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La ministre de l'Education nationale, Nouria Benghabrit Remaoun, au « Le Quotidien d'Oran »: Les nouveaux programmes, la formation des enseignants et la violence

par Interview Réalisée Par Ghania Oukazi

«J'ai un tel respect pour le secteur que parfois, avec mon métier de chercheur, je me dis que je risque d'avoir une attitude critique qui ne valorise pas suffisamment les efforts qui sont fournis et qui mobilisent en permanence des équipes auxquelles je tiens à rendre un grand hommage. J'ai un très grand respect pour la liberté académique. » Voilà ce que nous a dit la ministre de l'Education nationale à la fin de cette interview dans laquelle elle explique les profonds changements que doit connaître l'école algérienne pour qu'elle puisse être performante.

Le Quotidien d'Oran : Le 5 mars dernier, vous annonciez de nouveaux programmes scolaires pour l'année 2016/2017. Qu'apportent-ils de nouveau pour les élèves ? Et qu'est-ce qui change fondamentalement par rapport à ce qui s'est toujours fait à l'école ?

Nouria Benghabrit Remaoun: Nous avons appelé le présent changement « programmes de 2ème génération » parce qu'ils font suite à une série d'évaluations. La première a eu lieu en 2014 et la seconde en 2015. Ce sont deux opérations massives de consultation de tous les acteurs. Dans le point qui a été fait dans ces deux conférences nationales, plus de 70% des recommandations l'ont été sur des questions pédagogiques. Cela signifie qu'il y a une préoccupation partagée par l'ensemble des acteurs pour l'amélioration des apprentissages de nos élèves. Evidemment, ce qui se dégage, en termes de représentations et même de ressenti, c'est l'insatisfaction générale. Le constat fait et qui justifie les changements au niveau des programmes, c'est que ces derniers ont été mis en œuvre entre 2003 et jusqu'à 2008, ont, en fait, été établis avant la loi sur la réforme. En effet, ces évaluations ont révélé un cloisonnement des différentes disciplines à travers les années et les cycles, avec une absence de coordination verticale et horizontale de ces matières et une foisonnante terminologie, différentes d'un domaine de savoir à un autre. La construction de ces programmes se basait essentiellement sur les compétences disciplinaires privilégiant la compilation des savoirs et leur mémorisation engendrant un stress permanent dans le milieu scolaire et celui des parents et où la notation est devenue un élément pervers menant à la triche et à la fraude. Ces évaluations s'inscrivent dans la logique de tout système éducatif, c'est-à-dire la nécessité d'opérer une halte, après la sortie de la première promotion des élèves de la réforme en 2015, pour déterminer les dysfonctionnements et apporter les correctifs appropriés selon le nouveau contexte social, économique et culturel. La réflexion menée en 2000, afin de rattraper les retards accumulés dans les années 1980/1990, a mis en place de nouveaux dispositifs de rénovations pédagogiques, dans le prolongement des travaux de la Commission nationale de la réforme du système éducatif, installé par le président de la République. Il fallait parer au plus pressé en concevant 206 programmes scolaires et 206 documents d'accompagnement ; le tout adossé à un nombre presque équivalent de manuels scolaires, de guides de l'enseignant et des cahiers d'activités pour les élèves. La rénovation a été lancée en même temps pour les trois cycles, primaire, moyen et secondaire. Tout a été réalisé en 5 ans, c'est-à-dire entre 2003 et 2007. Un travail titanesque, réalisé dans l'urgence ! Les documents cités ont été conçus effectivement, selon les objectifs de la réforme tels qu'ils ont été établis par la CNRSE. Ils restent, toutefois, qu'ils ont été réalisés avant la loi d'orientation de l'éducation nationale (2008) qui, elle, balise de manière réglementaire et institutionnelle le sens dans lequel nous devons aller. La commission nationale des programmes a réalisé ce travail titanesque, il est reconnu comme tel par des experts nationaux et étrangers, au regard du temps qui lui a été assigné. Après les livraisons qui ont été faites et les évaluations qui ont été réalisées, y compris par les 200 concepteurs des programmes (la dernière l'a été en 2007), ces programmes sont en cours de révision sur la base d'un référentiel général et d'un guide méthodologique des programmes et curricula, servant de cadrage pour la mise en œuvre de la loi d'orientation sur l'éducation 04/08. Ce référentiel est constitué, au moins, de trois dimensions, celle des savoirs ou connaissances, celle des habilités intellectuelles de haut niveau et, enfin, et surtout, celle des valeurs et comportements, qui était quasiment absente des précédents.

La commission a eu le temps nécessaire de produire ce document à partir duquel les groupes spécialisés de disciplines, donc par matière, se sont investis dans les changements et la révision des contenus des programmes. C'est ce qui a été fait et a pris énormément de temps. Le 2ème élément qui posait problème dans la période précédente, c'est qu'entre 2003 et 2007, la mise en place des programmes de la réforme a été lancée, dans l'urgence que nous connaissions, sans que cela n'ait pu être accompagné par une grande opération de formation, constituant un grand décalage entre le mode de comportement pédagogique dominant et celui projeté dans les nouveaux programmes. L'introduction d'une démarche curriculaire, approche globale et systémique, basée sur la construction des profils de sortie par palier, par cycle et par année dont l'essentiel repose sur une coordination très étroite entre les matières et une unification de la terminologie est la réponse aux dysfonctionnements des programmes appelés « 1ère génération ». Aujourd'hui, ce cadre méthodologique est mis en place et les programmes sont élaborés, avec un « capital expérience » collectif national très intéressant. Nous avons donc hiérarchisé et priorisé l'enseignement fondamental à travers les deux entrées, première et deuxième année primaire, constituant un palier avec le préparatoire ; la première année moyenne pour le deuxième cycle. La formation est en train de se mener maintenant sur ces nouveaux programmes pour la rentrée prochaine 2016/2017 et qui concerne, en priorité, les inspecteurs et les enseignants de 1ère et 2ème année primaire ainsi que la 1ère année moyenne.

