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Ces menues dépenses qui mitent l'économie nationale

par Farouk Zahi

L'économie dans sa définition la plus simple que donne le Larousse, est la suivante: « Ensemble des activités d'une collectivité humaine relatives à la production, à la distribution et à la consommation des richesses ».

En ce qui concerne la production, tout le monde sait que ce n'est pas le fort de notre société habituée à l'octroi d'avantages matériels sans contrepartie et ce depuis la défunte autogestion, de triste mémoire. Donc, tous les efforts ont tendu vers la distribution et la consommation de ce que nous ne produisons pas et que nous achetons en devises fortes. Ceci fut systématisé dès l'aube du troisième millénaire par l'embellie financière générée par le prix du pétrole qui atteignait des cimes inégalées. Le bilinguisme national utilisait, alternativement le terme « bahbouha malia » ou « matelas financier » pour parler des réserves de change. Le terme « épargne » était absent des discours des officiels et des ménages. Dos au mur, nous évoquons du bout des lèvres l'austérité par un doux euphémisme, celui de la bonne gouvernance. Pompeux et vague, il ne veut absolument rien dire pour le commun des consommateurs qui pense que cette démarche est de la seule initiative des gouvernants. Dans un passage d'une récente interview, l'intellectuel et ancien ministre, Nourredine Boukrouh, dresse un tableau des plus lucide, d'aucuns diront pessimiste, sur la situation économique du pays.

Je cite : « La réalité économique du pays peut être ramassée dans quelques chiffres probants de sa grave maladie : 98% des recettes extérieures proviennent de l'exportation des hydrocarbures ; pour équilibrer son budget, l'Algérie a besoin d'un prix du baril à 108 dollars alors qu'il n'est plus que de 30 environ ; à ce prix, les recettes sur l'année 2016 seront de moins de 14 milliards de dollars alors que les importations entre marchandises et services auxquels il faut ajouter les transferts des gains des entreprises étrangères s'élèvent à près de 80 milliards, volet militaire non compris ». Fin de citation. Par une simple opération arithmétique, il est désormais établi que les roues du carrosse sont déjà dans l'ornière. Si les recettes sont en chute libre, la seule alternative qui nous soit offerte est d'agir sans atermoiements sur les dépenses et pour lesquels chaque membre de la communauté nationale est en mesure d'apporter sa contribution. L'Algérien n'a jamais été un dépensier forcené, on lui a fait apprendre de mauvaises habitudes. En expatriation, il sait ingénieusement gérer ses sous. N'a-t-on pas été, au moins une fois, interpellé par des proches expatriés auxquels on rendait visite sur l'extinction des feux à une certaine heure de la journée ou sur l'utilisation excessive de l'eau. Le motif évident étant la cherté des charges de consommation de l'énergie électrique, du gaz et de l'eau. Maintenant quant au coût du carburant et des autres produits de consommation courante, il est calculé à sa valeur marchande réelle, la subvention étatique n'existe pas dans le lexique des économies capitalistiques.

La lutte contre le gaspillage doit être soutenue aussi bien par le discours que par des actes concrets et didactiques, à commencer par le train de vie des institutions et des entreprises. Le citoyen lambda ne sera que plus convaincu quand il ira dans un service public où les luminaires seront éteints quand la lumière du jour est profuse. L'éclairage public, comme son nom l'indique, est le meilleur indicateur de la parcimonie ou de l'abondance surfaite. Un grand journal arabophone rapportait il y a quelques jours les extravagances dépensières des deux chambres du Parlement. Il est des cadres administratifs de ces deux institutions qui, en dépit d'avoir eu un prêt pour l'achat d'un véhicule personnel, continuent de bénéficier de voitures de service rutilantes en sus d'un quota en carburant. Ou encore, cette imprimerie offset abusivement utilisée pour le tirage de cartes de vœux et autres niaiseries. Ceci n'est pas le propre des fonctionnaires du Parlement, mais des cadres entrant dans les catégories dites supérieures, quel que soit leur lieu d'exercice. Quel autre exemple de sobriété peut-on encore donner à ces cohortes de cuisiniers et de serveurs attachés au service des résidences officielles où la bonne table est de rigueur et le gaspillage maître des lieux ? Quand des cabinets ministériels se font servir des repas à demeure par des palaces de la capitale, il ne faut point s'étonner si le livreur n'a aucun scrupule pour biberonner en cédant ses bons de carburant au pompiste contre leur valeur en monnaie. Quel exemple de probité et valeur du travail donne-t-on à cette multitude de jeunes désœuvrés qui regarde d'un œil ébahi ces footballeurs professionnels qui touchent des salaires mirobolants et qui roulent carrosse. A ce propos, qu'en est-il des centres nationaux de préparation physique pour que des équipes de modeste dimension préparent leur saison en Espagne ou en Tunisie ? Avec souvent peu de moyens, des athlètes jusque-là inconnus ont ramené plus de dividendes compétitifs permettant au pays de se hisser sur les plus hauts podiums de la planète qu'une équipe nationale budgétivore et inféconde.

