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Entre crise pétrolière et réduction des déséquilibres mondiaux, quel avenir attend le monde pour 2016-2019, sans le «dopage du pétrole» ?

par Medjdoub Hamed *

1re partie

Pourquoi la crise du pétrole aujourd'hui ? Et si elle n'est qu'une marche autoréalisatrice d'un processus économique et politique majeur qui est en train de changer les rapports entre les puissances, et par là, marquer un nouveau paradigme du monde. Comment comprendre ce paradigme lié à la nouvelle crise pétrolière ? A-t-il un lien avec les déséquilibres macroéconomiques mondiaux ? Et si oui, quel impact aura-t-il sur la configuration du monde ?

1. LES QUANTITATIVE EASING ET LA NECESSITE DES «DEFICITS OCCIDENTAUX» POUR LES PAYS DU RESTE DU MONDE

Pour comprendre la nouvelle configuration à venir, il faut d'abord s'interroger sur les conséquences financières et monétaires qui ont résulté de la crise financière de 2008. Et celle-ci a des causes multiples. D'abord la spéculation immobilière massive aux États-Unis en tant que facteur principal de la crise financière, ensuite des facteurs non moins importants qui ont ont joué comme catalyseur de la crise, telles la montée en puissance de la Chine et des pays émergents et les guerres menées au Moyen-Orient.

La crise financière à l'été 2008 a été tellement violente que le système bancaire américain fut paralysé par les subprimes (créances immobilières hypothécaires à risque). Et la Réserve fédérale américaine (Fed) n'eut d'autre alternative que de venir au secours du système bancaire. Et les banques centrales de la zone euro et du Royaume-Uni ont agi de même pour sauver leurs systèmes bancaires.

Après le sauvetage des banques, et la forte hausse du chômage américain qui est passé de 5% à 10%, la Fed a été obligé de continuer à racheter des dettes publiques et privées (et à risque), et à injecter des masses de liquidités dans le secteur bancaire, pour réamorcer la reprise. En 2009, avec le recul de la production industrielle, la faible création de richesse et le chômage élevé, les pays occidentaux n'ont pas échappé à une récession généralisée. La Fed de nouveau eut recours à des opérations de Quantitative easing (QE).

En quoi consiste une Quantitative easing ? C'est « une politique monétaire ultra-accommodante, non-conventionnelle ». Elle a pour objectif de stimuler l'économie, par des injections de liquidités via un programme de rachat de dettes. La première étape d'une QE consiste pour la Banque Centrale américaine (ici la Fed, en accord avec le Trésor américain) à créer de la monnaie. Cette monnaie n'est pas créée physiquement, il s'agit simplement d'une ligne de crédit créée ex nihilo (qui s'assimile à la planche à billet) sur le compte de la Banque Centrale. La deuxième étape amène la Banque Centrale à acheter grâce à l'argent fraîchement crée des bons souverains aux institutions financières (banques, compagnies d'assurances, fonds de pension). La troisième étape amène les banques qui se retrouvent refinancées, donc avec davantage de cash, à prêter plus facilement (et à un taux plus faible) aux entreprises et ménages, dans le but de booster l'investissement et la consommation. Quatrième étape. Une fois la croissance retrouvée grâce à la hausse de l'investissement et de la consommation, la Banque Centrale doit en théorie vendre les bons souverains précédemment achetés (ou bien attendre que les bons arrivent à maturité) pour reprendre les liquidités, et détruire la monnaie qui a été créée.

Et c'est ainsi que la Fed procéda du moins pour les « trois étapes » pour trois programmes dont le premier QE1 a eu lieu entre 2008 et 2010, QE2 entre 2010 et 2011, QE3 entre 2012 et 2014. Quant à la quatrième étape, globalement, il n'a pu s'opérer. Le système bancaire américain, étant trop fragile, et le besoin de liquidités toujours présent, ont fait que la Fed américaine a été obligée d'accumuler des actifs comme l'indique le journal économique et financier français, la Tribune.fr, en 2013.

