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Un baccalauréat et une université en quête de crédibilité: Arrêtons de mettre la charrue avant les bœufs

par Hakem Bachir *

Le baccalauréat algérien est un des examens des plus longs et des plus complexes dans son déroulement, sa conception et sa correction dans le monde. C'est le baccalauréat qui mobilise le plus d'enseignants, surveillants, autorité et inspecteurs dans le monde donc l'un des budgets les plus énormes de la planète.

Tout d'abord, nous devons nous féliciter de sa crédibilité du point de vue mobilisation. Mais malgré tout cet effort, cet examen, devenu très complexe aussi bien pour les candidats que pour les parents ainsi que le gouvernement tout entier, est toujours en quête de véritable crédibilité. Nous avons fait du baccalauréat une affaire d'Etat sans tenir compte de la vraie finalité de cet examen qui n'est en réalité qu'un passeport pour avoir droit à faire des études supérieures.

Car on n'a pas pensé qu'aujourd'hui, le médiocre ou le moyen ne peut faire des études supérieures longues de qualité et que le baccalauréat ne doit plus être suffisant pour avoir droit à l'entrée à toutes les spécialités universitaires. Partout dans le monde moderne, on cherche plus à atteindre la qualité des diplômés dans certains domaines bien précis afin de propulser le pays vers le développement et le modernisme, alors que la quantité est recherchée au niveau des techniciens qualifiés qui sont devenus une richesse pour un pays.

Aujourd'hui dans le monde moderne, l'homme est devenu une richesse plus importante que le pétrole ou autres éléments connus à l'exportation. Des sociétés de pays comme la Chine, l'Espagne, la Turquie, la France, les Etats-Unis? sont devenues de grands exportateurs de main-d'œuvre qualifiée vu la rareté de celle-ci dans les pays en voie de développement, et de là, cela a rapporté à ces Etats de grands revenus de devises plus importants que ceux du pétrole considéré comme première richesse mondiale. C'est pourquoi, l'erreur commise par le démantèlement des lycées techniques que, grâce à eux, nous possédions une importante suffisance d'ouvriers qualifiés et qu'à partir de là, au lieu de les développer et de programmer des baccalauréats professionnels à tous les niveaux même agricoles, l'Etat décida la suppression de ces établissements et augmenta notre dépendance d'ouvriers qualifiés qu'on importe maintenant des grandes sociétés de Chine, d'Espagne, de Turquie, de France et des Etats-Unis?, et cela à cause de la politique de réforme de l'éducation dictée par les multinationales. Une nouvelle colonisation moderne et à moindres coûts est née sans faire de bruit.

Aujourd'hui, le baccalauréat doit ouvrir droit aux conditions permettant aux candidats de se présenter à un concours écrit d'entrée à certaines spécialités ou à certaines écoles. Aujourd'hui, il n'est pas normal de permettre à un bachelier avec une moyenne de 13 au baccalauréat, 10 en math et 10 en physique, de faire Sciences exactes et d'abandonner au bout de quelques années ses études ou de chercher à avoir un meilleur baccalauréat.

Je suis surpris de voir des Algériens avec plus de trois baccalauréats dans la même spécialité sans que l'Etat n'intervienne pour arrêter cela, car c'est l'un des points qui a touché à la crédibilité de cet examen.

Donc, avant de penser à toute réforme du baccalauréat, posons-nous la question est-ce que le niveau actuel du bachelier lui permet de faire des études supérieures avec un taux de réussite élevé pendant son futur cursus universitaire en Algérie et qu'appelle-t-on la démocratisation de l'éducation ? Donc, au lieu de faire du bricolage, commençons par purger tous les maux présents dans l'éducation tels que celui du manque d'infrastructures, formation des travailleurs de l'éducation à tous les niveaux, multiplier le nombre de centres de formations dans toutes les régions et communes du pays, lutter contre la violence aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des établissements scolaires?, bref, investir dans l'homme. A partir de là, on pourra mettre des barrières pour toutes les études supérieures car seule la compétence des bacheliers peut leur ouvrir le chemin de longues études de qualité et ainsi alléger l'université car 50% des étudiants qui ont opté pour des études supérieures longues échouent. Une fois avoir répondu à cette question, nous pouvons penser à réformer le baccalauréat, donc, trouvons d'abord les solutions qui permettront d'assurer au bachelier son succès pendant son cursus universitaire car il est temps de différencier le long cursus pour les meilleurs bacheliers et le cours pour les bacheliers moyens.

La décision de réformer totalement et rapidement le baccalauréat dès l'année 2016-2017 montre, encore une fois, la continuation du bricolage des réformes. Nous passons de ministre en ministre sans voir de véritable changement, c'est toujours la même musique et nous continuons à importer les réformes des autres pays qui ne sont pas adaptées à la réalité algérienne.

Maintenant, supposons que le cursus supérieur du bachelier soit assuré avec un taux de réussite élevé. Nous pouvons, dans ce cas, analyser le baccalauréat et l'améliorer. Mais aucune analyse constructive algérienne jusqu'à ce jour n'a été faite malgré tous les changements observés. Personnellement, je suis le fruit de trois écoles différentes du monde. Et celle que je maîtrise le plus est l'école algérienne.

