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Pourquoi nous aimons détester Saïd ?

par Ismail Zanoune

Saïd est un prénom masculin d'origine arabe. Ce prénom est issu de l'adjectif arabe «Sa'id», signifiant «joyeux» ou celui que le destin favorise. Après une brève recherche sur la toile, j'ai trouvé que des psychologues et spécialistes de la matière ont affirmé que les Saïd inspirent l'autorité.

Les Saïd sont dotés d'une force tranquille, ils s'imposent dans le monde professionnel avec une aisance étonnante. Des rêves, ils en ont plein. Dès l'enfance, ils ont tendance à créer des choses ou à modifient leurs jouets. Ils comprendront bien vite les efforts qu'ils devront fournir pour atteindre leurs objectifs et se frayeront un chemin pour y arriver. Motivés et peu influençables, ils aiment persévérer. Impatients, ils détestent perdre du temps, assez secrets et réservés ils se montrent peu démonstratifs dans leurs rapports avec les gens. Dans le monde des affaires, les Saïd savent où, quand, comment et avec qui traiter. Les Saïd sont également dotés d'une grande sensibilité et accordent de l'importance aux valeurs de la famille, cette dernière occupe une grande place dans leur vie. Côté cœur, les Saïd sont des romantiques qui aiment faire plaisir à leur entourage. Ils sont très à l'écoute, seulement à leurs amis fidèles, et ressentent le besoin d'être écoutés en retour. Ils se sentent épanouis lorsque tous leurs projets suivent un bon déroulement, mais, les Saïd sont souvent des inquiets, enclins à se poser des questions et qui sont souvent attirés par le paranormal, tout en étant aussi des sceptiques convaincus, les deux tendances pouvant se succéder dans le temps.

La science moderne se propose pour objet d'étude tout phénomène sujet à l'observation. Mais la psychologie reste une science molle. Etant, à la base, quelqu'un de formation scientifique, j'ai vite senti le besoin d'aller causer avec un Saïd de mon entourage. Pas de chance. Aucun membre de ma grande famille n'a eu l'idée de prénommer un de ses enfants Saïd. Alors, j'ai fermé hermétiquement les yeux pour faire fonctionner ce coin de ma tête réservé aux anciens camarades de classe pour voir s'il y avait quelqu'un portant ce prénom. Et là encore, pas de chance. Toujours les yeux fermés, une voix surgit de nulle part pour me rappeler que Socrate a dit : La vision de l'esprit ne devient perçante que lorsque celle des yeux commence à baisser, et je me suis dit : Et si on ajoutait à Saïd le nom de Bouteflika ?!

Trêve de plaisanterie. Saïd Bouteflika est une personne physique jouissante de tous les droits que la citoyenneté algérienne procure. Saïd Bouteflika peut se plaindre, et quand on est celui qui accompagne le président au bureau de vote, se plaindre devient synonyme de poursuivre en justice. Aujourd'hui, a-t-on besoin du courage pour critiquer Saïd ? Epiloguer sur Saïd, est-ce preuve de bravoure ? Oh que non. Il est plus que curieux de voir le concert de mauvais propos tenus sur Saïd depuis déjà bien des années. Jamais un homme en Algérie n'a fait l'objet de plus d'invectives. Ce qui m'amène naturellement à penser que continuer à critiquer Saïd et ses semblables ne ferait réellement que sublimer notre faiblesse nous qui sommes entièrement à l'extérieur, loin, très loin de Kasr El-Mouradia. Il y a un flagrant dysfonctionnement à tous les niveaux dans l'Algérie d'aujourd'hui. A commencer par moi. Jeune, beau, extraordinairement magnifique et magnifiquement extraordinaire. Ma vocation, en cette période de ma vie, n'est-elle pas celle de ne laisser aucun entrejambe refroidir ? Allah yahdina.

Le peuple détient le pouvoir et non la décision. Lorsque la masse populaire assiste à un amas d'accusations porté çà et là contre Saïd sans jamais le voir comparaître devant un juge, il se dessine dans l'esprit de cette masse populaire l'image d'un homme ?omnipotent' au-dessus de tous. Bon sang ! Saïd ne s'est jamais exprimé ! Il n'a jamais démenti quoi que ce soit, d'autant plus que l'on ne peut accuser sans quelque peu mentir. Mais pourquoi est-ce qu'il démentirait si cet acharnement lui était bénéfique ?