« 4.000 milliards de dollars. Voici le montant record dépassé par les actifs de la Réserve fédérale américaine (Fed), gonflés par sa politique monétaire ultra-accommodante, selon les chiffres publiés jeudi par la banque centrale. Et ce n'est pas fini.

Le bilan de la Fed a atteint jeudi le montant exact 4.008 milliards de dollars. A titre de comparaison, avant la crise financière de 2008, celui-ci ne dépassait pas 900 millions. » (1)

Evidemment ces QE ne sont pas sans danger pour l'économie mondiale. Surtout sur les taux de change entre les grandes monnaies (dollar, euro, livre sterling, yen) et l'inflation.

Pour éviter les variations erratiques des taux de change, il est très probable que les quatre grandes Banques centrales du monde, essentiellement occidentales (Fed, Banque centrale européenne, britannique et japonaise), ont eu à mener des politiques monétaires concertées. Face à la crise mondiale, on ne peut penser que chaque Banque centrale américaine a fait cavalier seul. Il était donc dans l'intérêt général de l'Occident et du monde que les Banques centrales occidentales se concertent sur les politiques à mener. D'autant plus que ce sont elles qui sont émettrices des monnaies internationales. Toutes les monnaies du monde sont dépendantes de ce quartette monétaire international. Et le plus paradoxal encore, « le monde entier est dépendant de ces liquidités injectées, et donc des déficits extérieurs occidentaux. »

Sans les déficits américains, européens et japonais, comment le reste du monde pourrait se procurer des réserves de change nécessaires aux paniers de monnaies sur lesquels viennent s'adosser les monnaies nationales. « Si les échanges internationaux entre l'Occident et les pays du reste du monde étaient équilibrés, à somme nulle », s'égaliseraient les importations et les exportations, il est évident qu'il ne pourrait y avoir de croissance mondiale. Aucun pays ne gagnera dans les échanges et les économies du monde stagneraient.

Et on comprend l'importance des QE dans le réamorçage de l'économie mondiale, et l'impact sur la croissance tant pour les pays occidentaux que pour le reste du monde.

2. UNE CONJONCTURE ECONOMIQUE DIFFICILE POUR L'OCCIDENT

Partant de ces postulats, il reste à voir comment s'opèrent ces politiques concertées « discrétionnaires ».

Le mécanisme de stabilisation monétaire à l'échelle mondiale consiste à ce que les quatre Banques centrales qui procèdent à un QE ne créent pas de dysfonctionnements monétaires graves qui risquent de provoquer une volatilité et de forts écarts dans les taux de change et une poussée inflationniste. Une turbulence financière et monétaire sur les marchés engendrerait forcément des crises monétaires en cascades. Et, pour ce faire, si une Banque centrale procède à un QE, en l'occurrence la Fed, il s'ensuit forcément une dépréciation du dollar américain sur les marchés. Pour éviter une forte dépréciation, et comme le pétrole est facturé en dollars, « une hausse du prix du baril de pétrole permet d'éponger une partie de l'excès de création monétaire ex nihilo (planche à billet). Et il faut le préciser seulement en partie. »

Et l'autre partie en excès du QE américain ? Elle s'opère par une dépréciation du dollar américain sur les marchés. Si elle est faible, elle ne poserait pas de problèmes. Si elle est forte, elle aurait naturellement des effets négatifs sur les autres grandes monnaies. L'euro, le yen et la livre sterling s'apprécieraient fortement, ce qui pénaliserait les exportations (trop chères) des pays de la zone euro, de la Grande-Bretagne et du Japon. Et donc négatif pour leurs balances commerciales et des paiements.

Pour rappel, en 2008, le cours du pétrole a atteint un record de 147 dollars le baril, et malgré la forte hausse du prix pétrole, le taux de change de l'euro a atteint aussi un record, 1,60 dollar. Une telle situation est préjudiciable tant pour les États-Unis qui verront leurs importations extrêmement onéreuses que pour l'Europe, le Japon et l'Angleterre qui verront leurs exportations fortement pénalisées. D'autre part, il faut rappeler aussi « que les injections monétaires américaines étaient tellement massives durant la crise qu'elles ont provoqué une crise alimentaire mondiale (forte hausse des prix agricoles). »