Q.O.: Concrètement, dès la prochaine rentrée scolaire qu'est-ce l'élève va trouver de changer dans les programmes ?

N.R.B.: En première et deuxième année primaire, c'est un changement radical. Nous allons mettre en place un livre unique pour les disciplines scientifiques et mathématiques et un autre pour les disciplines langue arabe et sociales avec une approche transversale entre les disciplines est mise en œuvre. Exemple, s'il y a un objectif à atteindre, ce dernier est pris en charge aussi bien en langue arabe, qu'en éducation civique, qu'en éducation islamique. Des extrapolations peuvent aller bien sûr en mathématiques et en sciences. Les programmes, comme partout dans le monde, mettent les contenus disciplinaires au service de thèmes à caractère sociétal général : éducation à la santé, éducation à la citoyenneté, au développement durable, aux médias. L'intérêt de cette démarche est dans la réduction de l'éparpillement en matière de formation et en matière d'acquisition d'un certain nombre de savoirs, éparpillement qui ne travaille pas l'objectif final qui est la compétence générale, intellectuelle, méthodologique, de communication? qu'on veut atteindre. Par exemple, permettre à l'élève de prendre la parole, de s'exprimer, de verbaliser son appropriation du monde : résumer, analyser, imaginer, extrapoler, déduire, induire, critiquer, narrer, etc.

La différence par rapport aux programmes de première génération, cette fois-ci, la commission nationale des programmes cherche à identifier des savoirs, savoir-faire et les savoir-être précis, c'est-à-dire un ensemble de compétences qu'un élève de 16 ans, terminant et sortant de l'enseignement obligatoire, doit avoir. Il y a alors un croisement entre ce niveau et une vision de la compétence finale à atteindre qui, elle, a été déclinée au fur et à mesure qu'on avance dans le cursus scolaire. Cela veut dire qu'un élève qui n'a pas acquis les éléments nécessaires au niveau de la première et deuxième année primaire : savoir lire, écrire et compter, comment voulez-vous qu'il puisse dans le 2ème cycle être disponible pour d'autres apprentissages ? Cette approche facilite la vie aux enseignants. Au niveau du primaire, qui a un enseignant unique, la démarche est facilitée pour une approche intégrée et interdisciplinaire de l'acte pédagogique. Les enseignants se plaignent qu'ils n'arrivent jamais à terminer les programmes, mais est-il que le problème n'est pas le programme mais ce qu'on veut obtenir comme résultats. Or, aujourd'hui, dans les pratiques pédagogiques de classe, c'est le manuel scolaire qui constitue le référent essentiel pour l'enseignant. Le manuel est un document homologué, mais il reste fondamentalement un support pédagogique. Par contre, le programme est officiel parce qu'il définit tout ce que l'apprenant doit maîtriser en termes de connaissances et réinvestir dans la vie, lorsqu'on déclenche les opérations d'apprentissage et de formation.

Il y a beaucoup d'experts aussi bien du secteur universitaire que celui de l'éducation qui travaillent dans les groupes disciplinaires spécialisés, chargés de l'élaboration des programmes, et dans la commission nationale des programmes. Je tiens à le répéter, parce que des modalités réelles du travail éducatif n'apparaissent pas beaucoup au-devant de la scène. Tout en répondant à l'urgence, ils ont eu le temps de faire l'approche critique de l'étape précédente, en faisant en même temps des montages qui permettent d'être en symbiose avec ce qui se fait de par le monde. La nouveauté pour la 1ère et la 2ème année primaire, c'est qu'effectivement, il y a des matières à propos desquelles il y a eu énormément de critiques sur leur lourdeur et l'approche éclatée, au niveau de la construction des apprentissages, qui n'aidaient ni l'enseignant, ni l'élève, ni les parents, à comprendre pourquoi toute cette accumulation qui transforme l'élève en machine à apprendre, à mémoriser et qu'il s'empresse d'oublier dès que la composition est terminée.

L'approche de type curriculaire dans laquelle est intégrée également la dimension de l'évaluation pédagogique est aussi une réponse aux problèmes du redoublement et du décrochage. L'évaluation devient effectivement intégrée aux apprentissages et ses corollaires : la remédiation immédiate et la remédiation différée constituent de véritables leviers de la réussite de chaque élève. Un nouveau programme sans une réforme du système d'évaluation ne peut aboutir aux résultats escomptés.

Q.O.: Est-ce qu'il a y eu une évaluation de l'échec de l'élève dans le cycle primaire ?

N.R.B.: Les éléments d'évaluation de l'échec au niveau du cycle primaire nous sont donnés par les chiffres. Une partie importante des élèves qui doivent faire 9 années de scolarité obligatoire, en mettent 13 années. Cela signifie qu'il y énormément de redoublement. Le redoublement est interdit en première année primaire, mais en 2ème année, il y a 20% d'enfants qui redoublent, ce qui est énorme. S'il y a redoublement, cela signifie que ce qui devait être acquis en première année ne l'a pas été. La démarche qu'on est en train de mener aujourd'hui et qui va pouvoir aider les enseignants, c'est l'analyse des copies d'examen. On a démarré avec celles de la 5ème année primaire et ce sont des millions d'erreurs que nous recueillons. Cette analyse à partir des réponses des élèves a commencé il y a près d'un an et nous allons en donner les résultats au mois de mai prochain. On travaille sur les erreurs récurrentes que font les élèves. Parce que pour améliorer l'apprentissage, il faut bien évidemment faire aussi de la remédiation. Les enfants ne sont pas équivalents en matière de prestations. Il faut donc travailler sur leurs déficits. On va avoir, à partir de la rentrée, une vision d'une démarche curriculaire et pas simplement de programme. Pour parler de compétence, il faut d'abord identifier les erreurs et élaborer tout un programme de remédiation. Il faut que l'enseignant sache quelles sont les difficultés que rencontre l'élève. Il y a un engouement incroyable des commissions qui sont en train de travailler sur le corpus des erreurs des élèves aux examens officiels. Dans plusieurs wilayas, on donne à l'inspecteur et aux enseignants un protocole (qui nous a pris beaucoup de temps pour le produire), permettant d'identifier les types d'erreurs et leurs récurrences. Tous les éléments descriptifs et analytiques, dans une seconde phase, qui sont répertoriés nous permettront au mois de mai, de situer les faiblesses dans les langages fondamentaux (mathématiques, langue arabe?).

