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Oran : Histoire et légendes

par Rahal Redouane*

Comme toutes les villes traditionnelles, Oran, de par sa formation et son évolution à travers les âges, est à la fois histoire et culture.

C'est sa transformation historique, rapportée avec brio par Mme Rabéa Moussaoui dans son ouvrage Oran : Histoire et légendes, parce que solide, authentique et enrichissant, grâce à son argumentation développée. Sa lecture révèle qu'Oran a évolué progressivement par étapes sans jamais renier les fondamentaux de sa naissance, à savoir la solidarité et un vouloir vivre ensemble de ses habitants disparates dans une grande tolérance les uns par rapport aux autres, d'abord par ses premiers habitants locaux et ensuite grâce à l'apport des Andalous expulsés d'Espagne, à la suite de l'Inquisition à partir de 1509. Ces Andalous vont s'intégrer progressivement dans la ville en s'alliant à ses habitants dans une symbiose qui fait d'eux des Oranais andalous plus qu'Andalous d'Oran. Cette osmose démographique s'effectue dans une continuité spatiale et temporelle, évolutive mais durable sans jamais rendre le site méconnaissable par rapport à son origine et à son passé, c'est-à-dire avant tout dans un cadre islamique. Si une de ses plages connue encore sous l'appellation «Les Andalouses», Oran reste enserré entre la mer et les montagnes environnantes. Sa configuration tournée vers la mer avec son appendice de Mers el-kébir en fait un lieu de négoce, de transit et surtout d'échange commercial et culturel. Cette situation stratégique, méditerranéenne, a fait que l'Espagne l'a toujours convoité et même occupé pendant deux siècles mais toujours rebelle, résiste à l'envahisseur et ne s'avoue jamais vaincu ou abandonné par le pays dont il est partie intégrante au même titre que Bougie, Ténès ou Annaba.

Sa libération du joug espagnol en 1792 fut le résultat de l'union de tous ses habitants et du concours des autres régions mues par la solidarité islamique et nationale. Longtemps avant sa délivrance, Oranais et autres compatriotes se considéraient blessés et humiliés par cette présence étrangère qui rappelle le temps des croisades présentes à l'époque encore dans la mémoire collective. Le passage ou la présence permanente d'étrangers, pacifiques, en son sein permettent à la ville d'évoluer dans la grande durée grâce à ses habitants qui espéraient vivre avec leur temps parce que par la mer se réalise le brassage des cultures?

Ses mosquées, ses bains, ses cimetières, ses places, lieux de rassemblement pour meddahs et palabres mais aussi d'échanges d'idées colportées par les voyageurs à destination de l'Orient ou des pays africains. C'est cet échange qui est la base de légendes et d'imagination qui s'amplifient avec le temps parce qu'ils sont à la fois résistance et culture. Ville islamique à sa naissance que le temps lui a montré la vanité dans la grandeur, Oran est aussi ville méditerranéenne qui donne et reçoit à la fois. C'est ce qui fait son originalité en s'auto-construisant par l'architecture en conformité avec le souvenir de son passé toujours vivant. Dans ce cadre, chaque rue, chaque lieu, chaque habitation, voire chaque pierre, place, souk, hammam ou médersa ont leur histoire propre que l'imagination humaine transforme en légendes pour donner plus d'ampleur et d'authenticité à leur existence. L'ouvrage de Mme Rabéa Moussaoui, écrit dans un style aéré et limpide qui incite à sa lecture sans interruption, est en vérité une méditation sur la philosophie de l'histoire d'Oran qui a su rester debout malgré les vicissitudes du temps. C'est ce passé glorieux qui imprime à Oran, à travers son architecture, son histoire sociale culturelle et cultuelle mais aussi politique à la fois par ce que des faits ponctuels se transforment avec le temps en mythes et légendes.

Merci à Mme Moussaoui Rabéa pour cette monographie érudite mais vivante qui restera plus que jamais une référence dans l'écriture de l'Histoire nationale, d'où la nécessité de préserver ce patrimoine riche reflétant l'âme et l'esprit du peuple.

*Avocat à la cour