Et c'est la raison pour laquelle les autres Banques centrales doivent aussi procéder des QE pour dégonfler l'appréciation de leurs monnaies, et en même temps éviter au monde des crises monétaires. Et grâce à ce pouvoir que l'on peut appeler de « duplication monétaire » que seules ces trois monnaies ont avec la « monnaie-centre » du système monétaire international, le dollar, que peut s'opérer le rééquilibrage financier et monétaire sur les marchés internationaux. Et ce processus dans le rééquilibre monétaire permet d'éviter une concurrence déloyale par la monnaie (dumping) et d'atténuer les efforts de compétitivité qui sont souvent difficiles à porter.

Et on comprend l'instauration en zone euro du Fonds européen de stabilisation financière (FESF) devenu ensuite le Mécanisme européen de stabilisation (MES), au Japon les abénomics et en Angleterre les QE.

« Et toutes ces liquidités ont participé à la reprise économique occidentale mais aussi à la croissance mondiale. » Donc, il y a eu un double apport tant pour l'Occident que pour le reste du monde

D'autre part, le problème n'est pas seulement de dégonfler les monnaies et de stabiliser les taux de change, il reste encore à gérer la masse de monnaies injectées, à éviter une poussée inflationniste en Occident, et ses répercussions sur le reste du monde. En d'autres termes, éviter au monde de retomber dans l'inflation à deux chiffres des années 1970.

Quel est le processus qui a permis, aux États-Unis, en Europe et au Japon, de maintenir l'inflation inférieure à 2% ? Et aujourd'hui, l'Occident est en pleine déflation, entre 0% et 0,5%.

En réalité, l'explication est assez simple. Elle vient « du processus naturel même qui a commandé les programmes des QE ». Si, à chaque fois, les Banques centrales procédaient périodiquement à des programmes de QE, pour les États-Unis (QE1, QE2, QE3, et l'opération Twist stérilisé, sans monétisation dû à un simple échange d'obligations anciennes par des nouvelles) et suivis par la zone euro, le Royaume-Uni et le Japon, c'est manifestement que « le système financier occidental était sous-financé. » Sinon pourquoi, à chaque fois, approximativement tous les dix-huit mois, ces Banques centrales devaient apporter de l'oxygène (de l'argent frais) à leurs systèmes financiers ? C'est simplement que, malgré des politiques ultra-accommodantes, le système financier occidental n'avait pas assez de liquidités pour financer l'économie. Ce qui explique la nécessité des QE. Ce qui signifie aussi que le système financier occidental ne produit pas assz de richesses, et explique le fort taux de chômage dans les pays d'Europe, dû à la perte de compétitivité et aux délocalisations industrielles opérées au profit des pays émergents. Les fondamentaux macroéconomiques de l'Occident s'équilibrent par de la création monétaire à intervalles de temps. Et ce point est fondamental dans le processus des programmes de quantitative easing des Banques centrales occidentales.

Et où logent-elles ces liquidités en dollars, en grande partie, une fois émises, et qui nécessitent de recommencer le processus des QE dus à un nouveau sous-financement ? Tout d'abord, « dans les contreparties physiques », le pétrole, l'or et moindre pour les matières premières agricoles, comme on le sait, et donc « amener les pays exportateurs de pétrole à enregistrer des excédents pétroliers durant plus d'une décennie avant, durant et après la crise financière de 2008 ». Une partie des QE a filé vers ces pays, dont la Russie et les pays pétroliers arabes, qui ont vu leurs réserves de change exploser.

De même pour la Chine qui a enregistré des excédents commerciaux massifs, surtout après l'entrée en guerre, en 2003, contre l'Irak. Comme aussi les autres pays émergents d'Asie et d'Amérique du Sud.

Ce qui nous fait dire que ce processus des QE certes a participé à la croissance américaine, européenne et japonaise, même à un taux de croissance faible, mais a aussi fait profiter les pays du reste du monde, et donc l'économie mondiale. Ce qui est très positif. D'autre part, les États-Unis, comme l'Europe ou le Japon, avaient-ils le choix dans ce processus ? Il s'est imposé de lui-même par la conjoncture économique mondiale qui a suivi la crise financière. C'est donc « un processus naturel nécessaire à l'Occident et au monde ».