Q.O.: L'évaluation de l'élève dans le primaire va se faire par quels moyens ?

N.R.B.: La dominante aujourd'hui, c'est une évaluation-sanction dont l'objectif est d'identifier les déficits. Ce qui est demandé au courant de l'année, précisément les premiers mois, c'est une évaluation formative, c'est-à-dire que la première évaluation doit être une évaluation diagnostic pour qu'on puisse savoir où se situent les lacunes de l'élève. A partir de ces lacunes, on construit une démarche, une progression, une feuille de route différenciée, pour opérer à l'échelle micro les régulations nécessaires : diminuer ou augmenter le rythme d'apprentissage sur telle ou telle leçon. Ensuite, l'évaluation se fera sur la base d'interrogations mais pas forcément chiffrées (notées). L'accès à la note interviendra à la fin des compositions trimestrielles. On sait que la note rassure aussi bien l'enseignant que les parents.

Q.O.: L'enseignant n'a-t-il pas le droit de faire des interrogations écrites à n'importe quel moment ?

N.R.B.: Oui, cela se fait dans le secondaire mais pas dans le primaire. Dans le secondaire, un enseignant a le droit de temps en temps de faire le point sur les apprentissages et sur les connaissances de ses élèves. L'objectif ne doit pas être la note mais le diagnostic du niveau des élèves pour que l'enseignant puisse réguler son action pédagogique. Seul l'enseignant dans sa classe est en mesure de savoir ce que réguler veut dire. Il peut avoir aujourd'hui, au même niveau, dans une même classe, des élèves extrêmement dynamiques dont le rythme d'apprentissage est plus rapide et d'autres. Il régulera alors son comportement et sa pratique de classe par rapport au niveau réel des élèves. Le ministère établit des répartitions des programmes disciplinaires mais c'est à l'enseignant dans sa classe, avec ses élèves, de réaliser la progression pédagogique qu'il juge opportune. Nous allons accompagner les enseignants dans la formation parce qu'ils ont été habitués à s'adresser à une moyenne d'élèves virtuelle pour des raisons d'équité, bien sûr. Une moyenne virtuelle qui n'existe pas parce que dans une classe. Il y a de bons, des moyens, de très bons élèves, mais aussi des élèves en position d'échec dans le processus d'apprentissage. Dans l'accompagnement qui est en train d'être fait, il est prévu de développer le tutorat entre élèves. Un élève qui a compris, peut aider l'enseignant dans la prise en charge pédagogique de la classe. On libère l'acte pédagogique, on le construit avec l'élève, on le co-construit avec les élèves?

Q.O.: Est-il possible d'instaurer un tel tutorat quand on sait qu'une grande partie des enseignants refusent d'avoir des élèves qui se mettent à leur niveau ou qui les reprennent sur certaines erreurs?

N.R.B.: Ce qui paraît comme étant une remise en cause des compétences de l'enseignant par les élèves, ce n'est pas uniquement au niveau du primaire, c'est à tous les niveaux, tous secteurs confondus. Ceci, parce qu'on était sur une formation construite uniquement sur les savoirs. Tandis qu'aujourd'hui, il suffit à l'élève de cliquer pour tout savoir sur un sujet précis. Dans les programmes que nous sommes en train de déployer, il y a des savoirs constitués, exemple la multiplication, il faut l'apprendre mais il y a de nouvelles techniques qu'on peut inclure pour le faire. Grâce au manuel scolaire qui est en train d'être refait pour la 1ère et la 2ème année primaire, les situations d'apprentissage présentées ont du sens pour l'enfant, l'intéressent et renouent avec son environnement, ses rêves et lui permettent de se sentir concerné. Nous développons cet aspect sur les programmes de l'éducation civique qui a été au même titre que d'autres disciplines, une matière à apprentissage, à mémoriser. La mairie (l'APC), par exemple, peut être visitée. Le lien entre l'école et son environnement, l'école et la réalité sociale doit être rétabli. Ce sont des liens de confiance qui doivent être construits entre l'élève et son quartier. L'élève peut faire une petite recherche sur le chahid dont le nom est donné à son quartier. L'orientation, c'est de ne plus être sur un enseignement adossé sur la mémorisation mais qui doit intégrer la dimension de la pratique en vue de développer un comportement social citoyen.

Q.O.: L'enseignant devra-t-il ainsi construire les premiers repères de l'élève ?

N.R.B.: Bien sûr ! C'est une obligation mais il ne doit pas rester sur des enseignements figés. La tâche est rude, les habitudes sont bien installées. Aujourd'hui, les élèves sont d'un niveau d'informations extrêmement important parce qu'ils zappent, ils regardent, ils écoutent. Le statut de l'élève est en train de changer, à la faveur d'un environnement de plus en plus interconnecté. Nous avons une jeunesse dynamique, pétillante, impatiente, et comment ! Si l'enseignant ne s'adapte pas à cet état de faits scientifiques et technologiques, tout en gardant bien sûr un socle de savoir, il aura des difficultés à donner le rythme pédagogique qu'il faut à sa classe. Il y a des inspecteurs qui adhèrent à cette conduite structurante. On sent que c'est une démarche de libération mais on a des protocoles, un accompagnement parce qu'il ne s'agit pas de faire n'importe quoi. On doit considérer alors, qu'il y a des démarches transversales dans l'enseignement/apprentissage, comme sur l'environnement ou la sécurité routière. Libérer l'enseignement par rapport au manuel homologué, c'est différencier entre ce manuel et le document de programme qui est complexe et intègre la vision d'ensemble qui permet à l'enseignant de se situer dans un cursus pour préparer un enfant à réussir. Cela mettra un terme à la routine.