Je vais parler du baccalauréat algérien. Avant la décennie noire, l'école formait en ce moment des bacheliers qui étaient capables de faire un cursus dans n'importe quelle université mondiale avec un taux de réussite avoisinant les 100%. Mais l'école n'était pas politisée, mais avec la venue du multipartisme qui, au lieu d'ouvrir l'école vers d'autres horizons fructueux lui permettant de progresser, celle-ci fut victime des tiraillements politiques médiocres et mesquins.

L'Etat a délaissé l'éducation et a remis en cause aussi bien la crédibilité de l'enseignant que l'école elle-même en permettant la création d'école privée sans aucune valeur éducative ni pédagogique et a appauvri l'éducateur. La réforme du secondaire a d'abord commencé par arabiser toutes les matières, même les matières scientifiques, à 100. Alors que dans d'autres pays, on a essayé d'arabiser les matières scientifiques tout en conservant les symboles, mais comme nous sommes les plus forts, on a tout arabisé et chassé de la scène éducative certaines lumières qui quittèrent aussi bien l'enseignement que le pays. Là commença le déclin dans l'enseignement des matières scientifiques car la décision fut politique sans aucune étude de la particularité algérienne, notre politique d'enseignement versa vers les pays arabes anglo-saxons, puisqu'on importa un grand nombre d'enseignants égyptiens ou irakiens ou syriens et souvent sans aucun niveau pour parer au départ des enseignants algériens compétents incapables d'enseigner en arabe. Donc, cette arabisation brutale, mal préparée, fit des dégâts au niveau des élèves et des enseignants algériens restés pour relever le défi et victimes d'une décision politique irréfléchie. Les dégâts furent plus grands pour le bachelier scientifique qui, après douze ans d'étude des matières scientifiques en arabe, devait suivre les cours de ces matières en français à l'université. Le premier bilan est que l'Algérien aujourd'hui ne maîtrise ni l'arabe ni le français. Puis vint la création de la branche science islamique, là aussi, la décision fut politique sans aucune étude ni analyse; les résultats ne furent pas si catastrophiques mais vu que l'orientation à cette branche obéissait à des critères discriminatoires ainsi qu'une peur de sa répercussion dans l'avenir politique et la montée de l'extrémisme, les responsables la supprimèrent et instaurèrent la matière science islamique à tous les niveaux, là aussi, sans tenir compte que cela augmentera le nombre de matières enseignées et surchargera l'élève dans ses études.

L'improvisation et le bricolage dans l'enseignement en Algérie sont des phénomènes courants et les enfants cobayes sont là pour assumer car aucune planification ni bilan ne sont faits, tout est signé par simple décision sur propositions de conseillers politiciens et sans aucune étude.

Donc, le problème de l'éducation est beaucoup plus un problème politique. Les responsables continueront leur folie dans les années 2000 par des décisions sans analyse qui augmentèrent encore plus l'échec de l'enseignement et l'enseignant est le bouc émissaire de la faillite de leur politique éducative. Ayant appauvri l'enseignant, celui-ci se rebella en 2003 pour améliorer sa situation sociale. Mais entre-temps, les responsables, profitant de l'occupation des enseignants à défendre leurs droits, installèrent une série de nouvelles réformes telles que le démantèlement des lycées techniques, l'instauration d'un seuil des programmes, le choix des sujets, un baccalauréat en 5 jours et des copies d'élèves qui circulent de wilaya en wilaya pour être regroupées après plus de 10 jours de correction dans un centre dit de regroupage de copies. Le résultat ne se fit pas attendre, un baccalauréat au rabais, aucune transparence dans les résultats, des barèmes de correction superflus pour booster le taux de réussite, une tricherie à grande échelle non contrôlée et certains bacheliers sans aucun niveau faisant des études supérieures et aujourd'hui cadres dans la société.

Le budget alloué à cet examen est énorme et peut être divisé par deux si on revenait au système qui a donné de meilleurs résultats avec plus de transparence. Quel intérêt de faire voyager plus de 800.000 copies à travers les wilayas au lieu de les corriger dans la wilaya d'origine ? Quel intérêt de donner aux élèves deux sujets dans certaines matières sinon les perturber ? Quel intérêt de faire un baccalauréat en 5 jours, éreintant pour l'élève, l'enseignant et surtout anti-pédagogique alors que d'autres solutions sont possibles comme espacer les épreuves sur deux ans permettant de diminuer le nombre de matières la deuxième année ? Quel intérêt de n'enseigner que 80% du programme pour les bacheliers et cela pour différentes raisons ? Quel intérêt d'avoir des classes de 40 élèves alors que seuls 50% des élèves ont le niveau et peuvent suivre ? Quel intérêt de démanteler l'enseignement et les lycées techniques ? Quel intérêt de recruter de nouveaux enseignants en refusant d'utiliser ceux qui ont enseigné et qui continuent d'enseigner sous contrat chaque année sans pouvoir les intégrer ?

Pourquoi n'a-t-on pas de baccalauréat professionnel comme les autres pays ? Pourquoi ne pas créer un baccalauréat en agronomie ? Pourquoi ne pas créer un baccalauréat en hôtellerie ?...

Donc, chez nous, on avance la charrue avant les bœufs et ce n'est qu'après un certain temps qu'on se rende compte qu'il faut mettre les bœufs avant la charrue.

Pour le baccalauréat en 5 jours, tout le monde est d'accord qu'il est venu le temps de le réformer mais avant, il est urgent de corriger les erreurs du passé et voir ce qui est juste pour les générations à venir.

* Professeur de mathématiques au lycée Colonel Lotfi d'Oran