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Vincenzo Nesci, président exécutif de OTA, au « Le Quotidien d'Oran » : Djezzy veut mieux faire

par Mohamed Mehdi

Dans cet entretien, le Président Exécutif de l'opérateur mobile Djezzy, Vincenzo Nesci, fait le bilan d'une année de partenariat entre Vimpelcom et le Fonds national d'investissement (FNI) qui a acquis 51% dans Optimum Telecom Algérie (OTA).

Le Quotidien d'Oran : Une année après le «mariage» entre Djezzy et le FNI. Quel bilan faites-vous de cet exercice ?

Vincenzo Nesci : Djezzy et Vimpelcom sont extrêmement satisfaits de ce mariage. La période d'adaptation a été finalement très courte, car notre actionnaire, le FNI, s'est bien approprié de ce projet et le défend. Ce partenariat public-privé est quelque chose d'unique. Ça doit être exemplaire. Nous travaillons pour que ce soit un succès, et pour faire comprendre aux investisseurs étrangers que le 51/49 n'est pas un obstacle.

Djezzy a été, après les années noires, le premier investisseur étranger important hors hydrocarbures en Algérie. Nous avons eu des années de succès et beaucoup d'abonnés. Notre slogan à l'époque c'était : «Nous avons démocratisé la téléphonie mobile». Aujourd'hui, il y a 45 millions d'abonnés mobiles en Algérie. Nous sommes fiers d'être ceux qui ont vraiment lancé ce processus. Nous avons beaucoup influencé la vie de tous les jours. Djezzy, au-delà du fait que ce nom rappelle inévitablement l'Algérie, a lancé des mots qui sont rentrés dans le jargon commun. «Flexy» (recharge de crédit des SIM prépayées, ndlr) est entré dans l'usage commun y compris par des abonnés de nos concurrents.

Les années difficiles vécues par Djezzy ont beaucoup marqué l'entreprise, en bien et en mal. Dans le mal, car on n'a pas pu avoir l'expansion qu'on souhaitait. Notre réseau a été maintenu en vie grâce à des femmes et des hommes compétents qui nous ont permis de rester le leader. Dans le bien, car cette situation difficile a renforcé l'esprit d'équipe et l'appartenance des 3 600 employés à Djezzy. C'est cette entreprise solidaire que le FNI contrôle à 51% et qu'il veut ramener au succès qu'elle a connu.

Nous avons lancé la 3G en retard. Inutile de m'étaler sur les raisons. Nous avons obtenu de pouvoir accélérer notre déploiement. Donc, avant fin 2016, nous allons couvrir l'intégralité des 48 wilayas, avec un service de qualité. Aussi, nous sommes en train de voir comment développer, autour de la 3G, tout un écosystème de développeurs et de talents algériens pour fournir à nos clients un contenu local et des applications qui servent dans la vie de tous les jours. Et nous nous préparons au lancement de la 4G. Ce sera une opportunité d'apporter au marché algérien une expérience internationale que nous avons dans plusieurs de nos quatorze grandes filiales (de Vimpelcom, ndlr), notamment en Italie et en Russie.

Q. O.: Qu'est ce qui a changé dans la gestion de Djezzy depuis l'entrée du FNI dans le capital ?

V. N.: Nous avons la responsabilité de la gestion et du management. Donc je devrais vous dire que rien n'a changé, car c'est nous qui prenons les grands choix techniques et commerciaux. Ma politique, et celle de mon management, c'est de faire tout ça en totale transparence avec nos actionnaires. Nous ne nous limitons pas à voir nos actionnaires lors des quatre ou six Conseils d'administration qu'on a tous les ans, mais on se voit régulièrement pour discuter de notre politique, de ce que nous faisons, des obstacles que nous rencontrons et comment les résoudre ensemble.

Je regrette de dire qu'il y a encore des organismes qui n'ont pas vraiment compris que Djezzy est devenue une société algérienne à 51%. On continue à nous peindre comme les méchants étrangers. On continue à publier des articles où, intentionnellement, on met les photos de notre ancien building, avec des photos de nos anciens actionnaires et dirigeants, avec notre ancien logo et notre ancien nom, qui a un héritage lourd à porter. Je ne crois pas que ce soit des erreurs. C'est surtout un cri de dépit de gens qui auraient voulu être acteurs de ce mariage et qui n'ont pas réussi. Ils souhaiteraient dire que ça ne marche pas. Mais vous verrez, avec les résultats qui seront annoncés dans quelques semaines, car on ne peut pas en parler aujourd'hui, que ça va arrêter toute cette médisance.