Q.O.: Combien y a-t-il d'enseignants dans le secteur de l'Education ?

N.R.B.: 447.921 tous cycles confondus.

Q.O.: Est-ce que c'est l'ensemble des enseignants qui doit s'initier à cette pédagogie même s'il l'est depuis de longues années ?

N.R.B.: Quand on est dans l'enseignement, la formation doit être continue. En géographie, le nombre de planètes dans les manuels scolaires diffère de celui qui existe réellement aujourd'hui. Il y a un décalage. L'élève est parfois plus informé que l'enseignant. Soit on forme des robots avec une mémoire qui ressert ce qu'elle a appris, ou bien on veut préparer les générations à s'intégrer dans le monde présent et sa complexité. On travaille sur l'avenir. C'est la démarche la plus difficile, la plus complexe quand on sait qu'il y a des résistances. Mais je suis persuadée que des enseignants vont être libérés du poids de la routine, telle qu'elle était en matière de pédagogie, pour aller vers la proximité et créativité, qualités nécessaires en matière d'éducation, y compris dans le cadre des instructions pédagogiques officielles.

Q.O.: Quels sont les arguments des résistants ?

N.R.B.: Le nombre d'élèves est toujours le premier élément qu'on nous avance. Dans les études de par le monde, la question du nombre est secondaire. La moyenne chez nous est de 27, 28 jusqu'à 30 élèves par classe. On est à un peu plus que la norme internationale, pas celle du monde arabe parce que dans certains pays arabes, il y a près de 60 élèves par classe, donc, on est très bien positionnés. Les pays occidentaux en sont à 22,25 élèves par classe.

Q.O.: Pour l'atteindre, doit-on régler un problème de nombre d'enseignants ou de structures ?

N.R.B.: Il est à deux niveaux. L'Etat algérien n'a pas arrêté de construire des établissements et de recruter. Seulement, au moment où on commençait à avoir des chiffres d'élèves en classe en baisse, depuis 2000, une autre tendance jaillit. Le taux de natalité est reparti à la hausse.

Q.O.: Pourquoi ce taux a-t-il augmenté alors que la vie devient dure ?

N.R.B.: Ah non? Il y a beaucoup de facilitations et le logement est devenu largement accessible.

Q.O.: C'est la faute à l'Etat alors ?

N.R.B: (Rires). C'est la faute au bien-être ! Pendant la période du terrorisme, le taux de natalité a diminué. Aujourd'hui, la stabilité et le bien être rassurent.

Q.O.: Il y a beaucoup de familles qui ont été relogées dans de nouvelles cités. Est-ce qu'elles trouvent toujours l'école pour inscrire leurs enfants ?

N.R.B.: Aujourd'hui, on parle certes, d'habitat intégré, cela veut dire qu'il ne peut y avoir de nouveaux sites sans qu'il y ait les infrastructures publiques nécessaires. Mais il y a des familles qui ont été relogées dans des endroits qui ne sont pas nouveaux et où il y avait déjà l'école. Il est évident que cette école va connaître des surcharges pour une période. C'est particulièrement Alger Ouest et Alger Est. On essaie de récupérer des structures un peu partout sur le territoire national.

Q.O.: Vous faites comme le MDN qui a récupéré la faculté de droit de Ben-Aknoun et va récupérer celle des sciences sociales à Bouzaréah. Vous en avez «prêté» beaucoup ?

N.R.B.: On en a pratiquement dans tout le territoire. Chaque année, on en reprend 4 ou 5 établissements. Consigne a été donnée aujourd'hui, pas de wilaya sans un institut de formation continue. Je rends hommage aux walis qui donnent un très grand coup de main à cette opération. Je pense qu'il y a eu une prise de conscience collective sur cette nécessité absolue de devoir, de manière régulière, revisiter le niveau de connaissances et donner des éléments supplémentaires aux enseignants et à tout l'encadrement.

Q.O.: Si des APC ont pris des écoles pour en faire autre chose, c'est qu'elles en ont eu besoin. Vous pensez qu'elles ne feront pas de résistance pour vous les restituer ?

N.R.B.: De la résistance, pas de l'Etat mais des acteurs qui sont dans ces structures et qui ont pris des habitudes. Par exemple, un lycée a été transformé comme école préparatoire. La résistance à ce niveau n'émane pas du ministère mais de l'encadrement administratif et enseignant qui ont pris leurs marques. Pour déroger à des habitudes, c'est très compliquée.

Q.O.: L'arbitrage viendra d'où ?

N.R.B.: Du Premier ministère.

Q.O.: La formation continue des enseignants devra se faire de quelle manière ?

N.R.B.: Nous sommes entrain de demander aux inspecteurs de renouer avec les journées pédagogiques qui faisaient partie du fonctionnement ordinaire des établissements notamment le primaire. Il y a la formation continue dans les instituts. Une plate-forme de formation à distance est en cours de réalisation. Nous avons une excellente expérience avec l'ONEFD (Office national de l'enseignement et de la formation à distance) qui existe depuis des décennies et qui était polarisé sur les élèves. A ce niveau, des ressources multiples extrêmement importantes existent pour les élèves, non seulement des classes d'examen mais aussi pour ceux qui souhaitent continuer leurs études à travers l'ONEFD. On a une réunion dans la semaine, sur la plate-forme de formation à distance qui va nous permettre de toucher des enseignants dans la moindre petite localité, c'est-à-dire d'alterner, avec l'offre et les possibilités que nous avons avec les technologies de la communication et de l'information, le résidentiel et à distance. En mettant les deux en œuvre, on pourra sur une période qu'on n'espère pas très longue, renouer avec la problématique de la formation de l'ensemble des enseignants. Pour cette année, on a un programme national où, depuis septembre, on est de manière permanente et continue sur des actions de formation multiples, sur la remédiation, sur le pilotage de projets, sur la formation à la didactique des mathématiques au primaire, à la médiation, parce qu'on a la violence en milieu scolaire, les fléaux?