Ces petits exemples illustratifs renseignent sur ces travers quotidiens observés çà et là et qui, pour d'aucuns, n'ont aucun impact sur la dépense générale induite. Ne dit-on pas que les petits rus font les grands ruisseaux ? A ce titre, la lutte qu'il faut mener contre cette débauche dépensière est de placer tout individu devant ses propres responsabilités en commençant par réguler tout ce qui est commun à la vie collective, eau, électricité et gaz. L'eau, cet élément vital et qui se raréfie sous les effets des changements climatiques et la poussée démocratique doit être élevée au rang du sacré. Ces hideuses et inconscientes images du tuyau d'arrosage qui coule à profusion pour le lavage des véhicules et autres perrons de villas doivent être stigmatisées par la morale citoyenne et pourquoi pas réprimées par la loi. Quant au pain et les dérivés de la semoule, le paradoxe de leur accessibilité en a fait les contenus habituels des poubelles. Les pics de ce gaspillage généralisé sont particulièrement observés au mois de piété que suppose le ramadan où les artisans boulangers affirment que pour la première semaine de jeûne de l'année dernière, plus de 50.000.000 de baguettes de pains ont été jetées au rebut.

Le département chargé du secteur de l'Energie avertit d'une augmentation de la demande énergétique interne évaluée à plus de 13 p 100 pour les seuls 9 premiers mois de l'année écoulée alors que les productions pétrolières et gazières ont baissé respectivement de 5,3 et 7,3 p100 pour la même période. Aussi, est-il temps de profiter de cette déprime des revenus pour nous faire changer de comportement, posture dont aucun n'a mesuré les retombées négatives au moment où même le monde prospère se débat dans une série de crises autant financières que politiques ou même sociales. Ces processions incessantes de migrants est-ouest et sud-nord interpellent les consciences nationales pour un sursaut salvateur à l'effet de préserver notre société de la déchéance humaine qui guette les nations placées, malgré elles, dans la tourmente de la guerre, par absence de démocratie dit-on. La seule démocratie est sans nul doute la dignité que le travail procure. Nous ne terminerons pas cette réflexion sans rappeler au bon souvenir des uns et des autres cet homme d'Etat que fut le défunt Aboubakr Belkaid, ancien membre du gouvernement dans les années 80'. Ministre de l'Habitat à la veille de la crise économique de 1986 préludant à Octobre 1988, il parlait déjà de bonne gouvernance dont la pierre d'achoppement ne pouvait être que l'austérité par temps d'aisance, d'ailleurs mieux supportée que par temps de crise. Il n'hésitait pas à extrapoler pour mieux marquer les esprits. Ainsi, le Japon, disait-il, considéré comme troisième puissance économique au monde et qui est un désastre minéralogique, est aux antipodes économiques d'une Guinée qui est un miracle minéralogique. « Prenez l'exemple d'une pénurie d'eau et regardez ce qu'on peut faire du contenu d'une casserole : on peut se laver les mains et le visage, se raser et pourquoi pas arroser une ou deux plantes d'intérieur avec l'excédent ! ».