Q. O.: La publication des résultats trimestriels de Djezzy par Vimpelcom n'embarrasse pas le FNI ?

V. N.: Le FNI reçoit chaque mois l'état de nos comptes. Quant à la publication de ces résultats, notre partenaire en a l'habitude. Le FNI est partenaire de sociétés comme AXA et Renault qui doivent publier leurs résultats.

Vous avez probablement lu, il y a quelques jours, un article horrible, comme si c'était un danger, à propos d'un prêt qui a été accordé par le gouvernement à Vimpelcom. Non, ce n'est pas un prêt. Ça fait partie de l'endettement de Djezzy vis-à-vis d'une banque publique algérienne qui a été le chef de file d'un consortium de banques publiques et privées. Cette dette nous l'avons dans nos comptes. Notre actionnaire, Vimpelcom, qui est une société cotée à la Bourse de New York, l'a aussi dans ses comptes, et doit la déclarer. C'est aussi simple que cela. Donc les grands experts financiers vont regarder dans les bilans et prétendent découvrir des secrets, alors qu'il n'y a aucun secret. C'est une obligation que nous avons vis-à-vis des autorités de la Bourse de tout publier.

Q. O.: Qu'est ce qui a été réalisé en une année ? Et quels sont vos projets ?

V. N.: Nous avons lancé, le 10 février 2015, un nouveau logo, une nouvelle identité, qui représente le futur. Nous avons lancé notre 3G dans plusieurs wilayas (une trentaine, ndlr). Nous avons lancé toute une série d'offres prépayées et postpayées. Nous en avons fait autant en matière de messages publicitaires en faveur de clients. Nous avons continué le sponsoring d'équipes qui gagnent, comme nous gagnons. Et nous avons réalisé des projets d'importance sociale, et culturelle, comme la bibliothèque destinée aux enfants de la Casbah ou celle de Béni Abbes (Béchar), équipées d'ordinateurs. Il y a aussi la collaboration avec les Universités algériennes, un réservoir de talents, qui peuvent contribuer à la concrétisation de cet écosystème dont je parlais précédemment. Nous sommes en discussions avec quelques Universités pour développer substantiellement cette collaboration, de façon à accompagner le passage de l'étudiant vers la création de sa propre startup. Nous continuons à nous occuper de dépistage du cancer et de l'accompagnement des familles des malades. Et, pour nos amis oranais, nous avons répondu positivement à une demande des autorités locales de faire partie des mécènes de la restauration de Santa Cruz.

Q. O.: Il y a un an, vous aviez émis le souhait de pouvoir conquérir une clientèle des secteurs étatiques «réservée à un autre opérateur de l'Etat». Qu'est ce qui a changé ?

V. N.: Nous avons quelques nouveaux clients. Mais il y a encore beaucoup à faire. Car on ne nous perçoit pas encore comme une entité vraiment algérienne. Je respecte mes concurrents, mais je ne veux pas qu'ils aient le monopole de ces secteurs. On vient de nommer un jeune brillant collègue algérien, Choukri Berghout, à la tête de la division B2B qui va s'occuper du développement de notre clientèle entreprises. C'est très important avec la 3G et ça l'est encore plus avec la 4G qui va s'ouvrir. Car la 4G va permettre aux entreprises des transmissions de données à très hauts débits. C'est sur ce segment que nous voulons marquer notre différence et notre savoir-faire, ainsi que le service que nous allons offrir aux entreprises.

Q. O.: Quels seront vos arguments pour convaincre ces entreprises ?

V. N.: Il y a des arguments sur la qualité de notre réseau et la compétitivité de nos offres. Tout en sachant que nous n'allons pas nous lancer dans une guerre des prix qui détruisent de la valeur. Nous préférons nous différencier au niveau de la qualité de service. Djezzy est réputé pour sa proximité client et pour son service après-vente.