Q.O.: Qu'est-ce qu'il faut comme diplômes pour être enseignant ?

N.R.B : Depuis un certain nombre d'années, il faut avoir un niveau universitaire (licence, et/ou master selon le cycle). Nous considérons que le diplôme est effectivement la première condition mais la seconde pour l'avenir, c'est quand même de passer par une école normale de formation qui doit durer au minimum une année.

Q.O.: Pourquoi on en entend plus parler de ces écoles ?

N.R.B.: Il y en quatre nouvelles qui ont été ouvertes ces dernières par le biais de l'enseignement supérieur, à Béchar, Mostaganem... On est en train de travailler sur les programmes pour qu'ils puissent prendre en ligne de compte les nouvelles dimensions sur lesquelles nous insistons. Par exemple, la charte de l'éthique, pour nous, il est important qu'elle soit aussi enseignée aux futurs enseignants. Il doit avoir une symbiose entre un programme de formation et une réalité. Programme au niveau des ENS qui puisse correspondre aux évolutions et aux attentes du système éducatif. Le 2ème élément qui relève de la responsabilité de l'éducation, c'est celui d'identifier les chiffres des enseignants au niveau des écoles normales. L'ouverture de postes au niveau des écoles normales dépend des chiffres que nous avançons.

Q.O.: C'est vous qui envoyez le chiffre des enseignants à former ou c'est ouvert à ceux qui le souhaitent et vous recrutez ceux dont vous avez besoin ?

N.R.B.: Il y a un contrat avec ces écoles et celui qui y accède ; ce dernier est assuré d'avoir un poste au niveau de l'éducation nationale. Ce contrat fait référence à la moyenne du bac et de ceux qui potentiellement veulent faire une carrière d'enseignant. Moyenne qui est en hausse permanente, en concurrence avec les moyennes de médecine et architecture... La dynamique de valorisation du métier d'enseignant est perceptible dans le nombre de demandes d'inscription des bacheliers dans les ENS. Evidemment, c'est une affaire d'offre et de demande. Mais aujourd'hui nous voulons aller sur un autre registre, celui des compétences.

Q.O.: Est-ce que vous comptez permaniser les contractuels ?

N.R.B.: Permettez-moi, tout d'abord, d'amener des précisions. Il y a lieu de se poser la question : pourquoi le secteur de l'éducation nationale recrute-t-il, régulièrement, des licenciés dans le cadre de contrats à durée déterminée ? Cette possibilité accordée à l'éducation permet de répondre au souci de garantir la continuité des enseignements. Le droit à l'enseignement est un droit constitutionnel. Dans quels cas s'impose à nous le recrutement des contrats à durée déterminée ? Nous recourons à ce mode de recrutement afin de répondre, en urgence, à deux types de situations. Les absences de courte durée et les absences de longue durée (plus de 3 mois). Dans le 1er cas, nous parlons de suppléance qui intervient en cas de congé de maladie, de maternité? dans le 2ème, de contractualisation à laquelle il est fait recours en cas de démission, de décès, de détachement, de promotion? La majorité des cas de vacance concernent les grades de promotion notamment, les postes d'enseignant formateur et principal et comme vous n'êtes pas sans le savoir, le recrutement externe sur ces postes n'est pas possible du fait que l'accès à ces postes ne l'est que dans le cadre de promotions internes. Il y a également le fait qu'un grand nombre de personnels fait valoir son droit à la retraite proportionnelle après la rentrée scolaire et qu'un nombre important de candidats admis aux concours de recrutement, des femmes en majorité, n'a pas rejoint son poste d'affectation pour cause d'éloignement, lieu de travail en zones enclavées?Vous comprendrez, donc, bien qu'il y aura toujours des postes à pourvoir pour une durée déterminée dans le secteur de l'éducation nationale. Cependant, il est permis aux concernés de postuler pour des postes permanents chaque fois que le ministère de l'Education nationale organise des opérations de recrutement et il en organise régulièrement. Je tiens à rappeler que depuis mon arrivée nous avons déjà organisé deux opérations de recrutement dont la dernière en date a permis de recruter 19.262 enseignants.

Cela a permis à l'écrasante majorité des contractuels d'être confirmés suite à leur admission aux concours organisés. En avril de l'année en cours, une autre opération de recrutement, donc la 3ème depuis mon installation, aura lieu. Nous invitons les contractuels à candidater pour ce concours qui sera un concours sur épreuves. L'expérience accumulée par les contractuels leur permettra de répondre pertinemment aux épreuves du concours.

Q.O.: Mais les contractuels refusent de passer le concours. Vous comptez les avoir à l'usure ?

N.R.B.: Nous sommes confiants et nous savons que les contractuels sauront faire preuve de discernement et de sagesse. L'argumentaire que nous développerons c'est de dire que l'expérience qu'ils ont acquise dans l'enseignement va forcément se refléter dans les réponses qu'ils auront à formuler durant les épreuves écrites. En somme, je dirais aux contractuels ayez confiance en vous, en votre compétence.

Q.O.: Est-ce que vous avez un vivier de compétences qui peuvent suivre tout ce qui doit changer dans le système éducatif ?