Et on comprend dès lors « pourquoi l'inflation est demeurée très faible » compte tenu de « la sous-liquidité en Occident ». Et le rôle des QE était précisément de lutter contre cette sous-liquidité du secteur bancaire occidental.

Et pourquoi des pays de la zone euro, tels l'Espagne, le Portugal, l'Italie, la Grèce et autres, ont eu des problèmes de liquidités, ce qui s'est répercuté sur leurs économies (chômage, faible croissance, etc.). De plus, il y a deux problèmes majeurs qui bloquent ces économies. D'abord la faible compétitivité en prix de leurs produits par rapport aux produits exportés par l'Asie, en particulier par la Chine, y compris au sein de la zone euro (Allemagne plus performante). Ensuite, le deuxième problème tout aussi important sinon plus, « ce sont les déséquilibres macroéconomiques mondiaux qui servent pour ainsi dire de radar aux Banques centrales pour toute détermination de l'enveloppe de QE et décision de son lancement. »

Et, par ces deux contraintes, se comprend « les mesures d'austérité prônées par les autorités américaines, européennes et japonaise ». Et pourquoi, même aujourd'hui, en 2016, la crise mondiale est toujours latente. Et la crise s'est étendue aux pays émergents et aux pays exportateurs de pétrole.

3. LA SPIRALE D'ENDETTEMENT DE L'OCCIDENT COMMANDE UN RETOURNEMENT DE CONJONCTURE ECONOMIQUE

Les liquidités injectées qui filaient pour une bonne part en Chine, en Russie, dans les autres pays émergents et les pays arabes exportateurs de pétrole pour financer les déficits commerciaux occidentaux expliquent à bien d'égard pourquoi les programmes de QE ont été renouvelés plusieurs fois, entre 2008 et 2014. Et s'explique pourquoi plus les programmes de QE sont importants, plus le prix du baril de pétrole se maintient à des cours élevés. D'autant plus que la cotation des prix du pétrole s'effectue dans les principales places boursières des pays consommateurs de pétrole, aux États-Unis et en Europe.

C'est ainsi qu'après une baisse des prix de pétrole suite à la récession en 2009, les cours du prix du pétrole sont repartis à la hausse. Se synchronisant avec les liquidités fournies par les QE 1, 2 et 3 américains, les cours du pétrole se positionnent, de juin 2009 à décembre 2010, entre 70 et 90 dollars. A partir de janvier 2011 à l'été 2014, ils se situent entre 100 et 120 dollars. Et même l'or était de la partie. Il est passé de 760 dollars l'once en novembre 2008 à plus de 1800 dollars en septembre 2011. Evoluant autour de 1700 dollars, l'once d'or n'a commencé à baisser qu'en 2013. Et, à partir de l'été 2014, il a chuté pour se stabiliser autour de 1100 dollars. Ceci simplement pour indiquer que l'or devait aussi contribuer pour assécher les liquidités injectées pour éviter que le prix du baril de pétrole n'atteigne 160 dollars voire plus ou, à défaut de forte hausse du pétrole, le dollar se déprécie fortement par rapport aux grandes monnaies et crée des turbulences graves dans le monde, panique, crise du dollar avec un risque de répéter le krach de 1987. Ainsi la forte hausse du pétrole et de l'or a joué un rôle d'atténuateur de turbulence sur les marchés internationaux.

La fin du QE3, dès l'été 2014, met finalement fin à la hausse des cours et « enclenche le mouvement descendant des prix du pétrole et de l'or ». En décembre 2014, le baril passe à 50 dollars. En décembre 2015, une année et demi après, le pétrole Brent est à 36 dollars. En janvier 2016, le baril est pratiquement à 30 dollars.

A suivre...

* Auteur et Chercheur indépendant en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective

Notes :

1. «Le bilan de la Fed passe le seuil des 4.000 milliards de dollars» Par latribune.fr | 20/12/2013

http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20131220trib 000802072/le-bilan-de-la-fed-passe-le-seuil-des-4.000-milliards-de-dollars.html