Nous avons un programme important de développement de nouvelles boutiques. Nous prévoyons, dans deux années et demi, de lancer plus de 300 boutiques que nous allons gérer directement. Nous avons de très grandes boutiques actuellement. Nous en voulons beaucoup plus, mais plus petites. Ce sera des espaces réduits mais où nous offrirons de nombreux services aux clients que nous assisterons à optimiser l'utilisation de la 3G et de la 4G, pour leur permettre d'avoir ce que les Anglais appellent «Value for Money», c'est-à-dire qu'ils payent pour quelque chose qui a de la valeur.

Q. O.: Djezzy a été autorisé à accélérer le déploiement de la 3G. Êtes-vous prêts financièrement et techniquement ?

V. N.: Si nous avons demandé à faire en trois ans ce qui était prévu en cinq ans, c'est que nous avons donné à l'entreprise les moyens pour pouvoir financer ce déploiement. Nous n'avons pas de problèmes de nature financière. Nous procédons actuellement à l'importation des équipements nécessaires.

Q. O.: Après un an et demi de lancement de la 3G pour Djezzy, quel est votre nombre d'abonnés ?

V. N.: A fin septembre 2015, nous étions à 2,6 millions d'abonnés à la 3G. Pour fin décembre 2015, nous allons publier les chiffres dans une dizaine de jours. Nous sommes tenus à une obligation de réserve, car nous sommes dans la période de silence qui nous est imposée par les autorités de bourse américaine.

Q. O.: Êtes-vous satisfait de ce nombre ?

V. N.: Oui. Comme on est parti en retard, je considère que c'est un bon score. Et ce sont des vrais abonnés de la 3G. C'est des gens qui consomment de la data.

Q. O.: Quels sont les obstacles dont vous avez fait part au FNI ?

V. N.: Il s'agit d'obstacles de nature réglementaire. Nous sommes encore considérés comme opérateur dominant, une situation qui a été attribuée par l'Autorité de régulation (ARPT) en 2007. C'est une chose qui se fait régulièrement au moment de l'entrée d'un nouvel opérateur, comme c'était le cas à cette période. Mais ce n'est pas normal que ça continue neuf ans plus tard. En nous mettant en «position dominante», ceci nous oblige à des tests que nos concurrents n'ont pas, ce qui diminue notre compétitivité. En plus, cela nous est défavorable en matière de tarifs d'interconnexion.

Nous avons demandé, depuis un an et demi, à revoir cela. Il y a, enfin, une étude en cours qui devrait permettre à l'autorité de régulation d'avoir une situation mise à jour de la présence des différents opérateurs sur le marché. Récemment, lors d'une émission sur Canal Algérie, un représentant de l'ARPT a reconnu que Djezzy n'est plus dans la position dominante des années 2007 à 2009. Mais nous attendons cette étude que mène un organisme indépendant, qui est le CREAD, et qui devrait être finalisée dans les prochaines semaines.

Q. O.: Êtes-vous favorable à la portabilité du numéro ?

V. N.: Aujourd'hui, en Algérie, la portabilité du numéro ne fait pas beaucoup de sens. Nous sommes dans une situation où le client a des SIM multiples, il utilise un téléphone plutôt qu'un autre en fonction des offres du moment. Nous sommes dans une portabilité de facto.

En février 2015, vous avez annoncé un projet de e-paiement avec plusieurs banques.

Nous discutons en ce moment un des grands chantiers en Algérie qui est l'introduction de services financiers mobiles. Nous voulons développer des moyens de paiement qui vont au-delà du règlement des factures d'électricité et d'eau. C'est la possibilité d'utiliser votre mobile comme un portefeuille électronique ou une carte de crédit.

Nous sommes en discussions avec une très grande banque publique (et avec d'autres aussi) ainsi que le GIE Monétique, pour voir ce qui peut être fait dans le cadre réglementaire, et comment le faire évoluer. Le but étant d'assurer la protection du client. Nous ne voulons pas être une banque, mais un partenariat avec une banque, tout en donnant à la Banque Centrale l'assurance que l'épargne du client est préservée, et que l'opérateur ne se substituera pas à l'établissement bancaire. C'est un chantier qui prendra du temps. Mais il y a une volonté de la part des autorités de stimuler l'utilisation de la monnaie électronique. Nous voulons être un acteur important dans ce domaine, car c'est une chose que nous avons réalisée dans plusieurs pays allant de l'Italie au Zimbabwe.

