignant et moins «visible» pour la mise en lumière médiatique. Au final, cela demande de la modestie et de l'humilité.

2Précaution a bien été prise de ne cibler que les économistes qui n'ont jamais eu d'autre ambition que la leur, avec des signatures aussi longues que trois fois le bras. Les autres, plus modestes et trop silencieux sont certainement majoritaires.

3Signature qui n'est du point de vue sémantique, ni une compétence, ni un diplôme et encore moins un signe de modestie.