Après tout, Saïd est un Algérien, et ce dernier échappe parfois aux notions établies dans la psychanalyse. L'Algérien est réputé pour avoir du goût pour tout ce qui l'exalte, tout ce qui l'apothéose, et daigne à ne pas parler de ces qualités qu'on lui attribue, et que lui évidemment ne possèderait peut-être jamais. N'a-t-on pas trop condamné Saïd ? Je pense que chaque dinar dilapidé da la caisse publique rend coupable devant Dieu chaque Algérien adulte. Est-ce là une raison pour sortir manifester et exprimer son exaspération par des sit-in ? Sûrement pas. Il nous est plus qu'indispensable de nous rendre l'évidence au phénomène suivant : l'intelligence politique et économique de la masse populaire une fois sortie dans les rues ne sera jamais assez élaborée pour parvenir à des représentations à la fois unanimes et précises, ainsi elle reste handicapée devant la quête de la personnalité qui serait capable de les faire aboutir.

Il faut juste garder en tête que la vitesse avec laquelle les choses peuvent favorablement changer est tout simplement inimaginable. Critiquer est devenu aujourd'hui un gagne-pain, et de façon enfantine, on commence à associer critique et patriotisme. Saïd, est-il coupable ? Pour moi, cette question ne doit même pas avoir lieu, puisque l'on n'a jamais entendu parler d'un procès contre lui. Posez cette question à notre pseudo-élite avec comme choix de réponses : ou il l'est ou il ne l'est pas. Ils vous répondront avec une suprême prudence : Euh il l'est plus que ce qu'il ne l'est pas ! Une réponse évasive qui n'engraisse ni apaise la faim.

Notre plus grand malheur est que l'on est arrivé à un stade où chaque Algérien croit détenir la vérité -toutes situations confondues-, tout comme au sein de l'élite, chacun voit midi à sa porte.

Patience ! Forme mineure de désespoir, déguisée en vertu.

André Bierce

Saïd Bouteflika ! Il est évident que je ne suis pas inscrit dans son fan club mais je m'interdis de croire qu'il est à l'origine de tous les malheurs de l'Algérie, qu'il représente à lui tout seul la source de tous nos problèmes. Ce sont là des croyances de bonnes femmes.

La vérité est auxiliaire, un accessoire de charme, dont on peut se passer, lorsqu'elle devient un obstacle faisant barrage au progrès. Spécialement lorsqu'on arrive à estimer la réelle complexité de la situation en Algérie. Je préfèrerai plutôt croire que Saïd est à des années de lumière des causes contribuant à la faillite de notre économie s'il répond présent à un dialogue qui a pour finalité de sortir l'Algérie de sa situation actuelle. Et ce n'est par là qu'une façon de penser que je désire mettre en avant, et qui ne plairait certainement pas à ces personnalités qui jouent à l'attentiste et qui vivent dans un monde futur. Des personnalités totalement déconnectées du quotidien du citoyen algérien et qui préfèrent encore croire qu'il viendrait un homme pour décapiter en place publique certains, et nommer ministres certains d'autres.

Aujourd'hui, je conçois l'utopie comme une table autour de laquelle accepteraient de s'asseoir : les frères Bouteflika, Gaïd Salah, Tabou, Chakib Khelil, Benflis, Mediene, etc. Il suffit juste de trouver l'homme unificateur qui accepterait qu'on fasse de lui un terrain d'entente. Un homme clairvoyant qui doit faire preuve de discernement. Un homme qui aurait pour devise : Il m'importe peu de savoir qui est Oreste et qui est Agamemnon puisque je me permettrai de parler légèrement devant eux et de Clytemnestre et d'Iphigénie.

Ça donne des haut-le-cœur lorsqu'on entend tous ces Algériens qui, de Londres à Doha, gagnent leurs vies en critiquant Saïd et ses semblables. C'est aberrant ! Des Algériens qui se font gloire de penser que par là ils rendent justice au peuple. Ce sont des voix qui ne font qu'alimenter le malaise populaire. Des amateurs qui essaient de se faire passer pour des penseurs, et en se servant de la langue assassine invitent des hommes à qui on a sûrement dit: «En annonçant de bonnes nouvelles, on se rend aimable, en en annonçant de mauvaises, on se rend important: Choisissez». Quel que soit le dénouement, ça finira mal pour eux. Et ce qui est mesquin, c'est que Saïd ne les entend sûrement pas, parce qu'une pareille personnalité n'a pas à avoir peur de la charge de ses responsabilités, ainsi le contrecoup de ses actions se trouve être le cadet de ses soucis parce qu'il est gravé dans sa tête, même si lui-même ne s'en rend pas compte que sa dégringolade était déjà écrite quelque part si jamais les accusations s'avèrent fondées et se frayent un chemin pour atterrir au bureau d'un procureur de la République digne de ce nom.