Q. O.: Vous pensez être prêts aussi pour la 4G ?

V. N.: Nous préparons l'offre pour la 4G. Le cahier des charges ressemble beaucoup à celui de la 3G, même si je pense que les opérateurs seront laissés un peu plus libres dans leur déploiement. Nous avons demandé des éclaircissements à l'ARPT dont nous attendons les réponses.

Pour l'instant, la 4G n'est pas vue comme un produit de masse. Elle s'adresse aux professionnels. Il faudra donc couvrir les zones où se situent les entreprises, les zones industrielles, les banques, et les sociétés pétrolières qui ont besoin d'un important flux de data. Nous allons tout faire pour avoir un leadership. Nous bénéficions de la solidité et de l'expérience du Groupe Vimpelcom.

Q. O.: Vous pensez à une baisse des prix de la 3G lorsque la 4G sera lancée ?

V. N.: La 3G n'est pas encore un produit de large consommation. Elle doit être développée avec des contenus adéquats. Il faut avoir accès à des contenus internationaux, mais il faut aussi développer des contenus locaux.

Q. O.: Votre bande passante à l'international a-t-elle évolué ?

V. N.: Elle n'a pas évolué. Nous sommes dépendant d'Algérie Télécom. Nous avons nos moyens mais nous n'avons pas les autorisations pour les utiliser.

Q. O.: C'est l'ARPT qui donne ces autorisations ?

V. N.: Des discussions sont en cours, je préfère ne pas m'exprimer davantage à ce sujet. Car, si on parle de certaines choses, on donne l'impression d'être trop acharnés. Les choses se font en bonne et due forme. Comment avons-nous mené les négociations qui ont amené à nouveau Djezzy ? Avec le respect réciproque, avec beaucoup de patience des deux côtés, et autant de professionnalisme. Cherchons ensemble la meilleure solution dans l'intérêt du pays et dans l'intérêt du consommateur.

Q. O.: Parlons de Djezzy l'entreprise et de ses 3 600 employés. Avez-vous accordé des hausses de salaires et des formations pendant la période d'investissement ?

V. N.: Durant la période difficile, on a beaucoup investi dans la formation. Nous n'avons pas pu accéder à nos devises pendant des années. Il y a d'excellents centres de formation en Algérie. Nous avons donc développé tout un programme de formations internes et externes que nous avons offertes à nos collègues. Nous allons continuer ce processus.

Il y a eu des augmentations de salaires très importantes même pendant les années difficiles. Ce n'est pas nous qui le disons, mais des études l'attestent, Djezzy est un très bon employeur, en conditions de travail et en rémunération. Nous avons signé récemment une convention collective avec le partenaire social, car nous pensons qu'il est très important de sauvegarder la paix sociale, et de reconnaître le rôle que le syndicat et le comité de participation ont dans l'entreprise.

Q. O.: Un dernier mot, M. Nesci ?

V. N.: Je tiens à dire que nous sommes satisfaits de ce que vous appelez le mariage avec le FNI. Les fiançailles ont été longues. Nous avons tous les éléments pour faire de cette union un exemple de réussite. La politique économique de l'Algérie, dont nous sommes tous acteurs, est en train de souligner l'importance de passer du tout pétrole à une économie plus diversifiée. Voilà pourquoi réussir ce mariage est très important pour que d'autres investisseurs viennent en Algérie. Plutôt que de continuer à promouvoir les importations, c'est très important que des sociétés étrangères, en partenariat avec des investisseurs algériens, s'installent ici en amenant leur savoir-faire pour développer une industrie locale. L'Algérie peut aussi être une plaque tournante pour exporter vers des pays du continent africain. Et c'est ce qui peut représenter une valeur ajoutée importante pour les investisseurs étrangers.

Nous voulons que l'exemple de Djezzy soit cité comme référence. Le 51/49 peut être une opportunité. Nous avons de la main-d'œuvre qualifiée, des jeunes qui ont envie de réussir, donc cherchons à œuvrer tous dans cette direction. Car c'est seulement comme ça qu'on peut réussir l'intégration d'une économie pétrolière avec une économie industrielle et de services.