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Les monnaies des émergents sous tension

par Akram Belkaïd

Il y a la Chine et les incertitudes quant à l’état réel de son économie. Il y a les banques et leurs créances douteuses sur le marché de gré à gré. Il y a aussi les conséquences incertaines de la chute des cours du pétrole et, de manière plus générale, de nombre de matières premières. Il y a aussi les Bourses et leur krach rampant. Autant de nuages noirs donc. Et il y a les monnaies des pays émergents dont l’effondrement est peut-être annonciateur d’une nouvelle crise de la dette.
 
Une chute par rapport au dollar
 
Le mécanisme concernant les devises émergentes est le suivant. Après plusieurs années de politique monétaire accommodante, la Réserve fédérale américaine (Fed) prépare les marchés depuis plusieurs mois à une remontée progressive de ses taux d’intérêt. C’est donc un nouveau cycle haussier qui s’annonce – même si les dirigeants de la Fed demeurent très prudents quant au rythme d’augmentation du loyer de l’argent. Mais cette perspective pousse les investisseurs à anticiper ce changement de politique. Leur calcul est simple, c’est le moment de réinvestir sur les marchés américains, notamment sur le marché de la dette et celui des changes, car une hausse des taux va mécaniquement provoquer une hausse de ces actifs.

Ces achats passent, entre autres, par un désengagement de certains marchés émergents qui étaient jugés attractifs quand les taux américains étaient faibles. Du coup, ce retrait provoque une dépréciation des titres échangés sur ces places et donc une baisse des monnaies locales. Depuis un an, le real brésilien a ainsi perdu près de 28% par rapport au dollar tandis que le rand sud-africain et la livre turque perdaient respectivement 23% et 17% par rapport au billet vert. Aujourd’hui, on assiste donc à ce que l’on pourrait appeler à une « fuite vers la qualité dollar », autrement dit un arbitrage en faveur de la monnaie américaine au détriment des devises émergentes.

On pourrait penser que la baisse de ces devises est une bonne nouvelle pour les pays concernés car cela peut effectivement les aider à augmenter leurs exportations. Le problème, c’est qu’il y a aussi un gros souci de dette. De nombreux opérateurs locaux, y compris privés, se sont endettés en dollars. Comme leur monnaie a baissé par rapport au billet vert, cela signifie que leurs remboursements augmentent. En Turquie, de nombreux économistes craignent ainsi une crise de la dette locale car de nombreux emprunteurs n’ont pas suffisamment de liquidités pour rembourser leurs emprunts en dollars.
 
Hausse des taux ou inflation
 
Du coup, les pays concernés se retrouvent face à des choix difficiles. Ils peuvent augmenter les taux d’intérêts pour freiner la sortie de capitaux étrangers et tenter de convaincre les investisseurs de se détourner du dollar. Cela au risque de pénaliser des activités économiques bien fragiles. Ils peuvent aussi limiter les sorties de capitaux et prendre des mesures pour suspendre, même momentanément, la convertibilité de leur monnaie. Au milieu des années 1990, la Malaisie a démontré que la mise en place d’un contrôle des changes peut avoir des effets salutaires dans un contexte de mouvements massifs de capitaux. Une chose est certaine, laisser filer leurs monnaies pénalisera ces pays émergents ne serait-ce que parce que cela augmentera l’inflation.