Il reste à noter que tout ce qui est lié à Saïd suscite la controverse et prend tout de suite de l'envergure principalement parce que le sens d'orientation et de gestion de notre gouvernement n'inspire guère la confiance et l'assurance. Lorsque les dirigeants d'une nation sont de pareils incompétents, la porte est ouverte à toute sorte de bêtises humaines.

Il se peut que la masse populaire soit peu cultivée mais elle sait distinguer le bon du mauvais dirigeant.

?Avant même notre retour en Algérie, Bouteflika disait à des amis tunisiens «retenez bien mon nom, vous entendrez parler de moi». Il est regrettable que l'on n'ait pas entendu parler de lui pendant que des hommes de son âge mouraient dans les maquis. Ferhat Abbes - L'indépendance confisquée 62-78. Page 45.

Il n'y a pas de façon moins méchante pour le dire, mais un jour, Bouteflika rendra l'âme et il s'en ira comme un mauvais rêve que l'on oublie dès demain matin. Mais aujourd'hui, étant dans une mauvaise passe, je vois mille raisons se défiler devant mes yeux pour m'amener à lui souhaiter longue vie. Nous traversons une période critique et tout changement anarchique ne ferait qu'empirer les choses. Puis, il ne faut jamais juger un homme sans s'imaginer être à sa place. Qu'on le veuille ou pas : Bouteflika, la paix, 2016, sont par malheur trois choses inextricablement liées.

Je discutais avec une dame, et elle a abordé la crise du pétrole. Moi, qui ai toujours été quelqu'un qui essaie de voir les choses sous un autre jour, je lui ai dit : Quand il n'y a plus d'arbres, il n'y a plus de singes. Elle m'a répondu : Quand il n'y a plus de paille à l'étable, les chevaux battent.

Je crois que nous avons ?glorifié' à tort Saïd en lui multipliant les diffamations et en le présentant comme l'homme à connaître dans le milieu de la mafia, l'homme qui tire les ficelles dans toutes les affaires douteuses. Même si c'est le cas, il ne serait pas plus coupable que d'autres milliers d'Algériens qu'on ne saurait tous les conduire devant un tribunal.

Par curiosité: Saïd, vous n'auriez pas par hasard, vous aussi, dit à quelqu'un retenez bien mon nom ?

Nous adorons détester Saïd, déjà, parce qu'il est le frère du président, et je ne vous apprends rien lorsque je vous dis qu'en Algérie lorsqu'on a le bras long, la famille devient sujette à de nombreux traitements de faveur. Nous adorons détester Saïd tout simplement parce qu'il nous ressemble.

Saïd continue d'intriguer plus d'un ; l'homme mystérieux au visage on dirait une page d'un livre écrit dans une langue inconnue.

Malencontreusement, les médias en Algérie, même après l'ouverture du champ audiovisuel, se bornent à faire d'un insensé fait une affaire d'Etat d'enjeu capital, et en peu de temps, ils enterrent des questions principales jusqu'à les effacer de l'actualité, des questions dont les réponses peuvent constituer un rempart contre tout ce qui nous attire vers le bas.

Si jamais Saïd décide de pousser le règne des Bouteflika pour un cinquième mandat, son équipe parviendra en un rien de temps à l'extraire du néant de manière cabalistique et lui attacher par une pesante publicité des espérances extraordinaires en lui créant une popularité telle qu'un homme d'indubitables valeurs ne peut de sa vie en rêver autant. Et puisque chacun de nos ministres, députés, dirigeants, ne tient pas à être le plus malavisé, ils nous présenteront Saïd comme le messie arrivé.

Ce n'est que là que la révolte devient légitime -et non indispensable ou obligatoire-, et à la seconde même où cette révolte explosera, nos ministres se rappelleront bizarrement le proverbe kabyle: elle n'a rien de déshonorant la fuite qui sauve son homme, et depuis Paris ils diront: jeunesse inconsciente partie en fumée dans d'incomptables actes de délinquance.