N.R.B.: Oui, nous disposons d'un vivier de compétences mais le système, tel qu'il est construit, ne permet pas de rendre, toujours, visible ces compétences. Nous sommes en train d'améliorer notre capacité à identifier les meilleurs, parmi les enseignants, les inspecteurs? à ce sujet, permettez-moi de rappeler que nous organisons, chaque année, des journées dédiées aux enseignants innovants. D'ailleurs, le 6 février dernier, nous avons organisé des ateliers où les enseignants, les inspecteurs, les chefs d'établissements, voire les fonctionnaires des directions de l'éducation innovants ont pu s'exprimer et présenter leurs innovations dans le domaine des TICE, c'est-à-dire l'intégration des technologies dans les pratiques pédagogiques et administratives, et je peux vous dire que nous avons été agréablement surpris. Dès notre prise de fonction, nous nous sommes attelés à redonner du sens aux mesures d'amélioration du fonctionnement global du système. C'est ainsi que nous avons défini le cycle primaire comme terrain prioritaire, les chefs d'établissements et les inspecteurs comme population-cible et la formation comme mode d'action privilégié, une formation tout au long de la carrière. Nous sommes rentrés dans une dynamique et ces personnels sont les moteurs de cette dynamique. Les établissements sont porteurs de l'ambition et de la volonté de progrès du système éducatif. Ils sont le lieu où doivent naître et se développer l'innovation et le changement. Il y a sur le terrain un foisonnement de personnels d'encadrement mais il y a un émiettement de compétences et beaucoup de perte d'énergie. C'est l'une des raisons qui nous a amenés à installer, au niveau de toutes les wilayas, des collèges d'inspecteurs. Cet organe va permettre aux inspecteurs, toutes catégories confondues, de se réunir de manière régulière et de coordonner leur travail, pour l'intérêt suprême de l'apprenant. Nous considérons ce « collège inspectoral » comme étant le bras pédagogique du directeur de l'éducation (DE). Tout ce travail a nécessité une hiérarchisation des questions ; celle de la pédagogie a été mise au cœur de nos préoccupations. Avant, les questions socioprofessionnelles prenaient toutes les énergies parce qu'il y avait une accumulation de problèmes, certains individuels, d'autres collectifs au niveau local. Nous avons accompagné la réforme pédagogique d'une amélioration de la gouvernance. Nous avons fait un travail de proximité qui nous a permis de savoir où sont situés les dysfonctionnements.

Q.O.: Beaucoup d'enseignants frappent des élèves alors que la loi l'interdit. Quelles sont les instances de recours à part l'administration de l'établissement scolaire ?

N.R.B.: Nous avons pris très sérieusement en charge ce genre de problèmes. Le 14 octobre nous avons installé deux commissions mixtes (MEN- Syndicats- Parents) afin de proposer des mesures réalistes et opérationnelles de prise ne charge du phénomène de la violence en milieu scolaire et de celui des cours particuliers. Le 14/11/2015, c'est-à-dire un mois après leur installation, ces deux commissions ont présenté leurs conclusions. Les membres de ces deux commissions n'ont épargné aucun effort afin de réponde à une demande pressante de notre part, celle de remettre, dans les meilleurs délais, leurs propositions vu le caractère d'urgence qui caractérise ces deux dossiers. Le ministère de l'Education nationale, au regard de l'évolution de ces deux préoccupations et de l'importance médiatique qu'elles ont prise, a décidé de prendre le taureau par les cornes, tout en étant conscient de la nécessité de l'organisation d'actions synergiques. Pour ce qui est de la violence en milieu scolaire, le nombre d'articles de presse, de lettres de parents d'élèves et d'enseignants dénote le malaise dans lequel se trouve notre Ecole, aujourd'hui : la violence entre élèves, les enseignants contre les élèves, les élèves contre les enseignants, l'administration contre les enseignants et les élèves et vis-versa et, aujourd'hui, les parents contre l'administration, les enseignants et inversement. La violence est le résultat de différends, de conflits, d'oppositions qui sont, à notre sens, naturels, car faisant partie de la vie. Le problème c'est le mode de résolution de ces conflits ; et la violence semble être le mode dominant de résolution des conflits, aujourd'hui. Il y a urgence, pour nous, à ce qu'on puisse, au niveau de l'Ecole, œuvrer à trouver des alternatives à la violence avec une l'application rigoureuse de la réglementation et des formations à la médiation. Un programme de prise en charge de la violence en milieu scolaire est en train d'être élaboré. Il sera présenté très prochainement avec la signature d'une convention avec le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales (DGSN) et la Gendarmerie nationale. Ce programme va déterminer le protocole à exécuter et la démarche à suivre en cas de violence. Nous sommes dans l'obligation d'assurer la sécurité à tous les acteurs qui sont à l'intérieur de l'institution éducative et d'aller vers l'amélioration du climat de la vie scolaire ; aller à la prévention par la formation à la médiation, à l'opérationnalisation de la Charte d'éthique du secteur de l'éducation nationale.

Q.O.: Que va apporter de nouveau la convention que vous allez signer avec la DGSN et la GN ?

N.R.B.: Elle désignera la personne de référence responsable dans l'établissement en cas de violence. Elle identifiera, en clair, le premier responsable de l'information au cas où il faut dénoncer un acte de violence. Dans le commissariat du quartier, on saura à qui s'adresser. Elle tracera le circuit à suivre dans tous les cas de figure, drogue, violence contre les enfants?

Q.O.: Est-ce que la consommation de drogue est importante dans les écoles ?

N.R.B.: Ce problème nous interpelle car même si nous enregistrons un seul cas, c'est un cas de trop. Nous nous penchons sérieusement sur le problème qui fera l'objet d'étude de terrain. Avec l'Office de lutte contre la toxicomanie, des discussions sont en cours.

Q.O.: Des cas de pédophilie ?

N.R.B.: C'est très complexe et délicat mais quand nous sommes sollicités, nous agissons immédiatement. Aujourd'hui plus qu'hier, la parole est en train de se libérer, c'est de moins en moins un tabou.

Q.O.: Est-ce qu'il y a des psychologues dans les établissements scolaires ?

