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A propos de l'ouvrage collectif - Les sciences sociales à l'épreuve du terrain : Algérie, Belgique, France, Québec, Laos, Vietnam

par Abdelkrim Aouari*

Co-édité par le GRAS et l'Harmattan, Algérie, l'ouvrage collectif «Les sciences sociales à l'épreuve du terrain» (sous la direction de Mohamed Mebtoul) a pour objet de dévoiler la façon dont se déploient les pratiques sociales de recherche de terrain.

L'ouvrage répond à un besoin exprimé par une majorité de chercheurs, aussi bien ceux qui ont une longue expérience, en la matière que ceux qui sont au stade d'apprentissage de la recherche. Qu'ils soient jeunes doctorants, confrontés à la «dure épreuve» du terrain, dans le cadre de la réalisation de leurs thèses ou des étudiants qui ont des difficultés à assimiler et comprendre l'enseignement des cours, en méthodologie, reçus sur les bancs de nos universités.

 Il s'agit-là d'un premier livre, en Algérie, consacré uniquement, à la pratique de l'enquête sociologique et anthropologique, non pas telle qu'elle doit se faire, en absolu, en théorie, mais comment se fait-elle, concrètement, en relatant, de façon fine, les expériences de chercheurs en sciences sociales, algériens et étrangers.

M. Mebtoul Mohamed, sous la coordination duquel cet ouvrage a été réalisé, entame son introduction générale de l'ouvrage, en précisant que ce « projet est né d'une frustration pédagogique, auprès d'étudiants en sociologie, se représentant souvent l'enquête, comme une forme de mécanique sociale réduite à capter le discours de l'autre, identifié comme un simple pourvoyeur de données, sans qu'il ne soit jamais questionné, dans sa complexité et dans sa singularité historique? »

Les jeunes chercheurs, une fois sur le terrain de l'enquête, se rendent compte que la réalité sociale visée est autrement plus difficile à appréhender, en raison de la complexité et la diversité des situations. En effet, la recherche ne se déroule jamais comme prévue. Les procédures et les techniques d'entretien et d'observation, décrites dans les manuels classiques, ne sont pas si simples à mettre en pratique.

Le jeune chercheur, une fois sur le terrain, se rend compte que la réalité sociale ne se donne, jamais, à voir avec la facilité décrite par les tenants d'une objectivité scientifique, d'une «vérité» cachée que seul le chercheur, par son savoir et sa méthode, le plaçant, pour ainsi dire, au-dessus de la mêlée sociale, pourrait extraire du magma des connaissances, empreintes de subjectivité, d'opinions d'idées reçues, dévalorisant et regardant, d'en haut, ses interlocuteurs. Il apprendra, très vite, que le terrain présente des résistances diverses et que l'interviewé n'est pas, seulement, une source disponible dont il puisera, à sa guise, les connaissances dont il a besoin, mais un interlocuteur qui lui, aussi, observe, soupçonne, se méfie, interroge, cherche à savoir quel intérêt il a à répondre, quelle part de risques, il encourt, juge la situation de l'enquête, pose ses conditions, décide la stratégie qui lui convient soit par un refus poli, par l'esquive et l'évitement, par une coopération feinte ou réelle qui fait que la réussite n'est jamais acquise et que l'incertitude est toujours présente et que l'échec n'est jamais écarté.

L'entretien met, face à face, deux subjectivités: celles de l'enquêteur et de l'enquêté avec des savoirs, des visions, des attentes différentes qui génèrent des incompréhensions, des doutes, des hésitations, des dilemmes éthiques ou autres, pour l'un et pour l'autre, entraînant des tractations, des négociations, obligeant le chercheur à des questionnements, à des réadaptations permanentes, à trouver, seul, des solutions, à faire preuve d'ingéniosité, d'inventivité, à bricoler des arrangements, et aussi, à acquérir, ainsi, par la force des contraintes, des compétences qui relèvent d'un savoir-faire pratique qui ne peut être acquis par l'enseignement et qui ne se trouve pas dans les manuels. Mais, il arrive, aussi, que l'expérience du terrain mène à des remises en cause douloureuses allant jusqu'à la rupture ou l'abandon.

Toute cette quête pénible du savoir avec ses souffrances et ses joies sont, rarement, décrites par les chercheurs. Cette expérience du terrain, éprouvante par certains de ses aspects et riche d'enseignements, est entourée de silence. Les chercheurs préfèrent la garder pour soi, estimant peut-être, pour certains d'entre eux, que ce travail de terrain ne mérite pas qu'on s'y attarde, l'assimilant au « sale boulot », dévalorisant qui n'intéresse personne, préférant se focaliser sur les dimensions théoriques et les résultats obtenus, jugés plus valorisants aux yeux de la communauté universitaire. Il me semble que cette posture du silence est plus sécurisante, dans la mesure qu'elle permet au chercheur d'éviter d'exposer, au débat, sa subjectivité et sa sensibilité propre.

Il est vrai, aussi, qu'il est délicat de parler de son expérience propre, de sa pratique du terrain, au quotidien, dans toutes ses dimensions cognitives et émotives. Il s'agit-là presque de l'ordre de l'intime. Des chercheurs, notamment, les jeunes expriment, sans cesse, ce besoin d'en parler, mais ne le font pas, par peur d'être jugés.

Les auteurs qui ont accepté de contribuer dans ce travail ont eu le courage de livrer leurs expériences du terrain et, par la même occasion, de se livrer, soi-même, en évoquant, sans rien cacher, les moments forts de leurs faiblesses, de perte de confiance, de sens, marqués par des hésitations, des égarements, des erreurs et des maladresses qu'ils essayent de comprendre, d'analyser, mais les expériences de terrain restituées, ici, mettent, aussi, au jour, l'importance de la détermination, de l'obstination, de la recherche de solutions. Cet ouvrage pédagogique transmet, ainsi, aux enseignants, chercheurs et étudiants, une foule de renseignements inédits tirés de pratiques d'enquête riches du terrain, aussi variées et aussi difficiles. Nous citerons, ici, les maladies rares et chroniques, les rapports des usagers à la justice de proximité, les travailleurs sociaux, les jeunes, les acteurs des services hospitaliers, les cliniques privées, en Algérie, les infirmières du CHU d'Oran, l'expérience des couples ayant recours à la procréation, médicalement assistée, dans des centres privés d'Oran, l'immigration féminine clandestine, le fait urbain, les logiques des agents des entreprises, etc.

Il est à noter la participation, dans cet ouvrage collectif, non seulement de jeunes chercheurs, mais aussi des auteurs reconnus pour leur longue expérience de terrain et leurs nombreuses publications, en particulier, le professeur Jacques Hamel, du département de Sociologie de l'Université de Montréal et Monique Selim, anthropologue et directrice de recherche, à l'Institut de Recherche du Développement (IRD) et du Centre d'études sur les mondes africains, américains et asiatiques (Paris).

La réflexivité sur les expériences de terrain, menée en Algérie, en Belgique, en France, au Québec, au Laos et au Vietnam, font ressortir les détails du quotidien du chercheur, habituellement, occultés, ayant le mérite de dévoiler les coulisses, sans fard, de la recherche de terrain, dans sa complexité et sa diversité.

Le livre est disponible au siège de l'unité de recherche en Sciences sociales et Santé (ex. IAP, Es-Senia et à la librairie «Arts et Culture» (22, rue Moulay Mohamed, ex. Lamoricière).

*Sociologue