Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Quel type de relance pour L économie chinoise ?

par Joseph E. Stiglitz *

SHANGHAI – Le basculement de la Chine d’un modèle de croissance basé sur l’exportation à un autre basé sur les services et la consommation des ménages est bien plus chaotique que ce que l’on aurait pu croire. Cela tient notamment aux décrochages de la Bourse et à la volatilité des taux de change qui suscitent des craintes quant à la stabilité de l’économie du pays. Pourtant au regard de l’Histoire, l’économie chinoise se porte bien - on pourrait même dire très bien, compte tenu d’une croissance du PIB proche de 7%. Mais le succès économique de l’empire du Milieu au cours des trois dernières décennies a suscité des attentes fortes.

Retenons une leçon fondamentale : les marchés de type chinois sont aussi volatiles et difficiles à contrôler que les marchés de type américain. Les marchés ont leur vie propre et de ce fait ils sont difficiles à maîtriser. Et dans la mesure où on peut les contrôler, c’est en établissant la règle du jeu en toute transparence. Tous les marchés doivent être réglementés. Une bonne réglementation aide à les stabiliser, une mauvaise - aussi bien intentionnée soit-elle - peut avoir l’effet opposé.

Ainsi, depuis le crash des marchés financiers de 1987 aux USA, l’importance des coupe-circuit boursiers est reconnue ; mais s’ils sont mal conçus, ils accroissent la volatilité. S’il existe un double système de coupe-circuit - la suspension des opérations à court terme et à long terme - et s’ils sont trop rapprochés l’un de l’autre, une fois le premier actionné, les acteurs du marché réalisant que le second va sans doute l’être aussi, risquent de se ruer vers la sortie.

Par ailleurs, les marchés peuvent évoluer plus ou moins indépendamment de l’économie réelle. La Grande récession qui a eu lieu récemment en est un exemple. Alors que la Bourse américaine a repris de la vigueur, l’économie réelle n’est pas entièrement sortie de l’ornière. Néanmoins, la volatilité de la Bourse et des taux de change peut être lourde de conséquences. L’incertitude peut entraîner une baisse de la consommation et des investissements (c’est pourquoi il faut viser à une réglementation qui favorise la stabilité).

La régulation de l’économie réelle joue un rôle encore plus important. En Chine aujourd’hui comme aux USA il y a 35 ans, on débat de savoir s’il faut agir sur l’offre ou sur la demande pour restaurer la croissance. L’expérience des USA et de beaucoup d’autres pays peut fournir une réponse.

Premier point à souligner : agir sur la demande se fait au mieux en période de plein emploi. En cas de demande insuffisante, l’amélioration de l’offre se traduit par une sous-utilisation plus marquée des ressources. Faire passer la main d’oeuvre d’une situation de faible productivité à une situation de productivité nulle (le chômage) n’augmente pas la production. Aujourd’hui, l’insuffisance de la demande agrégée exige des mesures favorables aux dépenses.

Ces dépenses peuvent avoir toute leur utilité. La Chine doit à tout prix réduire les inégalités, lutter contre la dégradation de l’environnement, créer des villes où il fait bon vivre, investir dans la santé publique, l’éducation, les infrastructures et la technologie. Les autorités doivent également renforcer la réglementation pour garantir la sécurité en matière d’alimentation, de construction, de production pharmaceutique et dans de nombreux autres domaines. Le bénéfice social de ces mesures dépasse largement leur coût.

Dans le passé, la Chine a eu trop souvent recours au financement par la dette. Mais il lui est facile d’élargir la base fiscale afin d’accroître l’efficacité et/ou l’équité de son système économique. Une taxe environnementale permettrait d’améliorer la qualité de l’air et de l’eau et rapporterait des sommes non négligeables, une taxe sur les automobiles améliorerait la qualité de vie urbaine, un impôt foncier et un impôt sur les bénéfices du capital encourageraient les investissements dans des activités productives et stimuleraient la croissance. Autrement dit, conçue correctement, une politique budgétaire équilibrée - l’augmentation de la fiscalité et parallèlement celle des dépenses - pourrait constituer un stimulant économique efficace.

La Chine doit éviter le piège d’une politique de relance par l’offre mal inspirée. Aux USA, on a gaspillé des ressources en construisant des maisons de mauvaise qualité au milieu du désert du Nevada. Cependant, la première priorité n’est pas de démolir ces maisons pour consolider le marché immobilier, mais de veiller à une distribution judicieuse des ressources.

Dès les premières semaines de n’importe quel cours élémentaire d’économie on enseigne un principe de base : ne pas se raccrocher au passé - ne pas se lamenter sur la casserole de lait qui a débordé. L’acier à faible coût (grâce à des prix inférieurs au coût moyen de production à long terme, mais au-dessus du coût marginal) peut être un atout pour d’autres secteurs industriels.

Par exemple ce serait une erreur de mettre fin à la surcapacité de l’Amérique dans le domaine des fibres optiques qui ont rapporté des bénéfices considérables aux firmes américaines dans les années 1990. Il faut toujours comparer le potentiel d’utilisation future d’un produit ou d’un dispositif au coût minimum de sa maintenance.

La Chine est confrontée à un véritable défi. Elle devra répondre au problème de surcapacité de son appareil de production et simultanément aider les travailleurs susceptibles de perdre leur emploi et répondre aux appels au secours des entreprises soucieuses de minimiser leurs pertes. Mais si le gouvernement combine relance par la demande et mesures efficaces contre le chômage, il pourra adopter une politique optimale - ou à tout le moins raisonnable - de restructuration économique.

La Chine connaît également un problème macro-déflationniste. La surcapacité de production pousse les prix à la baisse, ce qui aggrave la situation des entreprises endettées. Plutôt que d’accroître l’offre, il vaut mieux accroître substantiellement la demande et s’opposer ainsi aux pressions déflationnistes.

Les principes économiques et les facteurs politiques liées à cette situation sont donc bien connus. Mais trop souvent le débat sur l’économie chinoise a été dominé par des propositions naïves de stimulation de l’offre, accompagnées de critiques à l’égard de la politique de relance par la demande adoptée après la crise financière mondiale de 2008. La relance par la demande était loin d’être parfaite, elle a été décidée rapidement, dans le contexte d’une crise soudaine. Mais c’était bien mieux que rien du tout.

Il vaut mieux utiliser les outils à sa disposition, même de manière imparfaite, plutôt que de ne pas y recourir du tout. Sans son plan de relance après la crise de 2008, la Chine aurait été touchée par un chômage bien plus important. Si les autorités adoptent une politique mieux conçue de relance par la demande, elles auront par la suite une plus grande latitude pour jouer largement sur l’offre. Cela sera d’autant plus facile que l’augmentation de la demande aura diminué l’offre excédentaire.

Ce qui se joue maintenant de l’autre coté de la planète n’est pas simplement un débat académique entre économistes occidentaux favorables les uns à une relance par l’offre et les autres à une relance par la demande. Le choix de la Chine aura des conséquences sur les résultats et les perspectives économiques à travers le monde.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
* Prix Nobel d’économie,professeur à l’université de Columbia à New-York et économiste en chef à l’Institut Roosevelt.