N.R.B.: Oui, dans les UDS (unités de dépistage et de suivi) qui couvrent un ensemble d'établissements. Il y a, également, le conseiller d'orientation, qui, par la guidance, le conseil, la prise en charge, essaie de résoudre les problèmes posés par les élèves. Mais la médiation manque. La résolution des problèmes ne se fait aujourd'hui que par des actes négatifs. Il y a lieu d'apprendre à négocier, à inculquer à l'élève le respect de l'autre, que l'élève qui se trouve en situation de conflit puisse la résoudre autrement que par la violence. La charte d'éthique du secteur de l'éducation va nous aider à reconstruire le règlement intérieur. Il faut que l'élève soit associé pour qu'il puisse préserver son école. Aujourd'hui, il y a beaucoup de dérives. Si l'enseignant ne peut pas maîtriser sa classe, il ne peut pas maîtriser les apprentissages. C'est la raison pour laquelle la compétence de maîtrise de classe est intégrée dans le cadre des formations que nous assurons. Ce qui est fondamental, c'est de créer une dynamique de remobilisation ; cette dynamique est en train de s'élargir. Il y a même des retraités qui se sont portés volontaires dans les actions de formation.

Q.O.: Est-ce que tout ce branle-bas de combat dans le secteur ne va compliquer la tâche aux élèves qui sont plus habitués à traîner les pieds ?

N.R.B.: Nos enfants travaillent mais travaillent mal. Peut-être parce que nos exigences, à nous, ne sont pas là où elles devraient être. Les élèves se mobilisent lorsque vous donnez du sens aux apprentissages. Dans un avenir proche, nous allons changer le format des examens nationaux. Il ne sera plus demandé au candidat de restituer quelque chose qui est contenue dans un ouvrage ou un cours. Au lieu d'avoir des sujets mobilisant uniquement les capacités de mémorisation, le candidat sera sollicité pour développer ses capacités de synthèse, de réflexion, d'imagination, à formuler aussi les choses avec ses mots. Néanmoins, ces changements ne seront pas introduits cette année.

Q.O.: Pensez-vous pouvoir convaincre les deux syndicats qui n'ont pas signé la charte de le faire ?

N.R.B.: Nous continuerons à donner la preuve de notre disponibilité par la résolution des questions posées pour peu que la réglementation le permette, et nous sommes convaincus que ceux n'ayant pas signé la charte trouveront dans notre démarche toutes les raisons pour le faire. Nous reconnaissons qu'à l'échelon du local, il y a une masse de problèmes non résolus à l'exemple des enseignants qui ont été recrutés mais dont l'intitulé de la spécialité ne faisait pas partie de la nomenclature des spécialités exigées pour occuper un poste d'enseignant et qui n'ont pas été payés. Nous sommes en train de faire un travail gigantesque de mise à niveau parce qu'à la base, c'est la mauvaise gestion qui a été à l'origine de nombre de problèmes. Nous nous efforçons de travailler au cas par cas. Nous sommes intransigeants quant au respect scrupuleux de la loi et de la réglementation.

Q.O.: Vous allez rencontrer ces syndicats ?

N.R.B.: Absolument. Certainement, la semaine prochaine.

Q.O.: Est-ce que la charte de l'éthique impose aux enseignants notamment les femmes d'avoir un habit « réglementaire » ?

N.R.B.: Le port du tablier est recommandé pour l'enseignant. L'enseignant, en principe, est astreint d'avoir une tenue qui impose le respect. Nous sensibilisons les enseignantes et les enseignants, particulièrement au niveau du primaire, pour qu'ils représentent un modèle à tout point de vue, physique et comportemental. L'enseignant doit avoir un comportement exemplaire. Utiliser le téléphone cellulaire en classe alors que nous l'interdisons aux élèves, discuter avec son collègue pendant le déroulement de la classe,? sont autant de comportements qui sont à prendre en considération dans l'explication du climat délétère dans lequel se trouvent certains établissements.

Q.O.: N'est-ce pas le rôle du directeur d'école ?

N.R.B.: Les chefs d'établissement sont, au niveau local, la personne la plus indiquée pour prendre en charge les finalités et les objectifs du système éducatif. Cette catégorie, en sus des inspecteurs est considérée comme le fer de lance des deux leviers de notre stratégie à savoir, la gouvernance et la refonte pédagogique. Etre chef d'établissement, c'est être au service de l'apprenant et des équipes pédagogique et administrative ; c'est donner l'exemple et être exemplaire. Le chef d'établissement joue un rôle majeur dans la motivation des équipes administrative et pédagogique. Il est tenu de réunir les conditions nécessaires à une bonne scolarité de l'apprenant et à son épanouissement en veillant à la disponibilité effective des enseignants par matière, la disponibilité des manuels ; veiller à la propreté de son école, à son entretien? Nous attendons du directeur d'école qu'il crée une synergie entre tous les acteurs : parents, enseignant? et qu'il encourage les parents à s'associer.

Q.O.: Quelles sont ses obligations ?

N.R.B.: Au niveau des textes, elles sont clairement établies. Il lui est assigné des responsabilités pédagogiques, administratives et financières. Il est mandaté par l'Etat. La problématique aujourd'hui, c'est de quels moyens disposons-nous pour sanctionner ces chefs d'établissements qui ne jouent pas leur rôle. Le seul moyen dont nous disposons, au fait, est de les déplacer, sur décision du conseil de discipline, d'un poste à un autre ce qui revient, uniquement, à déplacer le problème. Néanmoins, nous pouvons dire, sans prétention aucune, que nous avons des chefs d'établissements et des directeurs d'Education fabuleux qui accomplissent un travail merveilleux. Il ne faut pas occulter le fait que le secteur compte plus de 26.000 établissements, donc autant de directeurs et je peux vous dire que la majorité d'entre eux est mobilisée pour service la cause éducative.

