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L’enjeu du code du travail

par Akram Belkaïd

Le projet de loi français sur la réforme du code du travail, projet dit « El Khomri », du nom de la ministre qui le porte, n’est pas qu’une affaire franco-française. Les débats qui l’entourent, les arguments de ses partisans et adversaires sont les révélateurs d’une ligne de faille qui concerne nombre de pays et de sociétés. De fait, c’est tout simplement la remise en cause de plusieurs acquis sociaux obtenus de haute lutte sur une période de soixante-dix ans, en gros entre les années 1920 et la fin des années 1990.

Plus que de la flexibilité, de la précarité

Quelle est l’idée de base de cette réforme qui menace de faire imploser la gauche française ? Le point de départ est l’échec des politiques de lutte contre le chômage. Depuis la fin des années 1960, ce dernier ne cesse de progresser. On connaît la fameuse expression de François Mitterrand : « contre le chômage, on a tout tenté ». Et c’est pour infirmer ce propos que de nombreux libéraux, y compris à gauche, réfléchissent à faire sauter les verrous qui encadrent le licenciement.

Leur raisonnement est simple : s’il est possible de licencier plus facilement et, surtout, de le faire à moindre coût qu’actuellement, alors les entreprises n’auront plus de réticence à recruter. On nous explique ainsi que les lois qui existent et que le gouvernement français veut réformer, sont plus faites pour protéger le salarié que pour aider le chômeur.

Mais il ne faut pas se laisser abuser par ce propos et avoir à l’esprit trois choses. D’abord, la flexibilité contractuelle existe déjà. La France est le paradis des agences d’intérim et donc une terre de contrats à durée indéterminée. Même l’administration publique use et abuse de ces contrats qui entretiennent la précarité du salarié. Ensuite, rendre le licenciement plus simple, c’est donner plus de moyens aux patrons pour imposer leurs vues au détriment des syndicats. Il suffit de lire les nombreux témoignages publiés sur les réseaux sociaux pour se rendre compte à quel point la violence sociale règne dans les entreprises, notamment de services. Une loi facilitant les licenciements constituera un outil de rétorsion et de menace supplémentaire dans un environnement où se multiplient les comportements patronaux arbitraires.

Enfin, il ne faut se faire aucune illusion. La contrepartie patronale n’existe pas. Autrement dit, les entreprises sauront utiliser ce que le gouvernement va leur offrir mais sans rien donner ou presque en retour. Bien sûr, il y a l’exemple de l’Allemagne et de l’Espagne, deux pays qui ont réformé leur code du travail. Certes, cela a permis la création de plusieurs emplois et fait mécaniquement baisser le taux de chômage. Mais de quels emplois parle-t-on ? Les fameux postes à un euro créés en Allemagne et qu’un chômeur ne peut refuser sans prendre le risque de perdre son emploi ? A quoi servirait de faire baisser le chômage en créant, par ailleurs, plus de pauvreté et d’inégalités avec des « emplois jetables » ?

Un modèle qui s’étend

Pourquoi ce débat concernerait-il l’Algérie ou d’autres pays du Sud ? Tout simplement parce que ce qui se concocte au nord, se retrouve au sud. Aujourd’hui, un pays comme la Tunisie est sommé par le Fonds monétaire international (FMI) de réformer ses lois sociales. Là aussi, il faudrait plus de flexibilité pour créer des emplois. La réalité est tout autre. C’est une régression générale à laquelle nous assistons avec la remise en cause du compromis historique entre les détenteurs du capital et des moyens de production avec les travailleurs. Réduire les droits de ces derniers est la tendance dans un monde où le syndicalisme est en déshérence mais ce n’est pas une raison pour accepter cette manière de concevoir les rapports entre patrons et salariés.