Q.O.: Et quels sont les moyens que vous revendiquez ?

N.R.B.: C'est à un nouveau management auquel nous appelons, faisant appel plus à l'esprit d'équipe, d'accompagnement, de mobilisation et d'encouragement. Parmi les priorités que nous avons notifiées aux présidents des 4 conférences régionales que nous avons organisées récemment, c'est qu'il y ait des réunions régulières avec les chefs d'établissements, qu'ils soient reçus au niveau de la direction de l'éducation. Ils doivent être les porte-parole des fonctionnaires. Le directeur est le représentant de l'Etat dans l'établissement. Il doit assurer l'équité entre les personnels.

Q.O.: Est-ce dans la réforme il y a une place pour l'enseignement professionnel ?

N.R.B.: Il relève du ministère de la Formation professionnelle mais notre responsabilité à nous, c'est de sensibiliser les élèves à l'orientation. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, que nous avons organisé, le 14 avril 2014, des journées portes ouvertes sur l'orientation. L'orientation scolaire est plus que jamais au cœur des préoccupations car bien souvent les représentations sociales président au choix d'un tel ou tel itinéraire scolaire. Il est notoire que la voie de l'enseignement secondaire et par la suite universitaire est beaucoup mieux considérée, à tort cela dit, que sa consœur, la voie professionnelle. D'où l'importance de l'information et de la sensibilisation sur l'orientation qui représente le lien entre le monde éducatif et le monde professionnel. Il est grand temps de changer un grand nombre d'idées préconçues sur ce que devrait être l'orientation. Une bonne orientation privilégie l'épanouissement personnel de l'élève dans sa filière et donc dans son domaine d'activité. Mais pour que cette orientation soit la plus pertinente possible encore faut-il changer l'idée même de ce qu'est réellement la réussite scolaire.

Q.O.: Le ministère de l'Intérieur a-t-il délivré les cartes biométriques à tous les candidats au bac ? Quel est leur nombre exact ?

N.R.B.: Les candidats sont au nombre de 816.650 avec les candidats libres. L'opération des cartes biométriques marche très bien. Avec mon collègue, le ministre de l'Intérieur et de Collectivité locales, nous avons fait le point de la situation ce samedi 12 mars en présence de la presse et nous avons communiqué les chiffres concernant la délivrance des cartes biométriques aux candidats à l'examen du baccalauréat. Actuellement, nous avons atteint un taux national moyen de 88%. Je peux même vous dire que certaines wilayas ont achevé l'opération et ont atteint le taux de 100%. C'est une opération qui est bien gérée par le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales.

Q.O.: Que devient la convention que vous avez signée avec Mme Nadia Labidi, alors ministre de la Culture, sur l'introduction du livre à l'école ?

N.R.B.: Elle est mise en place. Nous sommes en train de mettre en œuvre la lecture plaisir en milieu scolaire. A ce titre, nous avons mis en place une équipe mixte avec le ministère de la Culture pour lister les fondamentaux qui seront des référentiels pour l'ensemble des élèves qui transitent par le système éducatif dans les trois langues (arabe, tamazight, français). L'anthologie scolaire est donc en train d'être établie. L'objectif est, à l'évidence, comme cela est établi dans le monde entier, de construire, en partenariat avec le ministère en charge de la culture et en collaboration avec les spécialistes, un socle de références littéraires nationales. En ce qui nous concerne, dans la pluralité des expressions linguistiques et à travers toutes les époques de notre histoire nationale.

L'expérience du SILA 2015 est unique. Des dizaines de milliers d'élèves ont visité le Salon, venus des quatre coins du pays. Ils ont rencontré des écrivains, des cinéastes, des peintres? Des auteurs se sont, également, rendus dans les établissements scolaires d'Alger et ses environs avec leurs ouvrages pour les faire connaître aux élèves.

Q.O.: L'enseignement de tamazight sera-t-il obligatoire dans toutes les écoles ?

N.R.B.: Ma conviction profonde est que la promotion de l'enseignement de la langue amazighe, officialisée par la nouvelle Constitution, constitue un atout majeur pour l'Ecole algérienne. Intégré au système éducatif depuis 1995, l'enseignement de la langue amazighe a connu une percée les premières années notamment depuis son élévation au rang de « langue nationale » en 2003 ; un centre national pédagogique et linguistique pour l'enseignement de tamazight a même été créé cette même année. Cependant, cet enseignement a connu un essoufflement après. Dès notre installation, nous avons œuvré à redynamiser cet enseignement et nous avons signé, le 21 février 2015, un protocole d'accord avec le Haut-Commissariat à l'amazighité à cet effet. L'enseignement de tamazight était dispensé dans 11 wilayas en 2014. Actuellement, il l'est dans 22 wilayas et nous nous sommes fixé comme objectif de ramener ce chiffre à 32 l'année scolaire prochaine. Désormais, l'ouverture de classe d'enseignement de tamazight est l'un des critères de performance pour l'ensemble des directeurs d'éducation. Nous attendons le travail qui sera mené par l'Académie algérienne de la langue amazighe, prévue par la nouvelle Constitution, pour approfondir notre approche.

Q.O.: Quelle place accordez-vous pour les langues étrangères dans toutes ces réformes ?

N.R.B.: Nous n'avons introduit aucun changement à ce niveau, notamment au primaire et au moyen. Pour le secondaire, en sus de l'espagnol, l'italien, l'allemand et le russe enseignés en filière « lettres et langues étrangères », nous pensons élargir l'éventail du choix donné aux élèves, au chinois et au turc et probablement au coréen. Dans tous les cycles, toutes les matières, en dehors des langues étrangères, se font en langue arabe en sus de la discipline langue arabe. A titre d'exemple, au primaire, en 1ère et 2ème année, toutes les matières sont enseignées à 100% en arabe. A partir de la 3ème année primaire, l'enseignement en langue arabe des matières enseignées occupe plus de 80%.